Il est toujours intéressant de suivre dans le temps une artiste comme la plasticienne libanaise Zena Assi, de mesurer l’évolution qui s’opère dans sa création, de tenter de comprendre les sources où elle puise ses nouvelles inspirations. Lors de ma dernière visite dans son atelier, en 2012, son œuvre accordait une vaste place à Beyrouth. Sur ses toiles, la jungle urbaine s’organisait en strates architecturales, dans une verticalité qui reposait sur les bases nécessairement solides d’une cité certes flirtant toujours avec le bord du gouffre, mais enracinée au cœur des millénaires.
Aujourd’hui, les conflits qui balaient le Proche-Orient précipitent des populations entières sur les routes, sur les mers. Pour ces réfugiés, la ville perd son caractère statique. Cet exode trouve un écho dans le travail récent de l’artiste, comme en témoigne son exposition de la galerie Artsawa de Dubai. Son titre, My City Shore, traduit ce mouvement, dans la mesure où les villes, progressivement désertées, finissent par perdre leur réalité tangible, leurs frontières. La situation s’inverse : les habitants ne sont plus installés dans un espace urbain une fois pour toutes délimité, c’est cet espace qui s’évanouit et se recrée plus loin au gré des migrations.

Zena Assi n’apporte aucune réponse géopolitique, car tel n’est pas son rôle ; elle affirme le ressenti d’une artiste confrontée à un drame humain. «My City» ne doit donc pas seulement être pris au sens personnel de la créatrice qui se partage entre Londres et Beyrouth, mais aussi dans son acception universelle; c'est la ville de chacun dont il est ici question. Voilà pourquoi, si ses paysages urbains demeurent, ils n’en ont pas moins changé de nature. Aux « millefeuilles de béton » (c’est ainsi que j’avais qualifié la thématique de ses principales toiles de 2012) fermement ancrés sur une terre plus ou moins rassurante, se substitue un enchevêtrement instable, fragile, posé sur des supports mouvants ou précaires.
Les deux toiles intitulées My City nested on a Tank (100 x 100 cm) rappellent la dimension conflictuelle de l’environnement, mais aussi ces véhicules civils sur lesquels des familles entassent à la hâte le mobilier et les effets personnels qu’elles tentent de sauver. Un autre plasticien libanais, Ayman Baalbaki, avait représenté à sa manière cet exode en 2010 dans son installation Destination X.
Chez Zena Assi, les symboles s’accumulent ; il faut regarder ses tableaux de près pour distinguer chaque détail dont certains peuvent renvoyer à des œuvres plus anciennes. Le personnage mélancoliquement assis sur le canon du char (My City on a Tank 2), insolite, inattendu, rappelle, par exemple, Nude 2, une toile de 2012 qui, avec le recul, semblait prémonitoire. D’autres éléments du décor n’en sont pas moins dérangeants : ainsi, la présence récurrente d’affiches publicitaires (pour des produits de consommation, des produits de luxe, de grandes entreprises du Net) souligne qu’en dépit de la situation, la vie continue et le commerce reprend ses droits.

