Alors moi, j'étais bien tranquille avec mes petits problèmes et mes petites façons à moi de les régler. Si ça chahutait dans la cour de récré, je me disais c'est pas grave, on va arranger ça à l'amiable, nous sommes des personnes civilisées, et je renchérissais en mon fort intérieur : depuis que nous sommes petits, on nous a appris à nous comporter comme des personnes dotées d'un sens moral; la barbarie, ça appartient à un autre âge, ces siècles d'antan où, pour un oui, pour un non, les gens se tailladaient allègrement le visage.C'est ce que je pensais. J'étais safe.Puis, je remarque que deux petits garnements ont commencé à se bagarrer. Tout le monde se rassemble et crie autour d'eux, on les encourage, on les youtube. Je ne m'y attendais pas, mais ce sont des choses qui arrivent, c'est pas plus grave qu'une entorse au pied. Je m'approche de l'attroupement, je me fraie un chemin, je rejoins les deux pugilistes, j'émets un oh oh puissant, je suis dans mon rôle, je fais une tentative aimable et gentille de calmer les esprits.
Tout à coup - je ne l'ai pas vu venir! - il y en a un qui sort un couteau de sa poche, et voilà qu'il plonge ce couteau dans le ventre de l'autre. Qu'est-ce que c'est que ça, il y a comme un million de claques dans ma tête, je me pétrifie sur le champ, devant cette subite irruption de violence, je me mets à trembler, ne sais plus quoi faire, ça hurle dans tous les sens, j'ai le vertige, je chavire. Le couteau est à terre, le petit gars aussi, noyé dans sa flaque de sang. L'autre pleure comme un canard sauvage.
Très vite, la panique, les sirènes, l'ambulance, la police. Cauchemar en plein jour. Interpellation. Périmètre de crime.Le petit monde pépère que je connaissais, la petite bulle pétillante qui m'entourait, tout a éclaté, soudain je me retrouve fort dépourvu, la bise est venue, j'ai chanté pendant si longtemps, maintenant je ne sais même plus où se trouve la fourmi.Je voudrais aller frapper à sa porte, me faire gronder, mais elle a disparu, la petite besogneuse qui a travaillé tout l'été. Ai-je envie de continuer à chanter, malgré la bise, malgré la tempête, malgré l'état d'urgence ?
Lire, écrire, photographier, aller au cinéma, j'ai le coeur jeune, aimer, j'aurais bien voulu, continuer à chanter l'amour, voir des sourires sur les visages du monde entier, faire comme si rien ne s'était produit. Plus rien ne sera comme avant, ils sont où les barbares, ils sont où les assassins, comment comprendre cette haine qui les habite ?
J'ai le souffle courtje le suspends haut et court
j'avais une opinion sur tout et n'importe quoi
une opinion haut perchée
sur ses talons hauts
c'était pas compliqué
j'abhorrais la routine
mais en réalité elle était belle
c'était réconfortant de voir les choses
toujours se passer de la même façon
les matins se levaient toujours à la même heure
et les soirs, c'était écrit, se couchaient toujours au même endroit
avec quelques petites variations parfois
mais aucune brutalité, il ne fallait pas que ça fasse mal
les choses coulaient comme de l'eau de source
comme un fluide
je me disais que j'en avais marre, je rêvais d'un ailleurs, je rêvais d'un autre continent, je rêvais d'une autre vie, je voulais être autre chose, je voulais être un autre moi-même, tout le temps je voulais m'évader de ma triste existence, mais je l'avoue : j'étais content d'être moi-même
de me revoir dans la glace
de me dire : bonjour, toi Assis sur un banc au milieu de la place, je ne comprenais pas comment des instincts aussi vils pouvaient amener un être humain à commettre des actes aussi barbares.
Assis sur un banc au milieu de la place publique, je regardais les gens aller venir
je les voyais qui étaient tous différents les uns des autres et pourtant j'avais l'impression que je partageais avec tous des sentiments nobles et que
en les regardant droit dans les yeux, en faisant appel à leur générosité naturelle,
je pouvais trouver un trait d'union.