Six ans après l’admirable « Gemini » et son notable successeur, « Nocturne », Jack Tatum et son projet Wild Nothing reviennent avec un troisième album au concept quasi impénétrable. Fusionner soul, sonorités 80′s, arpèges en cascades et mélancolie : le risque de tomber dans l’exercice de style(s) à la défaveur de l’écriture était grand. Trop grand il nous semble pour le Virginien.
(Captured Tracks / Bella Union)
Entre(1) la presse autoproclamée de référence s’enflammant pour le dernier Kanye West (le meilleur album de tous les temps, sérieux ?), des épiphénomènes qui ne savent plus trop quoi inventer pour toucher la niche encore inexploitée (Julia Holter : les chansons, on en parle ?), des shoegazers en proie à l’autoparodie qui ne sortent plus sans leur Perfecto ni leur bassiste girly trop kawaii avec ses grandes jambes, Kim Deal qui ressemblera bientôt à ma grand-mère (oui c’est bien elle ci-contre), et pour finir en beauté l’hécatombe des figures tutélaires qui ne fait que commencer (Reed, Bowie, bientôt Brian Wilson ?), l’amateur de pop indie aurait des raisons de douter de l’avenir proche(2).Anorexique
Alors donc, la pop indé. La belle se cherche façon Madame Bovary en sa demeure. En attendant son amant-fantasme, la bourgeoise est devenue précieuse, sérieuse. Une diva, toute en finesse (surtout), qui ne parle pas aux manants, fan de mode, parfois anorexique, animant à l’occaz’ les sauteries d’un cénacle cultivé. Mais ne rechignant pas devant le soutien promo de Villa Schweppes. On lui prédirait un avenir au Sénat. Pitié !
Alors, lorsqu’on apprend que Wild Nothing sort un nouvel EP, l’espoir pointe le bout de son nez (vous avez le droit de ne pas être d’accord). Toujours chez Captured Tracks de surcroît. Et oui, encore eux ! Gemini, le premier album, encore aujourd’hui, soit six ans après sa sortie, reste une collection fantastique de chansons touchant le cœur, l’esprit et le corps. Deux ans plus tard, Jack Tatum, l’homme derrière le projet, récidivait avec Nocturne, tout aussi bon mais doté d’une production plus riche en fréquences basses et en arrangements. Suffisant pour fâcher une poignée de chiens de garde. On fera aisément sans eux.
Dans un monde idéal, même NRJ passerait en boucle Shadow, qui inaugure Nocturne. Raté. Car il s’est passé quelque chose, un truc, une énigme. Il y a fort à parier qu’à l’époque la visibilité de Wild Nothing ait pâti du succès promo fulgurant d’un autre cheval de l’écurie new-yorkaise : Mac DeMarco. Via notamment des pitreries en live ne mangeant pas de pain, soit, mais faisant passer au second plan le talent énorme du seul crooner lo-fi qui vaille depuis des lustres.
En face, le réservé Jack Tatum ne fait pas le poids : pas très à l’aise sur scène, nonobstant un backing band au poil mais incapable, confère la sophistication de celle-ci, de restituer la production sans failles de Nicolas Vernhes, Brian Eno / Phil Spector de la dream pop. Au cours de plusieurs interviews, pendant la tournée de Nocturne, Jack Tatum avouait être déstabilisé par la difficulté d’adapter pour la scène les titres de Gemini, enregistrés dans sa chambre d’étudiant. Résolu donc à travailler des sons plus organiques, l’attachant rouquin ! Si la ligne de conduite n’a pas été de mise lors de la digression synth pop ambitieuse Empty Estate (EP, sorti en 2013), il en était théoriquement tout autre pour ce troisième LP. Et là, surprise, il n’est plus vraiment question des Smiths, de The Wake, de Field Mice, mais de Philly Soul, courant soul des années 70 né à Philadelphie, peu en odeur de sainteté chez les puristes du jazz, mais ayant synthétisé avec parfois un raffinement notable le disco et le smooth jazz.
