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Journal d’un (faux) enseignant – Épisode 7 : Les jeunes et la musique

Publié le 29 avril 2016 par Swann

- Vous faites quoi avec vos téléphones ?
- On s'envoie nos chansons par Bluetooth !
- Et vous les avez eues où, vos chansons ?
- Ben sur internet !
- Donc vous piratez les artistes ?
- Hein, ça veut dire quoi ?
- Ben, il faut payer pour la musique, c'est pas gratuit. Si vous téléchargez gratuitement, c'est que c'est pas légal ?
- Ben non, c'est internet, c'est gratuit la musique !

Plus que l'enseignement, ce que j'aime, ce sont les sorties scolaires (qu'elles soient organisées par moi-même ou des collègues). Ce sont des moments rares dans l'année, où nous pouvons voir nos élèves sous un autre angle et où l'enseignement prend une tournure plus ludique. Certes, nous restons enseignant (méchant, pas sympa), mais notre comportement est plus naturel et moins rigide qu'en classe (enfin, si la classe se comporte bien !).

J'aime cette pédagogie hors établissement. Cependant, cette sortie avait quelque chose d'un peu différent par rapport aux années précédentes. Pour la première fois dans ma vie d'enseignant, je n'ai vu aucun élève de ma classe être blasé par la sortie. Certes, ils râlaient à cause du froid (en même temps, un adolescent qui ne râle pas n'est pas un adolescent), mais au fond, pour en avoir discuté avec eux, ils étaient heureux de sortir du collège. Au programme, nous devions visiter un château du Moyen-âge en pleine construction et faire quelques activités diverses et variées (dont tailler des pierres). Mais ce qui m'intéresse aujourd'hui, ce n'est pas tant la sortie que les à-côtés de celle-ci.

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Pour ma part, pendant le trajet en bus, j'ai voulu m'intéresser à ce que mes élèves écoutaient sur leur téléphone ou lecteur MP3. Certains ont refusé de me parler, mais pour la plupart, ils ont volontiers partager leur musique. Ils écoutaient du Rihanna (♫ Work, work, work, work, work, work ♫), Maître Gims (♫ Sapés comme jamais, jamais ♫), Black M, Gradur, Jul (au fait, tu savais qu'il avait fait une reprise de Barbie Girl ?), MHD ou un artiste vraiment inconnu pour ma part, Walid (apparemment, c'est un " rappeur " de 13 ans). Outre ce qu'ils écoutent, l'approche qu'ils ont de la musique m'a vraiment passionné. Pour ces jeunes, la musique est gratuite, elle se télécharge sur internet et n'est finalement qu'un fichier audio qu'on se passe les uns les autres par bluetooth ou messenger. Il n'y a plus aucun contact physique avec la musique (copier une cassette, un cd, une clé usb). Tout se fait par les ondes (wifi ou bluetooth).

Alors oui, nous téléchargeons tous - plus ou moins - de la musique. Mais je n'avais jamais pris conscience que cette façon de la consommer avait autant évolué. Je me souviens de mes années lycée. Nous téléchargions de la musique, mais nous en avions conscience. Nous savions dès le départ que ce n'était pas légal. Nous savions qu'internet n'était qu'un outil nous permettant d'avoir accès à une culture de façon gratuite, mais qu'elle existait de façon payante. Je me souviens, comme si c'était hier, écouter Le Mouv', découvrir le premier album des Strokes, de Franz Ferdinand et bien d'autres (Arcade Fire, Libertines, LCD Sound System, White Stripes, et j'en passe). C'était l'époque de l'âge d'or du rock (ou plutôt, essayait-on de nous le faire croire). Alors, quand tant de pépites musicales sortaient et quand tu n'avais pas l'argent pour tout acheter, tu téléchargeais les albums. Et puis, une fois par trimestre, pendant les vacances, tu en profitais pour sortir de ta tirelire 20€ et tu les dépensais dans un album que tu avais téléchargé au cours du trimestre.

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Revenons à 2016 ! Là où je suis choqué, ce n'est pas le fait qu'un jeune télécharge de la musique, mais qu'il ne sache plus que ce geste est illégal et que la musique est payante. Je me suis alors posé une question : qu'avons nous rater dans l'éducation et l'enseignement de l'internet et de la culture, pour que la jeunesse actuelle n'ait plus connaissance de la définition des mots " Culture " et " Internet ". Pendant trop longtemps, Internet a été décrié, on l'a laissé sur le bord de la route. Et le constat est là : nos élèves ont conscience de la puissance d'Internet, mais ne connaissent pas son fonctionnement à 100%. Pour eux, il est un outil où tout est réalisable. Hadopi (oui, tu sais, la Haute Autorité pour la Diffusion des Œuvres et la Protection des droits sur Internet) n'est qu'une grosse blague, qu'ils ne connaissent pas. D'ailleurs, il y a quelques jours, le bac scientifique 2016 pour la région de Pondichéry est sorti. En exercice, les auteurs du sujet ont cru bon de faire un exercice sur Hadopi et le nombre de jeune de 16 à 24 ans, téléchargeant au moins une fois par semaine des fichiers (sujet à découvrir ici). J'imagine la tête des élèves de terminale, quand ils ont vu ce sujet et le terme d'Hadopi.

