Il existe des personnages qui ont le don de nous convaincre que nous sommes intelligents, que nous comprenons des notions complexes auxquelles nous pensions être hermétiques tant elles étaient éloignées de nos formations, de nos pratiques quotidiennes. L’astrophysicien André Brahic, qui vient de s’éteindre à l’âge de 73 ans, appartenait à ce club très fermé.
Il suffisait d’assister à l’une de ses conférences ou de l’écouter à la radio ou sur un plateau de télévision pour s’en convaincre. Les plus ignorants en astrophysique, les plus démunis face aux planètes, au système solaire, aux trous noirs ou aux nébuleuses découvraient en suivant son discours-fleuve que cet univers auquel ils se croyaient étrangers devenait soudain à leur porté. André Brahic était un vulgarisateur d’élite, capable de transmettre une foule de connaissances grâce à son sens de la métaphore, à un humour omniprésent jusque dans des provocations bienvenues, à un art de la digression qui emportait l’auditeur loin du sujet pour mieux l’y ramener, et à un enthousiasme capable de vaincre les résistances les plus farouches. Ses propos décoiffaient.
Pour atteindre cet objectif, l’homme, flamboyant, ne ménageait pas ses efforts : sur scène, il bougeait sans cesse, arpentait l’espace avec force gestes - il avait compris, contrairement à beaucoup de conférenciers et d’enseignants, que l’on ne capte pas l’attention de l’auditoire en restant assis derrière un pupitre à lire son texte sur un ton monocorde. Il s’exprimait toujours sans notes à une vitesse vertigineuse, mais avec un sens aigu de la pédagogie qui convoquait bien d’autres sciences et domaines que ceux qui l’occupaient, citant aussi bien Pierre Dac que Platon ou Copernic. L’entendre ainsi comparer les deux versions d’un tableau de Van Gogh, La Nuit étoilée sur le Rhone (1888, musée d’Orsay) et La Nuit étoilée (1889, MoMA) en soulignant que le peintre avait réalisé la première alors qu’il était sain d’esprit et la seconde dans une période de folie, mais que cette seconde toile était bien plus proche de la réalité scientifique que la première, donnait à réfléchir...
Astrophysicien au CEA, professeur à l’université Paris VII-Diderot, il était mondialement reconnu pour sa connaissance du système solaire, ses travaux sur les anneaux de Saturne et, en 1984, sa co-découverte des anneaux de Neptune. C’est sans doute en cela qu’il laissera une marque parmi ses pairs. Pour autant, le public, amateurs et béotiens confondus, retiendra surtout l’homme qui militait pour un programme fondé sur trois axes complémentaires, « culture, éducation, recherche » qui le conduisait à égratigner non sans ironie politiques et religieux, l'auteur de livres de vulgarisation jamais ennuyeux (publiés chez Odile Jacob) et surtout le passeur qui faisait partager sa passion en dépoussiérant la science.
Illustrations : André Brahic (Editions Odile Jacob) - Van Gogh, La Nuit étoilée sur le Rhone, 1888 - Van Gogh, La Nuit étoilée, 1889.