D’emblée, disons-le : l’idée de croiser l’indie pop introspective et la chaleur naturelle du son de Philadelphie, le tout parsemé de sonorités eighties dont Jack Tatum ne peut décidément pas se passer, est excellente. Le fait d’avoir choisi Thom Monahan à la réalisation est une belle promesse : l’ex-bassiste des fabuleux Lilys (de 1995 à 1998), a été capable d’œuvrer autant pour Medicine, Devendra Banhart, J. Mascis que pour Chris Robinson (chanteur des Black Crowes). Son organique, onirisme, songwriting : on est dedans. En seconde lecture, le concept (repris par la superbe pochette façon vanité à la Georges de La Tour) d’un travail sur l’espace sonore introspectif scruté indiscrètement par l’auditeur (le trou de la serrure, vous suivez ?) est de haut vol.
Laisse tomber les filles…
Seulement voilà : que valent de belles références, un son organique, un vrai concept, l’onirisme et tout et tout sans songwriting ? La question est posée à Jack Tatum et notre réponse est plutôt négative. Quant au Philly Sound, à part un mixage se rapprochant de l’illustre école américaine, on cherche toujours le rapport. Cherchez finalement plutôt du côté de Steely Dan.
En découvrant Chinatown en 2010, l’auteur de ces lignes pensait avoir déniché un mélodiste de la trempe de Mac Cartney. Carrément. Sentiment presque confirmé à l’écoute de Nocturne. Un chic pas possible pour balancer le refrain donnant la chair de poule. A l’écoute de ce troisième album, tout en exercices de style et c’est bien là le souci, on pense sincèrement que Les Ramones (très très loin d’être des branques, cela dit en passant) écrivaient de meilleures chansons que Jack Tatum en ce moment.
Pour conclure, Jack, laisse tomber Madame Bovary et Les Précieuses Ridicules, relis plutôt L’Idiot.
(1) NDLR : l’intro est aussi longue que celle de I Wanna Be Adored, vous êtes prévenus.
(2) On vous passe les ersatz à la Tame Impala (« Trop swag ton collier de fleurs ! »), les combos new wave / rock du Limousin (façon de parler) aux patronymes poético-franchouillards sortis d’un film de Jean Rollin (Grand Blanc, Requin Chagrin, Minuit… et bientôt Poignée de porte tant qu’on y est)
Six ans après l’admirable « Gemini » et son notable successeur, « Nocturne », Jack Tatum et son projet Wild Nothing reviennent avec un troisième album au concept quasi impénétrable. Fusionner soul, sonorités 80′s, arpèges en cascades et mélancolie : le risque de tomber dans l’exercice de style(s) à la défaveur de l’écriture était grand. Trop grand il nous semble pour le Virginien.(Captured Tracks / Bella Union)
Entre(1) la presse autoproclamée de référence s’enflammant pour le dernier Kanye West (le meilleur album de tous les temps, sérieux ?), des épiphénomènes qui ne savent plus trop quoi inventer pour toucher la niche encore inexploitée (Julia Holter : les chansons, on en parle ?), des shoegazers en proie à l’autoparodie qui ne sortent plus sans leur Perfecto ni leur bassiste girly trop kawaii avec ses grandes jambes, Kim Deal qui ressemblera bientôt à ma grand-mère (oui c’est bien elle ci-contre), et pour finir en beauté l’hécatombe des figures tutélaires qui ne fait que commencer (Reed, Bowie, bientôt Brian Wilson ?), l’amateur de pop indie aurait des raisons de douter de l’avenir proche(2).Anorexique
Alors donc, la pop indé. La belle se cherche façon Madame Bovary en sa demeure. En attendant son amant-fantasme, la bourgeoise est devenue précieuse, sérieuse. Une diva, toute en finesse (surtout), qui ne parle pas aux manants, fan de mode, parfois anorexique, animant à l’occaz’ les sauteries d’un cénacle cultivé. Mais ne rechignant pas devant le soutien promo de Villa Schweppes. On lui prédirait un avenir au Sénat. Pitié !
Alors, lorsqu’on apprend que Wild Nothing sort un nouvel EP, l’espoir pointe le bout de son nez (vous avez le droit de ne pas être d’accord). Toujours chez Captured Tracks de surcroît. Et oui, encore eux ! Gemini, le premier album, encore aujourd’hui, soit six ans après sa sortie, reste une collection fantastique de chansons touchant le cœur, l’esprit et le corps. Deux ans plus tard, Jack Tatum, l’homme derrière le projet, récidivait avec Nocturne, tout aussi bon mais doté d’une production plus riche en fréquences basses et en arrangements. Suffisant pour fâcher une poignée de chiens de garde. On fera aisément sans eux.