Non, tout n'est pas gratuit sur Internet. Et surtout pas la culture ! Si des sites de presse ont récemment bloqué leur accès, afin de lutter contre " Adblock " (oui, le grand méchant du web, celui qui empêche des enquêtes de fonds et d'investigation et qui fait baisser les revenus " clics " en cas de Starrgate), la culture est bien loin de ce débat " Adblock " ou " Pas Adblock ". La culture se doit de survivre à une crise majoritairement due aux majors et aux radios, plutôt qu'à internet.

Il y a quelques semaines, dans Folin Hebdo (excellente émission sur France Ô), les journalistes autour de la table avaient fait un débat sur la consommation de la musique en 2016. Est-elle vouée à sa mort ou va-t-elle perdurer ?

Si je reprends les propos de ces journalistes, la musique n'est pas morte et ne mourra jamais. On l'a souvent considérée comme telle, notamment avec l'arrivée des cassettes, des CDs et de l'internet. Malheureusement, si j'en crois les journalistes présents, le problème a été pris à l'envers. La vente de musique en 2016 est assez comparable à celle de toutes les époques, hormis les années 90. Ce n'est pas notre époque qui est atypique, mais ce furent les années 90 qui l'étaient.

Dans les années 60 à 80, les vinyles puis les cassettes étaient rois. Le piratage existait déjà, puisque nous pouvions copier les cassettes et les passer à nos amis. Puis le CD est arrivé. Et il a tout chamboulé dans l'industrie musicale. Il a fait beaucoup vendre pour deux raisons. La nouveauté et surtout, l'envie de réécouter d'anciens albums sur un nouveau format. L'achat d'anciens et de nouveaux albums a rendu le CD comme un objet musical incontournable.

L'arrivée de la copie sur CD vierge ou du transfert sur PC n'a rien changé. Il n'a pas engendré d'énormes baisses de ventes. Le vrai changement s'est effectué avec l'arrivée des plates formes comme Spotify/Deezer ou Youtube/Dailymotion. Oui, les ventes physiques ont irrémédiablement baissé. Mais, si on ajoute, à ces ventes, le nombre d'écoutes ou de vues de certains titres, le bruit médiatique des titres actuels est identique à celui des années 90. Le seul hic vient du système économique. Quand un single coûtait 10 Francs à l'époque, une chanson sur Youtube ou Deezer ne rapporte plus que quelques centimes.

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La musique n'est donc pas morte, sa consommation non plus. La seule mort que l'on pourrait apercevoir, c'est la version physique de cette culture. Au niveau économique, les majors et les big artistes (Rihanna, Kendji, Guetta) gagnent autant (voire plus) que s'ils vivaient dans les 90's. Un jeune qui regarde dix fois un clip de Black M sur Youtube, c'est finalement plus que rentable pour les majors, puisqu'il le partagera sur Facebook et, de fil en aiguille, on arrivera aux 100 millions de vues ! Les seuls perdants sont les artistes indépendants, et force est de constater qu'ils ne sont pas diffusés sur Skyrock, NRJ, Mouv' ou Fun. Je ne parlerais pas des rockeurs ou folkeux dont la visibilité est néante dans le paysage audiovisuel français, je vais plutôt prendre l'exemple de Kool Shen. Regardez les ventes et les vues de son dernier album (paru en février dernier). Son rap version 90's, qui dénonce une certaine vision de la société, qui peut parler à une jeunesse en manque de repères, et bien il ne fonctionne plus, face à la suprématie des Maître Gims, Jul, etc...

Il ne faut pas se le cacher : le rap (ou ce qu'il en reste) est aujourd'hui la plus grande culture musicale au monde. C'est un fait accompli et moi, le rockeur biolaysque, j'aime. Je suis né dans le rap, mes origines culturelles ont été fondées dans une ville 100% rap et j'en suis fier. Le rap m'a permis d'affirmer mon premier vote à mes 18 ans. Le rap m'a permis de m'intéresser à la politique. Le rap m'a fait grandir. Mais je ne m'y reconnais plus du tout actuellement. Récemment, Philippe Manœuvre parlait de rock et rap au micro de France Inter (L'instant M de Sonia Devillers). Il expliquait d'une façon claire les raisons qui ont fait que le Rap et Hip-Hop soient devenus numéro 1 aux dépens du rock. Dans un monde ultra-capitaliste, ultra formaté par l'argent, le rock s'est fait avaler tout cru par les maisons de disques et il n'a pu lutter (réflexion à moi-même : quid des Rolling Stone, contre-exemple par excellence !)

" Les majors sont passés au Hip-Hop. Ils font ça parce que les artistes de Hip-Hop adorent la promotion, contrairement aux groupes de rock. [...] Quand vous signez Kanye West, vous signez pour une multinationale ! Ce sont des gars qui aiment quelque chose encore plus que leur nom, c'est le pognon. D'où ils se sont formidablement bien trouvés avec les maisons de disques. " Au fond, quand on écoute Philman, ce rap là, c'est ce qu'IAM décrivait comme un Rap de Droite. Et c'est peut-être le problème. Le rap n'a plus sa fonction politique et intellectuelle qu'il avait auparavant. Dommage ! Car dans tous les cas, c'est la culture qui régresse et celle de nos jeunes aussi. D'où Gradur et Maître Gims comme référents rap dans les oreilles de nos collégiens ... Quand au téléchargement, il n'est en aucun cas responsable de la crise culturelle que nous vivons !


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