Les chemins les plus improbables sont ceux que préfère Marc
Levy. Ses lectrices et ses lecteurs aussi, probablement, puisque son
dix-septième roman, L’horizon à l’envers
était appelé à rejoindre les précédents dans la catégorie poids lourds du
succès. Pourquoi ? La question est embarrassante tant, d’un livre à
l’autre, les mêmes schémas se répètent.
Au début et à la fin, il y a une histoire d’amour. Entre les
deux, elle est contrariée et c’est là que le récit emprunte des voies de
traverse pour regagner la lumière après avoir sombré dans les profondeurs du
désespoir. Marc Levy semble parfois se demander comment il va s’en sortir, ou
plutôt en sortir ses personnages. Et, hop ! un coup de théâtre, sur la
vraisemblance duquel il est préférable de ne pas s’interroger, remet en place
les pièces dispersées du puzzle.
Josh et Hope se tournent autour comme on se flaire, avec
prudence, et rivalisent d’ironie pour ne pas s’avouer leur attirance
réciproque. Les deux étudiants en neurosciences finiront par se rendre à
l’évidence, ils sont faits l’un pour l’autre. Luke, le meilleur ami de Josh, a
aidé celui-ci à en prendre conscience, avec une belle abnégation puisque Hope
était loin de le laisser indifférent.
Le jeune couple pose un léger problème d’organisation aux
recherches que conduisent Josh et Luke au sein d’une organisation qui finance
leurs études et leur offre en outre la possibilité d’explorer, dans le plus
grand secret, des hypothèses scientifiques audacieuses : « Rien n’est
plus imminent que l’impossible », affirme l’adage inscrit sur les murs des
salles de repos de Longview.
Et le romancier de s’engouffrer dans la brèche ouverte vers
un futur qui adviendrait presque tout de suite. Hope souffre d’une tumeur au
cerveau rebelle aux traitements chirurgicaux et chimiques ? Pas
grave ! (Enfin, c’est une manière de parler, car l’atmosphère est quand
même celle d’un drame.) Les deux garçons surdoués vont élargir le champ de
leurs recherches, sauvegarder le contenu du cerveau de Hope, faire cryogéniser
son corps et on lui réinstallera sa mémoire quand les progrès de la médecine
auront permis de se jouer du cancer. Pas plus compliqué que de sauvegarder une
configuration d’ordinateur sur une clé USB ? Si, un peu, car les
interactions entre les réseaux de neurones artificiels et les circuits
électroniques supposent une maîtrise à l’explication de laquelle Marc Levy
passe beaucoup de temps. (Et on le croit volontiers quand il avoue, en note,
que son niveau en neurosciences n’est pas fameux, même après l’écriture du
livre.)
Jules Verne est appelé en renfort, mais l’imminent prend
malgré tout quarante ans avant de se produire, accompagné du coup de théâtre
nécessaire à ce que devient la deuxième partie du roman.
Le scénario fonctionne pour ce qu’il est : un montage
entre idylle et science, les passerelles entre les deux étant cependant
fragiles et menaçant à chaque instant de se rompre pour peu que le lecteur ne
se contente pas de suivre sans se poser de questions. Mais admettons.
Les faiblesses les plus visibles de Marc Levy sont ailleurs.
D’abord dans la platitude d’une écriture dont il n’a, c’est vrai, jamais essayé
de faire autre chose que le support des histoires qu’il nous raconte, et on
serait bien sot, par conséquent, d’en espérer autre chose. Ensuite et surtout
dans la manière dont les personnages surjouent leur rôle, et le mot
« rôle » est évidemment un problème, car tout cela manque
d’incarnation, et donc de crédibilité.
Je est décidément bien un autre, se dira-t-on en refermant le livre. La
charge poétique en moins, dans le cas de L’horizon
à l’envers.