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Dino Zoff

Publié le 14 juin 2008 par Philippe Di Folco
Dino, Pépé, Papa, Pierre et moi Tu dis souvent que tu détestes le foot mais tu sais bien que ce n’est vrai seulement qu’en partie : la raison est simple, tu étais toujours le goal, ta grande taille, ton mètre quatre-vingt dix à partir de dix-sept ans expliquait cette position que toi tu prenais pour de l’ostracisme. Eh puis les ballons dans les couilles par moins dix sur le stade de Créteil, la vache ! –  mais tu sautais bien, ta détente devint légendaire entre 1980 et 1983. Tous tes amis du lycée Saint-Exupéry se surnommèrent « Dino Folco ». Chevrier, le roi du foot, t’avait dit : « Bouge moi un peu ce grand corps ! » Et tu t’es exécuté. Si tu excellais au basket et au volley, tu jouais au foot comme gardien et comme les autres et parfois ça valait mieux que de courir comme un con après une balle. Tu fus accepté, tu fus heureux.   Mais il y a d’autres rapports absolus avec mon Dino, mon Zoff, ce nom qui sonne comme un nom de cigare. Les coïncidences abondent. Les voix de ton grand-père, de ton père et de ton cousin Pierre (ton préféré), raisonnent encore dans ta tête. Proust a raison : le passé est indestructible.   D’abord, Dino est né en 1942 comme ton père mais dans le Friule (comme Pasolini que tu adores), et il a eu cette petite enfance occupée par la présence des Allemands comme ton grand-père Marco et ton père qui sont nés eux dans le Frosinone au sud de Rome. On se remet de Benito et d’Adolf en 1945, Dino reste en Italie, pépé Marco arrive à Choisy-le-Roi pour bosser dans la cristallerie et la faïencerie. Sa région de naissance a été totalement détruite : le front de Monte-Cassino…   Marco est un bel homme, il est grand, ton père aussi. Mais Dino a eu des problèmes avec sa taille : petit et rablé, alors que toi, longiligne, mais ensuite Dino a grandi d’un coup : 1 mètre 82 à dix-huit ans, voilà qu’on le prend au sérieux, on le reconsidère et en 1961 il commence à Udinese en série A. Ton père jouait lui sur le terrain vague entre le chantier de l’aéroport d’Orly et le HLM de Choisy le Roi où tous les ritals s’étaient installés, une sorte de mini-Italie entre la Seine et la Marne, les Gondoles, la petite mafia, les « macaronis », etc. Ils regardaient la télé dans la cour, ça buvait du pastis, ça gueulait dans tous les patois. Tu sais que ton père courait les filles mais qu’il ne ratait aucun match. Le Mundial 1966 c’est plus sérieux, toi tu as deux ans, mais la famillia est super déçue : la Squadra Azzurra de Mantoue a des joueurs sélectionnés en nationale or c’est l’Angleterre qui gagne la coupe. Perfide Albion, misère de misère, il miracolo italiano n’a pas eu lieu ! Le pastis coule à flot. Les avions d’Orly font que le niveau sonore des télés augmente. Dino n’existe pas encore : Marco le pépé disait à ton père, « c’est le meilleur, la honte de ce pays est de l’avoir oublié, regarde, regarde, on a perdu à cause de ça, madona mia ! ».   Alors, le frioulin Dino, le quasi-autrichien, va disputer son quatrième match chez les « arabes » : il arrive à Naples, juste avant mai 1968. Paris est en rut, la banlieue reste chez elle à mater la coupe d’Europe. Marco et papa assistent à la finale : Italie-Yougoslavie. Les Soviets avaient été éliminés, Marco est communiste mais il est avant tout Italien, tu comprends ? Et là, Dino saute, se déhanche, bondit, le grand brun arrête tous les ballons des fils de Tito. Tu sais que Dino ressemble un peu à ton père, là sur la photo, non ? En 1970, tu as 6 ans, tu te souviens de Mexico. Marco hurlait dans la cuisine en préparant les gnocchis : « Dino n’a pas été sélectionné ! Comme en 1966, la malédiction, la merda, la merda  » en pétrissant la pâte comme des seins. Le Brésil mettra 4 buts dans le cul de l’Italie en finale.   Tu te souviens que Marco et papa travaillaient dans des usines. En 1972, Dino arrive à la Juve. Fiat finance l’équipe, Naples c’est bien mais c’est pauvre non ? Et la Juve ne cessera de gagner. Les albums Panini : tu es dans la cour de l’école des Guiblets à Créteil et tu colles les vignettes de la Juve. Pierre le cousin joue au foot et te montre son maillot de la Juve. Tu es admiratif. Sans Dino, pas de coupe d’Europe en 1977, c’est évident, au collège on commence à se foutre sur la gueule avec ça.  Mais Pierre, le cousin il décide de devenir footballeur professionnel le jour de la finale du Mundial 1982, ce jour-là, tu pleurais de joie pour l’Italia la Grande, ce jour-là, tu as trahi ton pays, la France, pour la plus belle équipe du monde. Tu te souviens de Platini, Baratelli, des ritals français adoptés par Manufrance mais Dino, tu es désolé, Dino c’est lui qui est en poster dans ta chambre. Il a 41 ans. Il va arrêter. Ton père change de métier. Marco est licencié, il va travailler chez Ricard. A l’époque on ne jetait pas les vieux si facilement. Tu sais aujourd’hui qu’on est vieux après 33 ans comme dans l’Âge de Cristal, comme dans Dante. Quelle comédie que les années 1980 ! Manufrance a disparu.   Dino devient alors l’entraîneur de la Juve et ça marche pas vraiment sauf en 1990 : coupe d’Europe (tu as suivi le match au café de la fac de Créteil) puis Dino par à Rome : il préside le Lazio. Marco quitte Ricard et part en retraite, il veut revoir le Frosinone. Il s’ennuie. Papa tu le sais s’ennuie aussi. Ils vont tous revoir Arpino, le Lazio, la ciociaria, ton cousin Pierre est parti aussi avec eux, mais toi tu es resté à Paris, tu veux bosser. Pierre revient, te raconte les matchs, les filles, il t’envoie des cartes postales pour te dire qu’Orléans le prend en junior. Tu es fier de lui. Mais le fric envahi les consciences. Maradona arrive à Naples. Le foot français se porte bien on dirait. Pierre monte dans l’équipe d’Orléans. 1998 tu es en larmes. Tu ne sais pas pourquoi. Dino n’est plus là. Il est revenu à Mantoue. L’Italie perd. Berlusconi vire Dino en 2000 qui revient à Rome, puis âgé de 63 ans, comme ton papa, il arrive à la Fiorentina, l’année même où toi, ta femme et ta fille visitiez la ville des Medici, la ville idéale et rêvée de la Renaissance. Ton père enterre son père. Il est beau ton père, il vieillit bien. Il a encore ses cheveux noirs comme Dino. Toi tu es chauvescent mais tu te dis que papa et Dino et Marco et Pierre sont là, dans les interstices de ta mémoire. Tu as 41 ans. Tu ne détestes pas le foot mais le fric qui tue le foot. Tu aimes l’Italie avant tout : de 7 à 77 ans, ils disent tous là bas que Dino est le plus grand. Berlusconi est un couillon. Dino est le plus grand.

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