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« Q. And babies? »

Publié le 01 avril 2016 par Jebeurrematartine @jbmtleblog
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© Victoria and Albert Museum, London.

La photographie journalistique possède un pouvoir tout à fait captivant, suscitant à la fois notre fascination pour le réel, notre recherche d’exceptionnel et notre curiosité touchant parfois au morbide. A mi-chemin entre la brutalité du terrain et le papier glacé des grandes revues, elle nous plonge dans un univers où l’attendu fait place à l’improbable, au choquant et au merveilleux ; le tout avec une résonance particulière, du fait que cette photographie témoigne d’une – plus que de « la » –  réalité.

En effet, si les évènements immortalisés par l’objectif ont bien eu lieu, ils peuvent n’en transmettre qu’une vision partielle et biaisée, orientée par l’œil humain qui cherche pour autant à se faire invisible. Aussi cette perception graphique peut-elle être utilisée à des fins diverses, chacun étant libre de s’approprier le cliché. Une interprétation qui se fait d’une manière plus violente, ou plus froide peut-être, qu’avec un tableau de musée. Car cette fois, c’est bien avec l’Histoire que l’on joue…

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Interrompant un champ broussailleux de par son blanc laiteux, une longue bande de terre fend l’image jusqu’à remplir l’ensemble de l’espace au plus près de nous. Dessus se déploient les corps sans vie et disloqués d’enfants, gisant à-même le sol ; bébés dénudés éparpillés parmi les cadavres de leurs mères, membres, chevelures et textiles intriqués dans un motif inconnu, entassés sans le moindre égard. Cette image de la guerre du Vietnam, capturée par Ron Haeberle en 1968 et gardée secrète durant plus d’une année, a de quoi déstabiliser.

Ce n’est pourtant qu’un an plus tard, en 1970, que cette photographie journalistique s’ancre définitivement dans l’Histoire : une affiche est élaborée autour de ce contenu, ne cherchant pas à le détourner mais au contraire à en renforcer dramatiquement le message. Le collectif « Art Workers » appose un message sanglant, écœurant et cru, sous la forme d’un question-réponse encadrant la scène :

Q[uestion]. And babies?
A[nswer]. And babies.

Ces mots, ce sont ceux de l’un des militaires américains ayant participé au massacre de My Lai immortalisé sur cette photo, prononcés lors d’une interview télévisée après les évènements. Oui, même les bébés ont été sacrifiés.

Loin des codes traditionnels de la publicité, alors bien implantée dans une Amérique achevant ses trente années de gloire rutilantes prônant une consommation débridée, le poster appose un typographie écarlate qui semble constituer à la fois un slogan macabre dégoulinant et une voix-off de documentaire en écho. Il dénonce avec une efficacité imparable une entreprise vaine et meurtrière qui a ébranlé le colosse étasunien.

L’association de la photographie et du texte illustre alors une vérité, certainement pas la seule, cependant celle de tout un monde qui a décidé de s’indigner face aux images qui lui parvenaient depuis l’autre bout du monde, d’exposer, de diffuser, de réagir. De quoi nous donner matière à réflexion?

« Q. And babies? A. And babies. » (1970)
Photographie de Ron L. Haeberle reprise par l’Art Workers’ Coalition
Affiche en lithographie sur papier
Victoria & Albert Museum (E.233-1985)


Classé dans:Oeuvre décryptée, Photographie Tagged: affiche, and babies, art workers, guerre du vietnam, journal, photographie, poster, ron haeberle

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