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« L’invention n’est pas source de valeur, la transformation du produit, oui »

Publié le 18 avril 2016 par Pnordey @latelier

En quoi les brevets peuvent-ils parfois freiner la dynamique de création ? Réponse avec Hacène Lahrèche, scientifique français faisant partie de l'équipe dirigeante de La Paillasse, premier laboratoire citoyen d'Europe.

Selon l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) « le brevet est souvent utilisé comme un indicateur de l'innovation, afin de comparer entre elles les performances de pays, de régions, de firmes ou de secteurs technologiques ». Et si l’innovation pouvait justement s’affranchir de la protection industrielle pour exister ? Qu’adviendrait-il alors des inventions, des savoir-faire et des investissements judicieusement placés dans la recherche si l’on mettait la technique en open source ? C’est ce que nous avons voulu savoir en interrogeant Hacène Lahrèche, administrateur de La Paillasse.

Cet ancien chercheur, aujourd’hui expert dans l’entrepreneuriat innovant, milite pour une recherche citoyenne libre, dans la mouvance de la « Do It Yourself Biology » venue des Etats-Unis. C’est hors des sentiers battus qu’il a rejoint l’équipe de La Paillasse en 2014, le premier laboratoire citoyen ouvert à tous en Europe. La particularité du lieu ? Ouvrir les sciences aux amateurs, permettre aux jeunes entrepreneurs d’avoir accès à des laboratoires à bas coût et surtout œuvrer pour la liberté du savoir. Tour d’horizon des avantages d’une économie où le dépôt de brevet ne serait pas légion.

Un ouvrier dans une usine.

En quoi le brevet est-il encore si important pour commercialiser un produit ?

Dans certains secteurs, le brevet reste encore une condition sine qua non de démarrage d’activité. Les investisseurs ne s’intéressent aux entreprises que si elles ont déposé des brevets pour leurs produits, c’est une assurance. Dans la pharmacie par exemple, on dépense des milliards pour le développement d’une molécule. Et pour s’assurer de rentabiliser ces investissements, il faut être le seul à pouvoir la commercialiser. Je suis persuadé qu’il y aurait des moyens alternatifs, mais le dogme dit que non.

Si on ne protège pas une invention, on démultiplie les possibilités d’amélioration du produit. On n’a plus cinq bonshommes qui s’échinent à développer quelque chose en secret, mais une communauté de personnes qui ont besoin de l’outil ou envie de le voir évoluer. Ils vont alors s’investir pour le développer.

Alors, comment s’en sortir sans déposer de brevet ?

Justement, à côté de ces filières qui dépendent de la brevetabilité, d’autres permettent de faire de grandes choses sans besoin de protection. Il faudra alors miser sur la qualité réelle et la qualité perçue. C’est en effet ce qui, même avec un brevet déposé, fait que deux produits similaires se concurrencent.

J’ai eu un jour un projet que je n’ai jamais lancé par manque de temps. Il s’agissait de fabriquer des capteurs à bas coût pour analyser la pollution des sols en agriculture. Si je l’avais développé en open-source, on aurait pu imaginer qu’une société d’un pays riche le vende en kit perfectionné et propose de faire les mesures à des paysans aisés. Mais aussi, un homologue dans un pays pauvre aurait pu développer la chose a minima en faisant en sorte que les exploitants assemblent eux-mêmes les composants et fassent leurs propres mesures. Dans chacun de ces modèles, la société qui commercialise le produit va faire une marge. Et typiquement, ici, ce n’est pas le savoir de fabrication qui est source de valeur, c’est la manière de transformer le produit et de le vendre.

Inside a smartphone

Que pensez-vous des grands acteurs industriels qui misent aujourd’hui sur l’open source ?

Chez Tesla et d’autres, il y a aujourd’hui une grande tendance dans laquelle la liberté du savoir est un sujet d’avenir.

Il y a deux ans, Tesla a ouvert tous ses brevets. En effet, à cause des milliers de brevets déposés, personne ne pouvait utiliser ces savoirs. Leurs technologies ne se développaient pas. Ils ont essayé de voir quels étaient ceux qui suscitaient l’intérêt. On peut imaginer que l’ouverture des brevets permet une sorte de sélection naturelle des meilleurs d’entre eux et donc de se concentrer sur ceux qui ont le plus fort potentiel. Après, tout est potentiellement permis, du rachat de sociétés aux partenariats stratégiques avec les plus pertinentes.

Cette récupération par les grands groupes n’est-elle pas justement dangereuse pour la liberté du savoir ?

C’est un débat. Pour ma part, je ne pense pas. A partir du moment où une technologie est libre, cela ne me gêne pas si elle est transformée en quelque chose d’économiquement viable. De toute façon, il faut bien que la valeur se crée quelque part.

A l’échelle citoyenne, comment peut-on utiliser le savoir libre ?

D’une part, le scientifique est avant tout un citoyen. Et les recherches citoyennes sont celles qui se développent dans un laboratoire ouvert tel que La Paillasse, loin des grands organismes publics comme le CNRS et les universités.

D’autre part, outre la recherche pure, un laboratoire ouvert peut permettre de réintéresser les gens aux sciences. On a tous un smartphone, mais qui connaît la quantité de savoirs qu’il y dedans ? Qui sait que l’écran de l’iPhone catalyse à lui seul 40 ans de recherches ? Si seulement on pouvait réintéresser les gens sur la manière dont les choses sont fabriquées, on pourrait propager un état d’esprit curieux et pourquoi pas susciter des vocations.

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