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[Direct-to-Vidéo] Tokyo Tribe, maelström hip-hop, réquisitoire contre le rap de droite

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

[Direct-to-Vidéo] Tokyo Tribe, maelström hip-hop, réquisitoire contre le rap de droite

Sono Sion est de ces réalisateurs si géniaux et avant-gardistes qui sont indubitablement, face à la frilosité des distributeurs, condamnés à sortir dans nos contrées en direct-to-vidéo. Lorsqu’il met en scène Tokyo Tribe, sorti grâce à Mad Movies et Wild Side, le 2 décembre 2015, et inspiré du manga éponyme de Santa Inoue, c’est un déferlement foutraque, un chaos organisé de violence graphique et symbolique qui éclabousse l’écran par sa radicalité étonnante. Détournant ses propres codes, Sion renvoi le rap game et la lente désagrégation politique du hip-hop à ce qu’ils sont : les signes d’une culture alternative malade de ces excès, devenue parangon de l’idéologie dominante, sexiste et capitaliste.

Dans un Tokyo alternatif, la ville est contrôlée par divers clans qui se divisent la ville en autant de quartier. Les rivalités s’expriment à travers la musique et l’art de la rue jusqu’à ce que le Roi Bubba (Riki Takeuchi), parrain local, mette le feu aux poudres. Les autres tribus, réunies par Kai (Young Dais), s’unissent pour rétablir l’ordre.

[Direct-to-Vidéo] Tokyo Tribe, maelström hip-hop, réquisitoire contre le rap de droite

Bubba (Riki Takeuchi)

Une claque, à chaque fois que l’on voit un film de Sono Sion, c’est une véritable claque que l’on prend, qui nous rappelle comment le cinéma peut encore être un média créatif. L’incroyable folie du réalisateur japonais ramène Tarantino et autres Rodriguez dans les oubliettes. Acceptant un film de commande, la légende dit qu’il aurait signé la contrat sous l’effet d’une forte alcoolisation, destinée aux premiers abords à un public adolescent, Sion le tourne en roue libre, fidèle à lui-même, se réappropriant l’œuvre pour la passer dans le souffre. Résultat, un film jouant à fond la carte du Gangsta Rap, flirtant avec l’imagerie crade et misogyne des clips, la poussant à peine dans ses retranchements pour faire disparaître la fine frontière entre ce monde et celui de la pornographie. Sur fond d’Ego Trip, les différents protagonistes se lancent dans des battles où l’idée principale est généralement de démontrer sa virilité supposée. A la misère économique se greffe inévitablement une misère intellectuelle, corollaire d’une misère sexuelle qui transmet une vision rétrograde de la femme, véritable objet. Sion frappe fort, poussant par l’exagération, une critique acerbe des travers de la société japonaise. Évitant toute vision manichéenne des choses, Sion remet tout le monde à sa place. Mettant en scène un système immonde de prostitutions, il décide bien entendu d’en faire endosser la responsabilité aux méchants de l’histoire, à la clique du roi Bubba. Mais, en parallèle, voilà qu’un des héros se fait client prostitueurs et en perd la vie. Sunmi (Seino Nana), une fille enlevé par les proxénètes compte d’ailleurs bien en découdre.

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Nkoi (Yôsuke Kubozuka)

C’est que si Tokyo Tribe prend la forme d’une comédie musicale hip-hop très bien ficelée, dont la bande son est un véritable régal, surprenant par la qualité musicale des morceaux et par le flow des rappeurs japonais, il dénonce clairement l’imagerie bling-bling et l’idéologie libérale dont il est l’expression. C’est extatique de voir pris en compte ce problème qui ronge le rap de l’intérieur. Les tenants du spectacle permanent ont oublié qu’avant de devenir un genre grossier et caricatural, le Gansta Rap était aussi éminent politique, décrivant la réalité des quartiers d’une manière aussi crue qu’elle était violente. Aujourd’hui, il ne reste que grosses bagnoles, grosses quéquettes et femmes à poil. C’est ce qu’incarne le roi Bubba dont il est dit noir sur blanc qu’il instrumentalise les différents groupes dans sa quête de pouvoir. Autrement, et sans filer la métaphore, Bubba est l’archétype du producteur uniquement intéressé par l’oseille. De la à dire qu’entre producteur de merde radiophonique et proxénète, il n’y a qu’un pas, Sion l’a franchi. Et il a bien raison. Le cinéma de genre, libre, indépendant, engagé, bref furieux, de Sono Sion est un vent frais venu du Soleil Levant dont chaque bouffée peut devenir une drogue. Tokyo Tribe est tout à la fois un hommage à une sous-culture et un cri d’alerte face à sa normalisation à marche forcée. Revirement à 360°, les tribus unies finissent par mettre l’art et l’entraide au centre de leur vie. Le message primordial de Tokyo Tribe relève quasiment de la lutte des classes, appelant les laissez pour compte que sont ces petites frappes, non pas à se déchirer pour de petites différences mais à s’unir pour améliorer leurs conditions de vies, à relever la tête dans la dignité.

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Mera (Ryohei Suzuki que l’on a vu dans Notre petite soeur) et Kai (Young Dais)

Résolument fun, aussi choquant qu’exaltant, maelström baroque, manifeste pour un hip-hop politiquement responsable, réquisitoire contre une culture misogyne esthétisante, Tokyo Tribe est le dernier brûlot de Sono Sion à arriver jusqu’à nous. Après Why don’t you play in hell ?, on ne peux que vous conseillez de découvrir ce nouveau chef d’œuvre.

Boeringer Rémy

Retrouvez ici la bande-annonce :


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