Magazine Culture

Présence des compagnons passants tailleurs de pierre lors de la pose de la première pierre de l'Hôtel de ville d'Avignon, le 29 mars 1846.

Par Jean-Michel Mathonière

Au gré de mes recherches sur les compagnons tailleurs de pierre, je viens de dénicher cette intéressante mention relative à l'exécution d'une cérémonie compagnonnique, le Devoir, lors de la pose de la première pierre du nouvel Hôtel de ville d'Avignon, le 29 mars 1846. Le déroulement de celle-ci nous est connu par une longue note de Marius Lechalier dans ses Annales municipales de la ville d'Avignon (de 1790 à nos jours), Imprimerie administrative (Avignon), 1929 ; 1er vol. (1790-1848), pp. 356-360. Je la reproduis ici in-extenso,la mention concernant les compagnons (passants) tailleurs de pierre se trouvant à la fin.

Présence des compagnons passants tailleurs de pierre lors de la pose de la première pierre de l'Hôtel de ville d'Avignon, le 29 mars 1846.
La place de l'Horloge vers 1880 d'après une photographie du blog Avignon par Michel Benoît ;-)

Si cette mention ne nous décrit pas la cérémonie, elle a le mérite d'attester du fait que les compagnons de ce métier jouissent alors d'une parfaite reconnaissance de la part des pouvoirs publics. Par ailleurs, je ne connais pas d'attestation semblable pour d'autres édifices, même si l'on doit supposer qu'avant même la Révolution de 1789, la participation des compagnons tailleurs de pierre à la pose de la première pierre était de mise, ainsi qu'en atteste par exemple la plaque de fondation retrouvée dans le théâtre de Marseille, construit en 1786 sous la direction de compagnons passants tailleurs de pierre dont le principal était Joseph Ponge, dit La Douceur d'Avignon, le dessinateur du frontispice du Rôle des CPTDP d'Avignon de 1782.

...


Procès-verbal de la pose de la première pierre l'Hôtel de Ville.

