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Titus n’aimait pas Bérénice

Publié le 25 mars 2016 par Adtraviata

Titus n’aimait pas Bérénice

Quatrième de couverture :

Titus n’aimait pas Bérénice alors que Bérénice pensait qu’il l’aimait.
Titus n’aimait pas Bérénice alors que tout le monde a toujours pensé qu’il n’avait pas le choix et qu’il la quittait contre sa propre volonté.

Titus est empereur de Rome, Bérénice, reine de Palestine. Ils vivent et s’aiment au 1er siècle après Jésus-Christ. Racine, entre autres, raconte leur histoire au XVIIe siècle. Mais cette histoire est actuelle : Titus quitte Bérénice dans un café.
Dans les jours qui suivent, Bérénice décide de revenir à la source, de lire tout Racine, de chercher à comprendre ce qu’il a été, un janséniste, un bourgeois, un courtisan. Comment un homme comme lui a-t-il pu écrire une histoire comme ça? Entre Port-Royal et Versailles, Racine devient le partenaire d’une convalescence où affleure la seule vérité qui vaille : si Titus la quitte, c’est qu’il ne l’aime pas comme elle l’aime. Mais c’est très long et très compliqué d’en arriver à une conclusion aussi simple.

J’aimé, j’ai adoré ce livre pour le plaisir de redécouvrir les tragédies de Jean Racine, de découvrir son univers, son parcours à travers le Grand Siècle, pour son goût des mots qui ne pouvait que rejoindre le titre de ce blog.

J’avoue, je ne me souvenais pas qu’il était un enfant de Port-Royal élevé dans l’austérité, l’ascèse permanente mais aussi nourri des mots de l’antiquité latine, dont les vers de Virgile et particulièrement ce chant IV de l’Enéide qui voit Didon confier sa plainte d’avoir été abandonnée par Enée. Sans doute une des sources qui inspirera Racine et le fera creuser les mots, les mètres et les rimes pour atteindre l’acmé de la douleur de la séparation amoureuse dans Bérénice.

Autre paradoxe de la vie de Racine, cette fascination pour Louis XIV dont il n’a de cesse de conquérir l’attention, exclusive si possible, alors qu’il sait que le roi veut faire taire les critiques de Port-Royal envers la trop grande magnificence et la vanité de son règne.

Paradoxe encore, ce désir qu’il a de traduire au mieux la passion amoureuse alors que sa propre vie intime est, par son éducation, peu encline à l’excès. Sa relation avec la Du Parc, la célèbre comédienne, apportera dans sa vie le tragique qu’il voulait expérimenter. Par la suite, il se glissera dans une vie familiale sans fracas, toute sa concentration se portera sur la meilleure manière de gagner les faveurs du roi (contre ses « concurrents » que sont les Corneille ou Quignault) et de décliner dans ses pièces la gloire et l’amour, l’héroïsme et le désespoir.

Au delà de l’enchâssement de cette vie, de cette oeuvre, dans une tragédie moderne (l’abandon d’une Bérénice d’aujourd’hui par un Titus qui ne peut quitter sa Roma), Nathalie Azoulai dit comment se forge le destin d’un immortel, la construction de son oeuvre, son amour et sa lutte avec les mots qu’il veut couler dans une langue pure, nouvelle. A l’instar de celle de Racine, sa langue est belle, élégante, racée, balancée. On se surprend à y déceler les alexandrins cachés, on savoure sa noblesse, sa beauté. On voudrait retarder le moment de refermer le livre. Heureusement, Bérénice est éternelle.

« A vingt kilomètres du château de Versailles se trouve un vallon. Cent marches y creusent le sol jusqu’en son point le plus bas, l’abbaye de port-royal. Sur les contreforts, autrefois, une grange, une ferme, quelques boules de bis, un verger, des arbres immenses. Au plus grand faste français de tous les temps, le vallon oppose son calme, son dénuement, un sentiment de réclusion aussi salutaire que celui d’un refuge. Elle émet une hypothèse: toute la vie de Racine se tient dans l’écartèlement que provoquent en lui ses deux lieux. » (p. 19)

« Au fil des jours, il constate que sa langue s’est scindée : il y celle des lettres, parisienne, galante, pleine de civilités et de charmes, et une autre. C’est une langue allongée, un liquide plus clair, où les voyelles s’étirent, gagnent sans cesse sur le martèlement des consonnes. »

« Comme sa langue, l’espace se scinde aussi : d’un côté, il y a Dieu, l’abbaye, la nuit, et de l’autre , le roi, la poésie, la lumière. » (p. 126)

« Je raconterai tous les cachots de l’abandon, se dit Jean, celui qui ne peut s’admettre, invente, implore, puis qui s’admet et rugit, avant de plonger l’âme dans la mort, de couper tous les fils qui la reliaient encore, pour l’installer dans une immobilité parfaite, sans perspective, sans distinction entre le jour et la nuit, hier et demain. Que le jour recommence et que le jour finisse, sans que Titus puisse voir Bérénice. Il note. Ni avec Hermione ni avec Junie il n’avait été jusque-là, mais cette fois, c’est là qu’il veut entailler la créature, à l’endroit le plus tendre de sa chair, là où elle aime, où elle croyait être aimée et où elle est lâchée. Et il veut qu’on entende les échos de cette chute interminable, le son caverneux du vide entrelacé à celui de l’appel. »

Nathalie AZOULAI, Titus n’aimait pas Bérénice, P.O.L., 2015


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