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(anthologie permanente) Gilles Ortlieb

Par Florence Trocmé

Gilles Ortlieb publie deux livres aux éditions Le Bruit du Temps, Et tout le tremblement, dont Poezibao propose ici un extrait et Dans les marges.
Le 5 octobre. Au Suite Home de la route des Petits-Ponts, à la lisière de Pantin, l’impulsion téléphonique est tarifée à 50 centimes. Les impulsions tout court devraient encore, espérons-le, y être gratuites. Comme celle qui m’a amené ici, devant la pagode standardisée d’un « Courte-Paille » expliquant peut-être la fermeture du restaurant mitoyen « La Boucherie », dont ne subsistent plus que quelques vignettes bovines estampillant le bas du mur, près de l’entrée. Que les rues, ici, deviennent routes, ce doit être le signe que la barrière du périphérique a été franchie, comme viendra le confirmer bientôt la clochette aigrelette d’un tramway glissant vers la porte de Pantin. Le tout baignant par endroits dans un éclairage de stade ou, ailleurs, dans une obscurité soufrée par l’un ou l’autre réverbère, qui faisait luire les jantes en alu des limousines garées au pied d’un Mercure hôtel. La route des Petits-Ponts ? Voie intermédiaire, tampon, uniquement chargée d’assurer la transition avec des banlieues subitement fières, dirait-on, d’être pavillonnaires.
Le 11 octobre. À l’entrée de la cour des Petites-Écuries, un guitariste posté devant le café Le Reilhac avait incarcéré sa chaussure droite dans une canette de Pepsi, dont il usait comme d’un métronome peut-être, en tout cas comme d’un instrument de percussion. Temps couvert et après-midi fiévreuse dans la rue du Faubourg-Saint-Denis, comme elle devait déjà l’être un ou deux siècles plus tôt, au temps des cligne-musette, des tire-laine et des vide-goussets, parmi les odeurs de sellerie et de purin – et les apostrophes fusant, comme aujourd’hui, depuis les étals des marchands de fruits.
Après les épiceries bulgares, les librairies ésotériques,
les spécialités de Cappadoce ou d’Anatolie, au n° 8,
les pelleteries, salons de massage et autres ongleries,
la rue des Petites-Écuries – qui s’apprête, franchissant
la rue du Faubourg-Poissonnière (après l’hôtel Paradis)
à se convertir en rue Richer – semble courir, ce faisant,
derrière les apparences de la respectabilité : laissant
se multiplier les agences bancaires et/ou immobilières,
sans même voir où la conduisent toutes ces jongleries
Gilles Ortlieb, Et Tout le tremblement, éditions Le Bruit du Temps, 2016, pp. 128 et 129.
bio-bibliographie de Gilles Ortlieb dans Wikipédia
Deux autres extraits dans Poezibao :
extrait 1, extrait 2


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