L'an mil huit cent quarante-six et le vingt-neuf mars, sous le règne de Louis-Philippe Ier roi des Français, M. Eugène Poncet étant maire d'Avignon, MM. Martin Moricelly et Auguste Clauseau, adjoints, la première pierre de l'Hôtel de ville a été solennellement posée.
Les an et jour susdits les personnes invitées se sont réunies dans un salon de l’Hôtel de ville provisoire.
Elles en sont parties à midi 3/4 pour se rendre sur le lieu de la cérémonie.
M. le Préfet du département, M. le Maréchal de camp commandant la subdivision, M. Auguste Clauseau adjoint à la mairie, MM. les membres du conseil municipal, M. le Président de la chambre de commerce, MM. les conseillers de Préfecture, M. l'Ingénieur en chef, Directeur de la vallée du Rhône, M. l'Ingénieur en chef du département, les chefs de corps en garnison à Avignon et un grand nombre de fonctionnaires accompagnaient M. le Maire.
M. l’adjoint Martin Moricelly était malade et n'avait pu se rendre à la cérémonie.
M. le Maréchal de camp commandant les militaires invalides s'était rendu directement sur les lieux.
Le cortège a été reçu par M. l'architecte de la ville, Directeur des travaux, les entrepreneurs et les nombreux ouvriers du chantier.
L'entrepreneur Doutavès dit Olivier a adressé à M. le Maire au nom des ouvriers le discours suivant :
« Monsieur le Maire,
« La providence avait réservé à votre patriotisme le soin de remplacer le monument de l'ancienne commune avignonnaise par un monument plus en rapport avec le goût de notre siècle. Pour arriver à ce résultat votre persévérance a vaincu toutes les difficultés, surmonté tous les obstacles. Grâce à cette louable ambition de faire le bien, la ville d'Avignon vous sera redevable d’établissements utiles qui changeront l’antique physionomie de la vieille cité des Papes. A cette construction à laquelle vous présidez aujourd’hui, ne se borneront point les projets que vous avez conçus, votre sollicitude s’étend sur toutes les améliorations dont nous donnent l’exemple nos heureux voisins que vous imitez avec tant de zèle.
« Vous posez aujourd'hui la première pierre de l’édifice où se discuteront les intérêts de la cité, discussions, qui dans ce temps de libre contrôle, rappellent ces temps éloignés du moyen-âge où les hommes des communes venaient défendre les franchises des villes et la nationalité provençale contre l’usurpation des hommes du Nord.
« Honneur à vous, Monsieur le Maire, dont la laborieuse carrière, dans tous les moments de la vie sont consacrés à faire le bien, à doter le Pays de monuments qui diront à la postérité que c’est à vos soins, à votre persévérance qu’il le doit.
« Heureuse ville qui se glorifiera un jour d’avoir eu un Magistrat qui n’a reculé devant aucun obstacle, et qui a soutenu courageusement le fardeau que lui imposait le patriotisme le plus désintéressé. »
Monsieur le Maire a répondu :
« Monsieur,
« Je vous remercie des sentiments bienveillants que vous m’exprimez et de la confiance que vous avez dans mon administration.
« Il semble que vous avez deviné ma pensée pour les améliorations de toute espèce que notre ville réclame. Je tâcherai de les réaliser, mais pour cela j’ai besoin de votre concours et de l’appui général.
« Je suis heureux de me trouver au milieu de vous en ce jour, et je fais des vœux pour que nous puissions nous retrouver tous ensemble pour l’inauguration du monument qui va s’élever sous vos habiles mains. »
M. le Curé de la paroisse de St-Agricol est alors arrivé accompagné de son clergé, il a été reçu par M. le Maire.
M. le Curé s’est placé sur une estrade qui avait été préparée au dessus de la tranchée et a prononcé quelques paroles analogues à la circonstance.
Il a dit que les représentants de la cité avait autrefois dans une délibération qui existe aux archives, placé la ville d’Avignon sous l’invocation de St-Agricol  ; il s’est applaudi que M. le Maire, fidèle aux antiques croyances de nos pères, avait eu l’heureuse pensée d’appeler l’église à bénir la première pierre du monument qui va s’élever. Après avoir félicité ce magistrat d’avoir réalisé le vœu tant de fois exprimé par la population de voir réédifier l’Hôtel de ville, et complimenté l’habile architecte, auteur du projet, il a prié le Ciel de préserver de tout danger les nombreux ouvriers appelés à concourir à la nouvelle construction.
Il a ensuite béni la première pierre.
M. Le Maire s’est alors avancé au bord du fossé et à un prononcé un discours reproduit ci-après :
« Messieurs,
« Depuis de longues années, un désir vivement exprimé par tous nos Concitoyens, était la reconstruction des vieux bâtiments qu’on appelait du nom d’Hôtel de ville.
« Quels que fussent les souvenirs qui se rattachaient à ces constructions agglomérées et appartenant à diverses époques, il faut reconnaître que leur aspect informe et presque misérable ne permettait pas de les conserver.
