Son contexte : Mme Agnès Saal, haut fonctionnaire au ministère de la Culture, PDG de l'Institut national de l'Audiovisuel en 2014, est dénoncée en avril 2015 au conseil d'administration de cet organisme par une note interne anonyme, pour l'utilisation abusive de taxis aux frais de l'État, alors qu'elle dispose d'un véhicule de fonction avec chauffeur à plein temps. L'ardoise, en seulement 10 mois, a dépassé les 40 000 euros, à son profit et celui de sa famille...
Poussée à la démission de son poste par Fleur Pellerin, ministre de la Culture, elle est suspectée d'avoir laissé une ardoise bien plus lourde encore au cours de ses 7 années de direction du centre Georges-Pompidou (selon les sources les dépenses varient de 100 000 à 400 000 euros). Ces diverses révélations ont provoqué la montée au créneau de quelques privilégiés de la république " solférinienne ", en un réflexe tribal de défense de l'accusée, dans les pages d'une certaine presse parisienne couramment indignée par le vice - pourvu qu'il soit de droite (un exemple, ici)...Mais, de façon plutôt inattendue, pas toute ladite presse. D'où ce post, censé faire suite à un premier billet d'humeur sur l'affaire.
Depuis, l'héroïne a été suspendue pour 2 ans de la Fonction publique (dont 6 mois sans traitement) en janvier 2016, et vient d'être doublement condamnée pour " détournement de fonds publics " : pour ce qui concerne l'INA, à 4500 euros d'amende et 3000 euros de dommages-intérêts au bénéfice de l'association Anticor (tribunal correctionnel de Créteil) ; pour ce qui concerne le centre Pompidou, à 3 mois de prison avec sursis et 3000 euros d'amende (tribunal de Paris).
Propos républicains
Il y a un peu plus de deux semaines, on se désolait sur ce blog ( ici) des mauvaises manières faites à la présidente de l'INA, Agnès Saal, administratrice générale (corps des administrateurs civils) et incarnation de la méritocratie républicaine : sa ministre de tutelle venait de sèchement l'abandonner aux chiens - ainsi aurait dit l'autre François - au prétexte spécieux que, n'ayant pas le permis de conduire, elle aurait eu recours, sa famille et elle, à quelques taxis parisiens aux frais de la princesse, quand le chauffeur qui lui était affecté à plein temps se trouvait en RTT. Aurait-on préféré qu'abusant de son autorité, elle enchaîne à son volant le malheureux employé, au mépris du code du travail ? Et qu'elle fasse fi ainsi de l'habituelle bienveillance de la gent de gauche envers la classe besogneuse ?
Les persiffleurs ont bien pu persiffler, et compter les dizaines de milliers d'euros que cela avait coûté au budget de l'État, comme les épiciers empilent les piécettes de leurs tiroirs-caisses - mais qu'attendre de gens sans culture ? Heureusement, hormis quelques libelles de plumitifs réactionnaires, ou d'indécrottables jansénistes, la presse de bon ton sut éviter comptes-rendus indélicats et commentaires nauséabonds ( nauséabond : à dire désormais dès que la noblesse d'État est mise en cause par ceux d'en-bas).
Coite disons-nous, toute la presse du bon ton citoyen ? Pour être honnête, non. Il y eut au moins une exception, et de taille : l' Obs, l'un des plus emblématiques magazines, pourtant, parmi les diffuseurs du prêt-à-penser moral. Organe officieux de la bourgeoisie social-libertaire, celle des beaux quartiers du faux-semblant - accapareuse et cynique autant que l'autre, celle de la " droite " et du libéralisme sans entraves, mais ointe, elle, du saint-chrème de la vertu originelle -, le journal n'en a pas moins rendu compte sans complaisance du fait divers. Et avec même une pointe de sévérité peu ordinaire, d'autant plus inattendue, à cette dose, qu'elle s'adressait finalement à l'une de ses sœurs de caste.
Une fois n'est pas coutume, sachons reconnaître ce bel exercice critique, et la qualité de la remontrance qu'on pourrait qualifier, même si l'expression n'est qu'un lieu-commun, de propos républicains - car justement, " commun ", ce civisme ne l'est plus tellement.
Quelques extraits pour finir : " Dans un pays meurtri par une austérité qui ne dit pas son nom, l'affaire Saal est un poison qui nourrit la défiance et le populisme. [...] Le service de l'État est une mission et non un passe-droit. L'exemplarité n'est pas un luxe, elle est le ciment indispensable du pacte républicain au moment où chacun est appelé à l'effort pour le bien de tous. " Signé Matthieu Croissandeau, l' Obs numérique, édito du 27/05/2015 : " Agnès Saal et les taxis de la République ".