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(anthologie permanente) Hervé Piekarski

Par Florence Trocmé

Hervé Piekarski publie L’État d’enfance, II, aux éditions Flammarion (parution le 13 avril)
PROTOCOLE
J’existe de telle sorte que m’accuse ce que je suis. M’est confié mon projet mais aussi l’impossible de son œuvre. Rien ne doit subsister du lieu que j’occupe sinon moi qui l’occupe. Rien ne devra briller dans les mots que la montée au matin de la terre lumineuse, rien de ce rêve de pierre, de transparence fermée où depuis toujours j’apprends la note et sa tenue. Elle aussi fermée la porte comme dans le miroir mon visage sans expression et comme à part moi la lumière de l’air qui se défait. En chaque seconde de l’avancée du froid m’emporte ma chair et dans une précision plus grande me prononce. Je ne parle pas la violence de mourir mais dans la distance qui m’en sépare j’apprends un corps.
L’OUVERTURE DE L’ESPACE
Le sursaut de la couleur prévient le corps. Ce matin comme jamais les oiseaux auront été l’œuvre du ciel, comme jamais dans le bleu se sera préparée l’explosion de la force. Immobile dans l’écuelle, le lait, immobile dans sa durée le geste nous délivrant de l’approximation de nos mains, immobiles le cœur et la poitrine, immobiles nos visages dans la vitre ancienne entre nous rétablie, l’œil au fond de l’œil, l’espace dans sa nouveauté dont nos corps se croyaient les gardiens.
NUIT DU 16/03/2014
La notion. Une et secrète. La notion jusqu’au noir dans l’éclat. De moi à moi la cendre de mon corps, béance qu’il aura fallu déclarer dans le poème de mon nom. L’ordre est un écartèlement. La neige tombe. L’homme qui cette nuit a disparu de l’autre côté du monde m’est étranger. Sous la lampe l’espace collecte ses fragments. Je suis moi et ne connais d’autre chemin que celui que j’observe. C’est dans la parole que je parle.
L’APPRENTISSAGE DE LA LECTURE
L’enfant prend pied dans le livre. Sa tâche le frappe d’interdit, lui dont l’esprit est trop profond pour une découverte, trop éloigné de la langue obligatoire. L’enfant ne parle pas. Il s’éprouve à partir d’une fiction, celle de sa douleur mais aussi de l’image où son corps le précède. Inaccessible. Un monde est nécessaire où les espaces de l’enfant pourraient s’articuler. L’enfant est une douleur. Il voudrait sur l’instant prendre feu mais une loi le lui interdit. De cette loi le règne est appelé à s’étendre et l’enfant apprenant à parler en devient le juge et la partie.
DEVANT UNE PHOTOGRAPHIE
L’avenir de l’image en établit le temps. Elle ignore le surgissement du regard dont elle subit l’expression. Il s’en est fallu d’un retrait, il s’en est fallu d’une explosion de lumière dans l’écart où le corps se dispose, fidèlement proche de sa mort. Le double advient dans la précipitation de l’œil. La puissance du matin. L’effondrement de l’espace à l’instant de la figure. Son portrait balaie le visage comme une pluie. Reste dans le temps de la pose le désir d’en finir au plus vite mais là aussi il en va d’une fiction.
Hervé Piekarski, L’État d’enfance, II, Flammarion, 2016, pp. 11 à 15.


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