Nous venons de publier chez Almora un beau livre de Christian Pisano:
La contemplation du héros

chez ALMORA
Préface de BKS Iyengar
Introduction de Mark Dyczkowski Ce livre éclaire le yoga à la lumière de la philosophie non-duelle du Shivaïsme du Cachemire. Les postures du yoga nous ouvrent au yoga ultime qui est l′expérience de notre propre Conscience dans toute sa plénitude. Christian Pisano nous livre ici une somme étonnante d′expériences, d′enseignements, de citations sources d′éveil, de légendes savoureuses et souvent inédites, d′illustrations splendides. Inspiré des enseignements de B.K.S. Iyengar et du Shivaïsme cachemirien, ce yoga du quotidien s′inscrit dans la simplicité et la nudité de l′instant. Tout peut être opportunité à la reconnaissance de ce que nous avons toujours été. Deux pages

Extrait de la longue préface Mark Dyczkowski
"Le Vijnâna Bhairava enseigne comment découvrir le Vide de la respiration, du corps, des sens, du monde extérieur, mais aussi comment demeurer en son sein. Le Vide est la totalité de la plénitude de la conscience, dégagée des innombrables pensées limitant notre attention et notre expérience à notre petit soi personnel qui, par erreur, s'est identifié avec le corps, la respiration, les sens et le mental. Saisi par cette fausse identification, le monde autour de nous devient le lieu où nous agissons pour atteindre nos buts, pour résoudre ou éviter les problèmes. Mais, après d'immenses efforts, lorsque nous avons atteint nos objectifs, à l'horizon de nos pensées apparaît immédiatement un autre objectif. Nous recommençons ainsi sans fin. Le vide est l'antinomie de toute cette lutte, de la frustration, des mesquines poursuites individuelles, de l'angoisse de l'abandon, de l'avidité qui veut toujours plus, avec leurs cortèges de pensées innombrables, d'efforts, de joies et de peines. Le Vijnana Bhairava enseigne que le Vide est Plénitude (24), expérience de l'harmonie de toute chose (64). C'est un état d'omniprésence (31) lorsque libéré du corps nous faisons l'expérience de "Je suis partout" (104). Perçu directement par le vide du mental, libéré des pensées dualisantes, tout est expérimenté comme Vide (43). L'esprit est Vide (122). Le monde est Vide (46) et les sens sont Vides (32). C'est la réalité dans laquelle la Déité se révèle (93,119). C'est là que brille la Suprême déesse (54) révélant l'état de dieu, Bhairava (25,35,93). Le Vide est un état de paix parfaite (27,52). La joie suprême est l'état de la conscience libérée des pensées différenciatrices (46) et il en est de même de l'expérience de l'Unicité (48), le Soi Absolu (108) qui est l'état suprême (111), la plus haute réalité (34).
Le Vijnana Bhairava nous enseigne comment utiliser d'une façon différente le corps, les sens, le mental, la respiration, non seulement dans la vie quotidienne, mais aussi comme supports pour développer des états supérieurs de perception. Nous cultivons l'habitude du Vide, qui est libération de toute pensée, en développant la puissance de notre prise de conscience du corps et du reste, en tant que Vide de la Déité. Par exemple, en étant attentif à la respiration, aux zones à travers lesquelles les inspirations et les expirations montent et descendent, aux lieux où elles s'unissent, intérieurement et extérieurement (64), nous pouvons contempler deux Vides (2 5). Si nous fixons notre attention sur le rythme de la respiration au moment de nous endormir, nous pénétrons éveillés dans le monde des rêves, en étant leur maître et non leur victime (55).
Lorsque la respiration se repose, nous expérimentons l'expansion de nos énergies intérieures. Dans cet état de suspension entre les deux respirations, les inspirations et les expirations, nous faisons l'expérience du réveil de la kundalinl, la force vitale de la respiration (26, 67). Elle s'élève au travers des deux respirations, située au centre le long du canal médian, subtile comme les fibres d'un lotus (35), transperçant le point entre les sourcils (31) jusqu'à l'extérieur du corps où elle se dissout (28-30). Voilà ce qui se passe lorsque nous respirons avec attention au cours de notre pratique des âsana,
Lorsque nous nous installons dans les âsana, en pratiquant la prise de conscience du Vide dans le corps et autour de lui, avec un mental libre de pensées, alors nous faisons l'expérience du tout en tant que Vide (43-45). Pensez le corps comme vide entouré de peau avec rien à l'intérieur (48) ou encore, si vous ne réussissez pas à libérer votre mental de sa solidité, brûlez la forteresse qu'est le corps avec le feu intérieur de l'imagination (52). Nous pouvons connaître le même Vide Universel en méditant sur n'importe quel point du corps comme étant Vide (44,46), par exemple à l'intérieur du crâne (34). Comme aide à ce genre de méditation, piquez n'importe quelle zone du corps avec une aiguille et concentrez- vous sur le vide à cet endroit (93). Demandez à un ami de vous chatouiller sous les bras et maintenez la même prise de conscience. Le rire, induit de cette manière, se transformera soudainement en la grâce de la conscience, par laquelle se révèle la Réalité (66). Assurez-vous bien que, lorsque vous pratiquez les âsana, toutes les parties du corps soient vides (50) comme le sont tous les éléments qui le constituent. Lorsque cette prise de conscience s'intensifie, ceux-ci se résorbent l'un dans l'autre, du plus grossier au plus subtil, pour finalement se dissoudre dans le Vide (54). Ces méditations nous libèrent de l'attachement au corps. Lorsqu'on y parvient, nous témoignons de la présence de notre vraie nature consciente, pas seulement dans le corps, mais en tout lieu (104). Nous faisons aussi l'expérience du corps des autres comme si c'était le nôtre (107) parce que la même plénitude de la conscience réside en tous les corps (100).
