Virgile et sa femme Judith vivent dans ce coin retiré de notre France profonde qu’est le plateau de Millevaches, en Corrèze. Une ferme, pilier de plusieurs générations, cernée par la terre humide et les embruns imprégnés de châtaigniers et d’épicéas. C’est ici que Franck Bouysse plante son décor, c’est ici qu’il va faire évoluer des personnages rudes, des histoires lourdes, à l’image des hivers glacés et brumeux qui blanchissent plusieurs mois durant le Plateau.
Dans ce même hameau vit Georges, le neveu qu’ont élevé Virgile et sa femme après qu’il ait perdu ses parents. Et Karl, un homme qui a atterri sur ces terres arides fuyant on ne sait quel passé. La vie s’écoule autour de ce petit monde, une vie modelée sur des secrets enfouis toujours plus profondément au fil du temps qui s’allonge…
Puis, Cory arrive sur le Plateau.
De la lecture de Grossir le ciel, le livre précédent de l’auteur, j’ai retenu la sobriété du récit, l’économie de mots pour aller à la justesse du propos. Nous étions dans les Cévennes, et le texte était raccord aux paysages sauvages, aux personnages d’une époque oubliée. Des mots justes, des mots qui touchent dans leur simplicité. C’est ce que je voulais retrouver dans « Plateau ». Et dans un sens, je l’ai eu.
Virgile sent l’haleine rejetée par les portes ouvertes de l’étable. L’odeur des bêtes a survécu, plaquée par-dessus celle du foin qui n’a pas été consommé et celle de la crasse qui recouvre les pierres sur lesquelles Virgile pourrait encore lire en braille chaque roc et chaque frôlement fossilisé.
Des images simples qui nous terrent dans les lieux. Virgile sent l’haleine rejetée par les portes ouvertes de l’étable et nous aussi. Et ce talent mis en œuvre pour que l’on vive de tous nos sens le Plateau se retrouve dans les personnages. Des paysans taiseux, bourrus, des vies rudes, des secrets assassins.
Le café du matin devint un rituel. Ils alternaient chez l’un et chez l’autre, mélangeant de mieux en mieux leurs mots et leurs silences.
Mais parfois, les mots ne sont plus si épurés, voilà que le texte se veut plus lyrique, voilà que l’auteur s’appuie sur des métaphores plus lourdes. Je n’ai pas compris à quelles fins ce décalage entre un terrain âpre et des mots qui chantent de trop sur certains tableaux et j’étais heureuse de retrouver après ça des dialogues plus authentiques. Cela n’a néanmoins pas terni ma lecture, juste un sourcil relevé sur des passages appesantis. J’ai préféré me laisser porter par la tension dramatique autour de chaque personnage, me laisser prendre au tragique de ses vies sacrifiées.
« Plateau » est un roman d’une noirceur addictive, à l’écriture poignante, Franck Bouysse a une plume qui arrache de la terre ses drames les plus ensevelis.
Et j’y reviendrai.
La Manufacture de livres (2016)
301 pages