Magazine Culture

L’industrie musicale et les défis de l’économie collaborative

Publié le 17 mai 2016 par Le Limonadier @LeLimonadier
Weekly Shot | Groove Tonic #8

Phénomène de société ou simple OVNI de passage, l’économie collaborative a fait couler beaucoup d’encre ces deux dernières années. Car dans notre société où l’individualisme prime, ce modèle, basé sur l’abolissement de la propriété et la redistribution, fait figure de gigantesque farce, dont nous serions les dindons (glou glou). C’est pourquoi, à l’occasion du Ouishare Festival qui se tiendra du 18 au 20 mai prochain au Cabaret Sauvage – d’ailleurs, on a encore des places à vous faire gagner pour la soirée de clôture par ici–  l’équipe du Limonadier a voulu s’interroger sur les conséquences résultant de cette véritable « ubérisation » de la société sur le milieu de la musique.

Un article à lire tranquillement, accompagné de la compil’ du Ouishare Festival réalisée en collab avec le Limo, que vous pouvez retrouver ci-dessous : 

La numérisation des données, loin d’avoir tué l’industrie musicale, a permis de renouveler les acteurs qui y prennent part. A une conception figée, centrée sur la figure de l’auteur et ses ayants-droits, s’est substitué un système beaucoup plus ouvert prônant l’accessibilité. D’autres alternatives ont peu à peu vu le jour afin de suppléer au couple maisons de disque/producteurs qui régnait jusqu’alors en maître sur le trône de fer de l’industrie musicale – et son lot de batailles, de royaumes conquis, de carrières dévastées, d’incestes assumés, de viols contractuels, et de téléchargements illégaux… 😉

Snoop-Dogg-and-models-attend-HBOs-Game-of-Thrones-Presents-House-of-Pleasure-at-SXSW-on-March-20-2015-in-Austin-Texas

Un sacré mic-mac

Alors oui, pour le moment c’est encore un peu le bordel. Faute de modèle économique unifié, chaque entreprise fait du collaboratif à sa sauce. De ce mic-mac en pleine évolution se dégagent tout de même quelques grands principes, dont le plus important semble être la co-construction. Le concept est simple : le public n’est plus considéré comme une masse indistincte et passive de récepteurs. Bien au contraire, il est de plus en plus amené à participer aux différents stades de production et de diffusion des morceaux qui l’intéressent. Il est au cœur de l’économie numérique puisqu’il dispose de plusieurs leviers de notation lui permettant de déterminer la valeur des créations qui lui sont proposées.

En prenant tout de même en compte que le secteur est toujours pour l’instant l’apanage des majors (Universal, Sony et Warner), la création de plateformes participatives vient ainsi révéler le clivage existant entre ceux préconisant une écoute libre et gratuite et les acteurs traditionnels de la filière qui défendent bec et ongle un modèle axé sur la propriété. Or si l’on sort cinq minutes du cadre quelque peu « bisounoursesque » définit par les nombreuses théories à ce sujet, il est nécessaire d’aborder en parallèle les nombreux bouleversements en cours au sein de cette industrie musicale.

Car aujourd’hui, la généralisation massive des plateformes de streaming avance comme un hiver inéluctable pour les derniers aficionados du CD. Deezer, Spotify, Soundcloud (tout récemment devenu payant au grand dam de ses utilisateurs), Apple Music ou encore Tidal… On pourrait cependant nuancer ce propos en parlant du retour symbolique du vinyle ces dernières années, mais cela fera l’objet d’un prochain article (attention teasing de ouf).

tournee-dj-hodor-commencee2

Mais revenons à nos moutons. Tous ces acteurs proposent désormais d’écouter de la musique en ligne, en payant un abonnement, sans qu’à aucun moment, les utilisateurs tiennent l’album entre leurs mains. Ce mode de diffusion, clairement pensé pour et adapté à notre temps, ravi bon nombre d’utilisateurs : on paye un abonnement, on ne sent pas passer la dépense et on a soudain la musique du monde entier au bout des doigts (voilà un réseau qui rendrait jaloux Lord Varys et ses petits oiseaux – que ceux qui ne regarde pas GOT nous excusent mais on est lancés là – …). Bien, et donc, tout le monde est content ? Rien n’est moins sûr. Les artistes se sont élevés en nombre contre ce système, qui ne rémunère pas, selon eux, leur travail à sa juste valeur. Par exemple Spotify va payer l’artiste en moyenne 0,004€ par écoute – soit 400.000 écoutes pour avoir un SMIC – anecdote que l’on mentionnait déjà dans notre article sur les nouveaux enjeux du streaming.