La pratique des âsana nous permet de développer notre prise de conscience et de faire ainsi l'expérience du Vide. Le Vijnana Bhairava enseigne que si nous maintenons cette présence, assis sur un véhicule en mouvement ou en bougeant lentement le corps (83), on atteint un état mental paisible qui est celui de la conscience supérieure. En utilisant les mouvements du corps, en tournant sur soi-même jusqu'à ce que l'on tombe - toute agitation cesse et on s'installe dans la paix du Vide (111). Prenez une posture confortable, fixez le mental sur le Vide de vos aisselles, dans lequel il fusionnera et atteindra la paix (79). Qu'on fixe le mental sur la langue qui est maintenue au centre de la bouche grande ouverte (81). Soyez assis sur un siège moelleux, ne reposant que sur votre séant, les pieds et les mains privés de support. En demeurant dans cette position le mental individuel se résorbera dans la plénitude suprême de la conscience (78). Que l'on soit assis sur un siège ou couché sur un lit, on devrait méditer sur le corps comme privé de support. Lorsque à son tour le mental se vide et est privé de tout support, à l'instant même on se libère de l'activité du mental (82).
En libérant le corps des supports, c'est comme si le mental s'en libérait aussi. En libérant le mental des supports, le corps s'en affranchit aussi. (119). Libérez le mental de tout support (108) et ne permettez pas aux pensées de resurgir (108). De cette manière le mental est libéré de l'agitation, c'est-à-dire qu'il se détache de tout objet ou encore de tout souvenir (119) ou association. En nous retirant ainsi de toute pensée et connaissance objectives, nous devenons la demeure du Vide (120). Nous pouvons pratiquer la même expérience du Vide sans nous retirer des objets, en fixant l'attention sur un objet bien précis. Il apparaît ainsi graduellement comme étant vide et par conséquent le mental le devient aussi (122). Tous les objets extérieurs dépendent de la connaissance que nous avons d'eux. Par conséquent le monde est vide (134). Imaginez que l'univers entier est vide. De cette manière notre propre mental se dissout dans le Vide et fusionne avec lui (58). L'espace extérieur s'unit à l'espace intérieur. La méditation de l'un ou des deux à la fois aboutit au même ressenti. Le corps et le monde sont tous deux également remplis de la suprême grâce du Vide de la Conscience (65).
Contemplez simultanément votre propre corps et le monde comme n'étant rien d'autre que la conscience, et dans la dissolution du mental vous expérimentez l'éveil suprême (63). En fixant le mental sur l'espace extérieur qui est éternel, privé de support, vacant, imprégnant toute chose et libre de toute restriction, on s'absorbe ainsi dans le non espace (128). Contemplez avec la même attitude l'obscurité du ciel de la nuit (87), la lumière variée du ciel du jour, ou l'espace éclairé par une lampe (76). Comme l'espace extérieur et intérieur sont un, l'obscurité extérieure et intérieure ne connaît pas de séparation. D'abord, fermez les yeux et méditez sur l'obscurité devant vous, puis en ouvrant les yeux contemplez la forme obscure de Bhairava et soyez un avec Son état de Vide (88). Au huitième ou neuvième siècle, lorsque le Vijnana Bhairava se révélait, la pratique des asanas n'était pas encore codifiée, mais les principes essentiels sur lesquels reposent les bases de cette pratique comme Yoga, étaient déjà connus et expérimentés.
C'est tout le mérite de Christian Pisano qui, par son étude sérieuse et sa pratique intense du Yoga, selon les enseignements de Yoqâchârva Srî B.K.S. lyengar et ceux du shivaïsme cachemirien, a reçu la grâce de l'intuition ; tout son mérite d'avoir perçu et su exposer l'unité des principes fondamentaux, au cœur de ces deux traditions, bien différentes en apparence, au premier abord.
Puisse son ouvrage contribuer au bénéfice de tous !"
Mark Dyczkowski
Varanasi, Inde, le 5 Novembre 2010,