Dans un monde idéal, même NRJ passerait en boucle Shadow, qui inaugure Nocturne. Raté. Car il s’est passé quelque chose, un truc, une énigme. Il y a fort à parier qu’à l’époque la visibilité de Wild Nothing ait pâti du succès promo fulgurant d’un autre cheval de l’écurie new-yorkaise : Mac DeMarco. Via notamment des pitreries en live ne mangeant pas de pain, soit, mais faisant passer au second plan le talent énorme du seul crooner lo-fi qui vaille depuis des lustres.
En face, le réservé Jack Tatum ne fait pas le poids : pas très à l’aise sur scène, nonobstant un backing band au poil mais incapable, confère la sophistication de celle-ci, de restituer la production sans failles de Nicolas Vernhes, Brian Eno / Phil Spector de la dream pop. Au cours de plusieurs interviews, pendant la tournée de Nocturne, Jack Tatum avouait être déstabilisé par la difficulté d’adapter pour la scène les titres de Gemini, enregistrés dans sa chambre d’étudiant. Résolu donc à travailler des sons plus organiques, l’attachant rouquin ! Si la ligne de conduite n’a pas été de mise lors de la digression synth pop ambitieuse Empty Estate (EP, sorti en 2013), il en était théoriquement tout autre pour ce troisième LP. Et là, surprise, il n’est plus vraiment question des Smiths, de The Wake, de Field Mice, mais de Philly Soul, courant soul des années 70 né à Philadelphie, peu en odeur de sainteté chez les puristes du jazz, mais ayant synthétisé avec parfois un raffinement notable le disco et le smooth jazz.
D’emblée, disons-le : l’idée de croiser l’indie pop introspective et la chaleur naturelle du son de Philadelphie, le tout parsemé de sonorités eighties dont Jack Tatum ne peut décidément pas se passer, est excellente. Le fait d’avoir choisi Thom Monahan à la réalisation est une belle promesse : l’ex-bassiste des fabuleux Lilys (de 1995 à 1998), a été capable d’œuvrer autant pour Medicine, Devendra Banhart, J. Mascis que pour Chris Robinson (chanteur des Black Crowes). Son organique, onirisme, songwriting : on est dedans. En seconde lecture, le concept (repris par la superbe pochette façon vanité à la Georges de La Tour) d’un travail sur l’espace sonore introspectif scruté indiscrètement par l’auditeur (le trou de la serrure, vous suivez ?) est de haut vol.
Laisse tomber les filles…
Seulement voilà : que valent de belles références, un son organique, un vrai concept, l’onirisme et tout et tout sans songwriting ? La question est posée à Jack Tatum et notre réponse est plutôt négative. Quant au Philly Sound, à part un mixage se rapprochant de l’illustre école américaine, on cherche toujours le rapport. Cherchez finalement plutôt du côté de Steely Dan.
En découvrant Chinatown en 2010, l’auteur de ces lignes pensait avoir déniché un mélodiste de la trempe de Mac Cartney. Carrément. Sentiment presque confirmé à l’écoute de Nocturne. Un chic pas possible pour balancer le refrain donnant la chair de poule. A l’écoute de ce troisième album, tout en exercices de style et c’est bien là le souci, on pense sincèrement que Les Ramones (très très loin d’être des branques, cela dit en passant) écrivaient de meilleures chansons que Jack Tatum en ce moment.
Pour conclure, Jack, laisse tomber Madame Bovary et Les Précieuses Ridicules, relis plutôt L’Idiot.
(1) NDLR : l’intro est aussi longue que celle de I Wanna Be Adored, vous êtes prévenus.
(2) On vous passe les ersatz à la Tame Impala (« Trop swag ton collier de fleurs ! »), les combos new wave / rock du Limousin (façon de parler) aux patronymes poético-franchouillards sortis d’un film de Jean Rollin (Grand Blanc, Requin Chagrin, Minuit… et bientôt Poignée de porte tant qu’on y est)
Darryl Revok