« Lorsque le progrès nous entoure et nous presse, lorsque toutes les villes marchent, créant du travail pour les classes laborieuses, rivalisant de zèle et de généreux efforts pour tout ce qui est amélioration ou embellissement, Avignon ne pouvait rester stationnaire. Elle ne doit pas être en arrière et au dessous de ses rivales. Beaucoup est à faire, c’est une raison de plus de se hâter, car la perte de temps est irréparable.
« L’activité et le travail caractérisent l’époque où nous vivons. Chaque jour voit se réaliser de grandes et utiles entreprises, s’élever des constructions que les besoins ou les convenances réclament. Au milieu de ce mouvement général qui nous environne, notre devoir était de réunir nos forces pour sortir, s’il était possible, d’une longue et désastreuse apathie.
« L’édifice dont nous allons poser la première pierre sera j’espère le commencement d’une série de travaux dont plusieurs sont d’une extrême urgence, d’une exécution facile, et pour lesquels il ne faut qu’un peu de temps et du bon vouloir,car nous avons des ouvriers habiles et des architectes capables de les bien diriger.
« Je leur dirai :
« Mes amis nous commençons aujourd’hui un travail long et pénible sans doute, mais c’est du travail que vous demandez ; Enfants d’Avignon c’est du travail à Avignon que vous aurez. Ces entreprises seront doublement utiles ; elles le seront dans l’intérêt général et dans celui de vos familles.
« J’ai besoin de cette pensée qu’en sacrifiant au service public mon temps, mon repos, et la plus grande partie de ma vie, j’aurai pour consolation de tous les ennuis dont on voudrait m’accabler, la conviction d’avoir fait tout ce qu’il était possible de faire pour le bien de mon pays, et surtout pour le bien-être des travailleurs. C’est mon vœu le plus cher, le seul but de mes efforts. »
Après ce discours qui a été accueilli par des applaudissements, M. le Maire est descendu dans la tranchée.
Il a déposé dans une (boëte) en bois de cyprès deux médailles gravées portant l’inscription suivante :
« Reconstitution [sic] de l’Hôtel de ville d’Avignon.
Eugène Poncet, officier de la légion d’honneur, Maire ; Martin Moricelly, chevalier de la légion d’honneur ; Auguste CLauseau chevalier de la légion d’honneur, adjoints ; Joffrey, architecte.
29 mars 1846.
Sous le règne de Louis-Philippe.
J. Pascal, officier de la légion d’honneur et de l’ordre de Charles III d’Espagne, étant Préfet de Vaucluse. »
Plusieurs monnaies d’or et d’argent ont été également déposées dans la même (boëte).
Savoir :
Une pièce de 40 fr. millésime de 1834 ;
Une pièce de 20 fr. millésime de 1845 ;
Une pièce de 5 fr/ millésime de 1846 ;
Une pièce de 2 fr. millésime de 1845 ;
Une pièce de 1 fr. millésime de 1845 ;
Une pièce de 0,50 millésime de 1846 ;
Une pièce de 0,25 millésime de 1845.
La (boëte) en bois de cyprès a été placée dans une (boëte) en plomb qui a été soudée en présence des assistants.
Le tout  a été déposé dans une cavité pratiquée dans le première pierre. M. le Maire a pris alors du mortier avec une truelle en argent qui lui a été offerte par les entrepreneurs et a cimenté les crampons en fer placés au dessus de la cavité. Il a étendu ensuite une couche de mortier sur la première pierre, une seconde pierre a été placée au dessus. M. le Maire a frappé trois coups sur celle-ci et après lui M. l'adjoint Auguste Clauseau.
Les entrepreneurs ont réuni les deux pierres par des crampons en fer, et en ont cimenté les joints.
Les membres de l’association des compagnons tailleurs de pierre sont ensuite descendus dans la tranchée et se sont livrés aux pratiques de leur devoir.

La cérémonie achevée le cortège est rentré à l’Hôtel de ville provisoire.

Fait et dressé le présent procès-verbal à double original.

(Suivent les signatures).

La famille Doutavès, mentionné ici comme étant celle de l’entrepreneur dit Olivier, compta plusieurs compagnons passants tailleurs de pierre dans son sein. Les frères Claude et Joseph Doutavès, primés dans les cours de stéréotomie et d’architecture de l’école gratuite de dessin d’Avignon en 1829-1830, ont suivi ensuite à l’école royale gratuite de dessin de Paris les cours du célèbre CPTDP avignonnais Jean-Paul Douliot (Avignon 1788-1834), dit La Pensée d’Avignon.

Il serait intéressant de voir si l'on a trace de la truelle en argent offerte au maire par les entrepreneurs lors de cette cérémonie et qui portait probablement des inscriptions et emblèmes.

Présence des compagnons passants tailleurs de pierre lors de la pose de la première pierre de l'Hôtel de ville d'Avignon, le 29 mars 1846.

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Jean-Michel Mathonière 17310 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte

Magazines