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(note de lecture) Jean-Louis Giovannoni, "Sous le seuil", par Véronique Pittolo

Par Florence Trocmé

Agiovanoni-208x300Allongée en petites proses et paragraphes courts, la poésie de Jean-Louis Giovannoni, dans ce livre, nous présente les zones imperceptibles de nos observations ordinaires : petites bêtes du jardin, papillons de nuit virevoltant, moustique piquant la peau du dormeur, l’été, fonçant sur un bras nu posé sur un drap blanc. Ces cruautés minuscules se déploient dans un ballet quotidien de mouvements, de sucs, de vie organique hypertrophiée mais invisible. Giovannoni nous propose un bestiaire familier mais cependant étrange, dans une syntaxe inventive, joueuse, à travers laquelle il perturbe notre perception et nos repères grammaticaux. Utilisée « à contre courant », la première personne est amputée de son pronom, elle adopte le point de vue (impersonnel ?) de l’insecte en attente de sa proie. L’acarien sous l’oreiller est un sujet qui ne dit pas je mais n’en pense pas moins. Cette hybridation pronominale est un clin d’œil à notre fragilité, une remise en question de nos certitudes, de notre négligence dans la façon de considérer l’environnement le plus proche, les recoins de la maison, la bordure des chemins. Cette prose poétique ne relève pas pour autant d’une conviction écolo, vaguement militante, mais d’une attention réelle, empathique, et même affective, à ce qui est négligé (l’insecte, les débris, la chaleur, les bobos exaspérants). Notre apparence n’est-elle pas monstrueuse, encombrante, aberrante, aux yeux de l’éphémère bestiole ? Pourquoi ne pas tenir compte davantage des habitants qui nichent entre les pierres, sous la mousse ou le matelas ? La punaise et le moustique sont les voyeurs de notre vie intime, à notre insu. Est-il possible que l’araignée reconnaisse le sexe d’une femme ou d’un homme qui se déshabille ? Autant de questions incongrues, qu’évoquent ces énoncés espiègles. J’ai l’impression que l’auteur se fait petit, lui aussi, pour mieux comprendre et peut-être s’identifier, à l’occasion, à cette armée entreprenante :
Nous glissons sous la porte. l’air est saturé et la chaleur suffocante.
Les journées passées dans les plis sont plus longues que les autres. Leurs odeurs ne nous suffisent plus. La faim et le froid nous gagnent.
Dans ce bestiaire de poche, je pense à Michaux, un Michaux revitalisé, re- narrativisé sous les paillassons, sous le seuil, aventure permanente, étonnante, qui renoue avec l’imaginaire enfantin de la surprise et de la cruauté
Je me souviens, plus ou moins honteusement, avoir arraché un jour les pattes d’une araignée, coupé un ver de terre en deux. Je me souviens aussi de cette phrase, issue d’un atelier d’écriture : J’aime la nature mais les lapins n’arrêtent pas de me fixer. Dans les documentaires de Jean Painlevé, les yeux des poissons palpitaient, collés à la caméra, dans le livre de Giovannoni nous sommes affectés, attendris par les petites et grosses bêtes, Les Moches qu’il avait décrits dans un livre précédent (éd Les Mains), en vers courts avec des enjambements. Il arrive que le rapport d’échelle s’inverse, que le gros prenne la place du petit :
Le museau des vaches entre les planches. Leur souffle chaud et leurs langues humides sur nos mains. Celles du fond voudraient aussi du pain, de l’herbe des talus. Tendent le cou. La peur envahit l’espace…. Les wagons à bestiaux vont repartir. Nos voix se brisent. Plus rien ne sonne pareil. Un à un les wagons disparaissent dans le tunnel.
A l’heure où les grands de la planète libérale se réunissent (Etats-Unis, Europe), pour signer des accords commerciaux (sous le sceau du secret), nous allons pouvoir consommer une nourriture moins chère, en grande quantité (boeufs dopés aux hormones, aux antibiotiques, poulets nettoyés au chlore). Si nous devons nous révolter, que ce soit à travers ce livre attachant, émouvant. L’attention portée aux négligés, au négligeable, peut favoriser une prise de conscience. La citoyenneté n’empêche pas la poésie d’affleurer ici et là derrière un grillage, sur le museau d’une vache.
Nous leur donnons des noms sans nous mettre d’accord. Nos voix se brisent.
Véronique Pittolo

Jean-Louis Giovannoni, Sous le seuil, éditions Unes.


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