Voilà qui ressemble bien à ce malfaisant d’élite qu’était Bob Siné d’avoir choisi le premier jour de vrai beau temps du printemps qui tarde à percer pour tirer sa révérence ! Histoire, peut-être, de ruiner le plaisir que nous prenions à savourer les rayons du soleil. A moins - cela lui siérait davantage - qu’il ne se soit dit que disparaître le jour de l’Ascension était l’ultime pied de nez qu’il pouvait diriger contre une religion qu’il caricaturait avec férocité.
Maurice Sinet, Siné pour ses admirateurs, Bob pour ses amis, était un personnage clivant, un vieil anar qui, dès le début de sa carrière de dessinateur, sut s’attirer l’ire des bien-pensants. Rien n’arrêtait son crayon dans le registre iconoclaste et vachard. Chacun de ses dessin produisait l’effet d’une bombe qui visait non seulement les institutions (l’Armée, les religions, la Police...), mais aussi tous ceux dont il n’est jamais de bon ton de se moquer, même au second ou au troisième degré, notamment les handicapés.
Digne héritier de L’Assiette au beurre, cet hédoniste faussement mal embouché ne trempait jamais sa plume dans l’encre, mais dans le vitriol. C’est la raison pour laquelle il passa presque autant de temps sur les bancs des prétoires que dans les salles de rédaction. Ses interventions tonitruantes à la télévision (dans Droit de réponse de Michel Polac) suscitaient pareillement la polémique. Même ses amitiés le rendaient inclassable, puisqu’il fréquenta aussi bien Boris Vian, Jacques Prévert et Léonor Fini que Jacques Vergès.
Son éviction de Charlie Hebdo en 2008 tenait de la mauvaise action. Et le procès qui lui fut intenté pour une chronique simplement satirique dans laquelle certains voulurent voir des relents antisémites ne valut guère mieux. Il fut d’ailleurs relaxé de tout chef d’accusation.
Avec Siné, disparaît l’un des symboles d’une liberté d’expression qui refusait le diktat du politiquement correct et ne respectait rien, mais aussi un grand amateur de jazz (il avait proposé en 1997 un coffret de 36 titres parmi ses préférés, illustré d’une lithographie originale et intitulé Vive le jazz) et un passionné des chats. Ses variations sur les petits félins que Théophile Gautier nommait « les tigres des pauvres diables » avaient été à l’origine de sa popularité.

