Question : La pratique de la vision sans tête ne vous enferme-t-elle pas dans une tour d'ivoire ; a-t-elle une portée sociale. ?
Douglas Harding : A la racine de l'avidité économique, de l'agressivité, de la violence, de la délinquance junévile, très profondément et secrètement, et tout au long de la vie, persiste en nous l'assurance, propre à l'enfant que nous avons été, d'être l'unique Centre et, sans restrictions, le Propriétaire de toutes choses ; combien compréhensible alors toute cette fureur contre l'ordre établi qui, animé par des vues et des intérêts totalement différents, nous taille en pièces, puis prend une bribe de réel et l'érige sur nos épaules pour y tenir lieu d'univers ! On par donnera aisément ces efforts pathétiques pour reconquérir au moins une parcelle de l'Empire perdu, même quand il ne s'agit que d'acquérir pignon sur rue et d'en imposer aux voisins. Le remède, comme toujours, consiste à regarder ici et à voir que la vérité est du côté de l'enfance, sans tête, sans image d'elle-même, qu'il n'y a ni boule, ni caillou, ni poutre, ni paille sur ces épaules ; à la première personne du singulier (indicatif présent), je ne suis pas dans le monde, le monde est en moi. Même les étoiles sont à moi, vraiment elles sont moi ; mon seul regard ne suffit-il pas à créer entre elles et moi le rapport le plus intime ? Je cherche vainement un espace entre l'étoile et moi, entre vous et moi : je vois maintenant que je suis espace, tout espace.
Faisant mentir les critiques, la vision sans tête éclaire et résout toutes sortes de difficultés sociales, notamment des problèmes que l'on jugera primordiaux ou secondaires, comme l'usage des drogues, les conflits raciaux, le tabagisme, etc.
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Nous apportons une réponse des plus radicales au conflit des races. Supposons que je sois noir et vous Caucasien ; lorsque nous nous regardons l'un l'autre, lequel de nous a le visage noir ? Pour l'amour du ciel, quelle est la couleur de mon Visage Originel, et à quel groupe ethnique appartient une tête invisible, ma «non tête » ? Quant au conflit des générations, nos amis sans tête n'ont jamais expérimenté que la différence d'âge créait entre eux la moindre distance.
Et il en va de même pour les autres problèmes sociaux ; ils résultent tous de la peur, de l'avidité et de la haine, qui, elles-mêmes, proviennent d'une confusion générale, d'une grande méprise quant à notre véritable identité. Nous sommes d'accord avec Ramana Maharshi : pour répondre aux problèmes de la vie, il suffit de voir qui a le problème.
On résout les problèmes en les situant là-bas, à l'extérieur, et en voyant qu'ici il n'y a pas de problème, que dans ce Centre, cette Source du monde, règne et ne peut régner que la perfection. L'utopie étant impossible, toutes les chances sont du côté de l'amélioration. Les moyens ne manquent pas. Grâce à l'évolution de la conscience humaine, accélérée par les techniques modernes de communication, des notions qui avant-hier étaient incroyables, qui hier étaient tenues pour folles, deviennent aujourd'hui parfaitement évidentes du moins aux yeux d'une minorité influente. La vision sans tête - cette voie d'Illumination particulière - est un développement comparativement nouveau, et même si on ne peut compter sur des effets sociaux sensibles et rapides, on ne peut en exclure la perspective. Le Vide serait-il confondu et ses ressources diminuées ? Ne serait il plus capable de se révéler à lui même, serait-il à court de moyens pour accéder à sa propre conscience de soi ? Car l'Illumination n'est pas quelque chose qui advient localement à un homme : c'est la Réalité se rencontrant elle même, l'Univers arrivant à se connaître lui-même à travers cet homme. Ce n'est pas que je vois pour vous, mais comme vous, comme tous les êtres. L'Illumination ne ressemble en rien à un acquis personnel ou à une expérience privée ; il est dans sa nature de se répandre dans toutes les directions, de concerner et, d'une manière ou d'une autre, d'aider le monde entier."
Douglas Harding « Vivre Sans tête » Ed. le Courrier du Livre P 69