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Le choc des cultures

Par Nanne

" Il imaginait de silencieux villages ancestraux ramassés autour de leurs vieux clochers, de sinueux vignobles, de joyeux paysans lui proposant de goûter leurs spécialités fromagères, un paysage vallonné, où les campagnards menaient une vie sans anicroches, fidèles à la même maison, à la même ferme, aux mêmes amis, et mourant en toute quiétude dans leur terroir. Un monde bien loin de son existence de cadre moyen américain, agitée par les multiples acquisitions de Honeywell. Cette vision le rassurait [...]".
Voilà la vision idyllique de la France, selon Jonathan Bradley, cadre chez H & T, groupe international dont le siège social est basé à Dallas, Texas. Lorsque son big boss lui propose un poste de directeur dans une vague entreprise de robinetterie d'une centaines d'employés - Fabre Frères - il trouve bizarre que H & T ait investi ses capitaux dans une entreprise monastique. Sans doute, a-t-il mal

compris le discours tenu par celui-ci, parce qu'il lui demande - en plus - de quitter Dallas pour Paris. Or, Paris n'est qu'à cent cinquante kilomètres de Dallas, à la frontière de l'Oklahoma. Aussi, lorsque Bradley prend conscience qu'il a confondu Paris-Texas et Paris-France, ce n'est là que le début d'une longue épopée semée d'embûches en tous genres.Et ce n'est qu'un début. Sur les lieux de
Et l'aventure commence dès sa descente d'avion, par la prise de contact avec l'ancien propriétaire de Fabre Frères, Bradley débarque dans un monde totalement méconnu de l'Américain moyen et texan : celui de la vieille Europe avec des bâtiments ancestraux à la décoration digne du meilleur goût des années psychdéliques. De toute Fabre Frères, M. Fabre de Beauvais. Outre la barrière - quasi infranchissable - des subtilités de la langue française et du milieu social, Bradley se heurte à des recommandations quelque peu incongrues concernant le personnel de la société. "- Ne vous laissez pas faire ! Surtout, pas de concessions. Si jamais vous cédez, ils ne vous laisseront jamais tranquille. Ils n'ont que deux mots dans leur vocabulaire : "toujours" et "plusé. Vous me comprenez ? - Oui, je crois ... - Dites-moi. Savez-vous ce qu'est le code du travail ? les RTT ? Avez-vous entendu parler de l'Urssaf ? - Non, répondit Bradley, et il pensa : Miss Bennett ne m'a jamais appris ces mots-là".

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façon, H & T a annoncé la couleur avant son départ. L'objectif de Bradley est de transformer l'usine pour la rendre rentable, réduire tous les coûts de production et la revendre avec une plus-value. Dont acte. " Oui, il remettrait l'entreprise Fabre Frères sur les rails du profit, coûte que coûte, en élaborant des solutions qui conviendraient tout autant à Honeywell qu'au personnel de l'usine. Il allait travailler d'arrache-pied pour y parvenir, parce qu'il savait pertinemment que le travail était le seule solution aux problèmes du monde des affaires. Travailler, travailler encore et toujours travailler, c'était son credo, sa religion".
Une première prise de contact avec les ateliers en compagnie de l'ingénieur de Fabre Frères lui permet d'entrevoir l'ensemble des difficultés à venir, dont celle du dialogue social avec les syndicats. Dès son arrivée, c'est en délégation qu'ils lui font part de leurs revendications, y mêlant allégrement la politique expansionniste de Washington, la guerre en Irak et les horreurs de Guantanamo, ainsi que les subventions indirectes du Pentagone à Boeing. Mais qu'est-ce que tout cela a à voir avec la fabrication de robinets et autres mitigeurs ? Petit à petit, Bradley abordera d'autres aspects - beaucoup plus inquiétants - de Fabre Frères. A commencer par l'état catastrophique des finances. Outre les problèmes de compréhension monétaire entre

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qui parle en milliers d'€uros et la comptable en anciens francs - aboli depuis plus de cinquante ans - c'est surtout la réalité concernant la situation financière de l'entreprise qui donne des suées au nouveau directeur. Elle se trouve à des années-lumière de la rentabilité. Seule solution, rapide et expéditive, réduire les coûts salariaux en licenciant du personnel.
Un Américain en Picardie" de Ted Stanger est une satire douce amère que le monde de l'entreprise en France, et plus largement sur la société française, vue par un Américain. Journaliste à Paris depuis 1993 pour différents magazines et journaux
Aussi, lorsque Bradley annonce l'état des pertes et les proposition de réformes aux syndicats, c'est une véritable levée de boucliers. " Le personnel s'opposa farouchement à chaque proposition de réforme. Lorsqu'il mit en avant des horaires plus flexibles, Jojo évoqua l'article 212-6. Ce type était capable de citer des extraits entiers du code du travail, comme l'aurait fait un prédicateur avec le Nouveau Testament". Mais quand Bradley menace de fermer Fabre Frères si les pertes se poursuivent, c'est une grève qu'il déclenche. La première grève de sa vie professionnelle. Il en sera presque reconnaissant aux Français de cette expérience unique pour un Américain.
"

américains, Ted Stanger fait le tour de nos habitudes de contestataires permanents, de personnages ubuesques et pleins de contradictions. Il nous montre la France administrative et paperassière. Pour une simple démarche, tout prend un temps infini. Il compare le fonctionnement - parfois sclérosant - des entreprises françaises à celui des Etats-Unis. Un monde nous sépare, fait d'incongruité, d'incompréhension, de cultures et d'adaptation aux situations économiques et sociales différentes. C'est un ouvrage très drôle, parfois cynique, où chaque événement est tourné en dérision. Un regret, toutefois. Il aurait peut-être gagné s'il n'avait pas été écrit comme un roman.


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