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Tonino Benacquista, Saga

Par Ellettres @Ellettres

Afficher l'image d'origineLe talent d’un scénariste se mesure à sa capacité à créer un monde autonome, avec ses lois, ses lignes de force, ses personnages principaux, ses retournements, son esprit propre. Bref, il arrive qu’un scénariste se prenne pour Dieu lui-même !

C’est un peu l’histoire de Saga qui raconte la saga de quatre scénaristes sur le carreau attelés à la scénarisation d’un feuilleton télévisé appelé « Saga ». Seule contrainte qui leur est imposée : le feuilleton étant destiné à « remplir » les grilles de la chaîne par de la « création française » pour respecter des quotas, il passera entre 4 et 5 heures du matin, ne sera vu que par une poignée de gens et ne doit donc exiger qu’un budget réduit au minimum : scènes exclusivement en intérieur, huit personnages au maximum. A partir de là, Louis le quinqua has-been, Mathilde la romancière à l’eau de rose, Jérôme le créateur plagié et Marco le narrateur, jeune poulain voulant à tout prix entrer dans la profession ont carte blanche, ils peuvent faire littéralement « n’importe quoi ». Et ils ne vont pas s’en priver ! Partant du schéma classique de deux familles voisines de palier dont le profil social s’oppose, ils vont progressivement dévier vers les situations les plus invraisemblables, au grand bonheur de leurs fans qui ne font que s’accroître, contre toute attente.

C’est un peu l’histoire de Tonino Benacquista, lui-même scénariste pour la télévision et le cinéma. Il en profite pour épingler avec bonheur le petit monde des scénaristes, des producteurs et des patrons de chaîne, les phénomènes d’identification de masse suscitées par certaines séries TV dans le public, et tout le pataquès intellectuel qui est servi par les sciences sociales autour de ces émissions cultes, cherchant des sens profonds et cachés à des histoires qui n’étaient au départ écrites que pour amuser la galerie ou satisfaire un cahier des charges. A dessein ou à son insu, Benacquista nous offre un aperçu saisissant du pouvoir transformant de la fiction, mais aussi de sa capacité à prévoir l’avenir : ses scénaristes n’imaginent-ils pas une scène de catastrophe apocalyptique s’abattant sur New York dans leur « Saga », alors que Saga – le livre – a été publié trois ans avant un certain 11 septembre 2001 ?

Si j’ai vraiment beaucoup aimé toute la première partie concernant le processus de création de « Saga », j’avoue que la deuxième partie me semble « partie en vrille » dans une forme de surenchère scénaristique (retrouvant ici le même phénomène qui atteint les créateurs de la série dans le roman !). L’auteur prend visiblement plaisir à malmener et balader ses propres personnages vers des destins inattendus et pour le moins surprenants, comme l’ont fait les quatre mousquetaires avec leur « Saga ». Le final m’a quand même vaguement renvoyé à la thématique développée par Antoine Bello dans Les Falsificateurs, ce qui m’a fait sourire. Et je me suis rendue compte que ces deux romans, qui mettent en scène des scénaristes mettant en scène le monde, provoquaient un peu le même genre d’effet légèrement addictif chez le lecteur, peut-être parce qu’on se retrouve catapulté dans des univers bien particuliers et un peu fermés dont les personnages deviennent extrêmement attachants, et les lois propres génèrent sans peine des rebondissements mais aussi des réflexions plus sérieuses sur certains aspects de notre monde actuel, dont ils sont le miroir grossissant : le CFR ou les coulisses de « Saga », des sortes de micro-sociétés observées au microscope par des auteurs un peu démiurges ? Chiche !

Oups, je risque de tomber dans le travers de la surinterprétation intello de ce qui est surtout un bon divertissement qui fleure bon les années 1990 et les délires fin-de-siècle et fin-de-millénaire qui me semblent caractériser cette période a posteriori.


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