Le musée Jean Lurçat et de la Tapisserie contemporaine d’Angers propose actuellement (et jusqu’au 3 juillet) une petite, mais très belle exposition, Etoffes du Nil, dédiée aux tissus coptes et à leur environnement. D’un point de vue chronologique, l’art copte, développé entre le IVe et le XIIIe siècle, assure la transition entre l’Antiquité et la période islamique. Cette transition reflète l’influence des conquêtes territoriales qui façonnèrent le bassin méditerranéen, mais aussi les mutations religieuses qui se produisirent au sein de la société égyptienne, du polythéisme (local, grec, puis romain) à l’islam en passant par la christianisation du pays qui s’étendait, au milieu du Ve siècle, à 80% de la population. Sans doute l’art copte peut-il, à son apogée, se définir comme chrétien ; on relève pourtant, en amont et en aval, des sources d’inspiration variées qui le rendent particulièrement intéressant.
Le fonds se compose de fragments qui témoignent de la fragilité des textiles ; en revanche, leur excellent état de conservation, dû principalement au fait qu’ils furent mis à jour lors de fouilles de nécropoles - ils proviennent de vêtements ou de linceuls que portaient les défunts - met en lumière de vives couleurs.
Plutôt méprisé jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’art copte fut révélé suite aux découvertes d’un archéologue controversé, Albert Gayet, lesquelles furent financées par le collectionneur lyonnais Emile Guimet. Gayet concentra ses fouilles sur Antinoé ; si ses travaux restent fondateurs, ils ne furent pas moins menés avec une certaine légèreté, c’est ainsi que les fragments exposés demeurent aujourd’hui difficiles à dater, les archéologues de l’époque ne s’étant guère souciés de cette question pourtant fondamentale. Le visiteur découvrira ce personnage probablement facétieux au centre d’une photographie où il figure... dans un sarcophage. Cet humour loufoque, très "Fin de siècle", n'est pas sans rappeler celui des Hydropathes chers à Alphonse Allais.
Parmi les pièces exposées, on notera un beau fragment inspiré de l’Antiquité gréco-romaine représentant Persée et la Gorgone dans un encadrement de médaillons aux motifs animaliers et végétaux, une simple fleur au stade de bouton, particulièrement fraîche, et surtout un étonnant fragment comportant trois médaillons ornés de chevaux, aux qualités décoratives indéniables qui suggèrent une proximité avec l'art islamique. D’autres montrent des personnages parfois étranges (comme cette silhouette à la tête en forme de cœur et aux mains à trois doigts), des décors d’animaux fabuleux ou familiers, voire de simples croix. Beaucoup de graphismes trahissent un goût évident pour la synthétisation esthétique.
Outils, poteries, photographies, gravures, peintures et livres complètent cette réunion. La taille en étant réduite, le musée a eu la bonne idée de la faire suivre d’un choix d’œuvres contemporaines en provenance de ses réserves. Elles témoignent d’une grande diversité technique, certaines, comme Silhouette, de Simone Pheulpin (1994) ou La Robe de fête de Marie-Rose Lortet (1998), se rapprochant nettement de la sculpture. C’est là l’un des mérites du musée Lurçat de faire découvrir au public que la tapisserie relève moins de la décoration que de l’œuvre d’art et qu’au-delà d’une représentation plane, elle s’ouvre sur des perspectives tridimensionnelles, sur des techniques mixtes, des matériaux inattendus qui incluent le papier, le bois, dans des gammes chromatiques particulièrement variées.
La collection permanente fait bien entendu la part belle à Jean Lurçat, notamment à sa tapisserie Liberté qui reprend le célèbre poème d’Eluard, mais s’y retrouvent aussi de nombreuses œuvres de Thomas Gleb accompagnées de leurs cartons préparatoires (comme Les Tables de la loi, 1973) et de Mario Prassinos, bien connu des bibliophiles pour les cartonnages qu’il réalisa pour des éditions limitées de Gallimard.