« I’ve got the power »

Le crowdfunding montre qu’écouter et produire autrement est aujourd’hui possible et surtout très accessible. Le système est basé sur le financement par les foules (pas besoin d’être bilingue pour comprendre), permettant à des particuliers ou à des entreprises de récolter des fonds pour leur projet. C’est cette forme de désintermédiation, par rapport aux acteurs traditionnels du financement, qui est particulièrement intéressante ici. Alors, un vent nouveau soufflerait-il sur la finance ? Eh bien pas vraiment : le crowdfunding a été impulsé par des internautes voulant se défaire du carcan des modes de souscriptions traditionnels, et ce grâce aux réseaux sociaux (un peu comme la rébellion de certains esclaves dans une certaine série…. désolé c’est plus fort que nous. Kill the Masters !!!!!!).

game-of-thrones-s4-preview

Des sites comme My Major Company ou Kiss Kiss Bank Bank permettent aux internautes de financer les projets de musiciens pas ou peu connus, leur offrant ainsi un véritable tremplin. Par exemple, KKBB a notamment permis à Sly Johnson, ex-membre du Sayan Supa Crew, de sortir son premier album solo. Mais le crowdfunding c’est aussi l’occasion de monter des projets aussi dingues que celui de Music On The Road. Grâce à une campagne de financement, ce collectif a ainsi pu sillonner les routes américaines à la recherche d’artistes méconnus afin d’en tirer une série de reportages. Celle-ci sera d’ailleurs diffusée sur ARTE l’année prochaine, preuve, s’il en fallait une, que le financement participatif est un véritable starter !

Mais avec ces plateformes, les fans possèdent également les ressources nécessaires pour être eux-mêmes à l’initiative de projets d’artistes qu’ils affectionnent, comme le montre par exemple l’album commun entre les rappeurs Alkpote et Sidisid, Ténébreuse Musique. Impulsé en particulier par un fan très motivé qui s’est occupé de créer une campagne Kiss Kiss Bank Bank soutenue par la fanbase très resserrée et très motivée du groupe, mais qui s’est aussi occupé de la création graphique, allant même jusqu’à conduire les rappeurs en studio… L’album est sorti en début d’année.

Pour trouver un exemple un peu différent, mais toujours représentatif de l’impulsion créative que peut faire naître le public, on peut aussi parler de l’album Meow the Jewels, dont l’origine se trouve être une blague lancée par le groupe Run The Jewels sur leur site Internet : réenregistrer leur album uniquement avec des bruits de chats. L’idée débile est prise très au sérieux par leurs fans, qui décident de lancer une campagne de crowdfunding qui fut un véritable succès. Le groupe a joué le jeu et s’est engagé à produire ce nouveau disque de « remixes félins ». Une première, si la campagne atteignait son objectif. Moins d’un an après, c’était chose faite. Merci Internet (quand-même), et bonjour le « Cat Rap »…


La musique dans la peau

Un vent de collaboratif souffle également sur les productions artistiques et leurs créateurs. L’avènement des musiques électroniques a systématisé les pratiques de détournement et de remix, mettant ainsi fin au caractère consacré de l’oeuvre, ainsi qu’à sa finitude. La track dématérialisée permet d’utiliser, de modifier beaucoup plus librement. La collaboration tient au fait que chacun laisse à disposition ses morceaux afin qu’ils puissent bénéficier d’une « seconde vie ».

Cette nouvelle façon de penser et de faire la musique a été impulsée par la démocratisation de l’accès aux technologies, couplée aux avantages apportés par les réseaux sociaux. Concrètement ça donne des sites comme Jamshake dont le crédo est de permettre à des groupes de faire leurs propres morceaux grâce à un séquenceur interactif. Mais aussi de nombreux artistes, comme 20Syl par exemple, qui laissent leurs instrus à disposition pour lancer des contests de remixes.

Et bien que l’économie participative reste jusqu’à présent une voie alternative, on ne peut nier l’ampleur prise par celle-ci ces derniers temps dans nos JTs … et jusque dans les festivals (Ouishare RPZ ). Elle est symptomatique de la volonté généralisée de passer par d’autres voies que celles, toutes tracées, des firmes de l’industrie musicale. L’économie collaborative signale un phénomène, nouveau, traduisant une montée des amateurs au sein de la création artistique, mais aussi et surtout dans les circuits économiques dont ils étaient autrefois exclus.

game-of-thrones-themed-ceremony-blinkbox

Pour conclure …

Vous avez peut-être déjà compris où on voulait en venir avec les illustrations de cet article : le collaboratif dans l’industrie musicale peut se voir comme le scénario d’un épisode de Game Of Thrones. D’un côté il y a les puissants qui veulent à tout prix conserver leur statut … et leur blé. Et puis de l’autre on a leurs rivaux, parmi lesquels on trouve tant des outsiders (traîtres de tous poils, personnes en quête de revanche et autres héros) que des puissances en devenir (du genre « wesh les babtous, on a des dragons nous »). Une lutte sans merci, où rien n’est joué d’avance. La question est donc : lequel arrivera à prendre le pas sur le reste de ses concurrents ? Qui s’installera définitivement sur la Platine de Fer ?

Suite au prochain épisode 😉

  • À propos
  • Articles récents
Lea

Lea

Léa Esmery, parisienne depuis 1 an, étudiante en Info Com dans le but d'avoir un Bac+25 et de finir au chômage, rédactrice pôle rock/indé.
Mon cocktail préféré :
le Mojito - classique mais indétrônable.
Lea

Les derniers articles par Lea (tout voir)

  • L’industrie musicale et les défis de l’économie collaborative - 17 mai 2016
  • Les « musiques électroniques » vous saluent ! - 5 avril 2016
  • Ce gros mot nommé mainstream - 11 février 2016

Retour à La Une de Logo Paperblog