Hélène Toussaint, auteure pour la rétrospective Courbet de 1977 d’un dossier consacré à L’Atelier du peintre (1855) qui fait toujours référence, voyait dans la gravure de Valentin une source très probable à laquelle le maître peintre d’Ornans serait allé puiser pour composer son immense tableau. Son œuvre montre qu’il se servait effectivement de photographies et de gravures d’éditions populaires. L’hypothèse d’Hélène Toussaint semble d’autant plus fondée que la toile ici proposée à la vente présente avec L’Atelier du peintre des similitudes troublantes.
Outre une composition en triptyque (des personnages sont répartis à droite et à gauche de l’artiste, ici le sculpteur Clésinger) et une palette qui offre une évidente communauté de tons, on relève dix détails communs, nombre qui semble dépasser le simple hasard : présence d’armes blanches, de chapeau, d’un crâne, d’un médaillon au mur représentant un profil féminin, d’une guitare, d’une table aux pieds tournés, d’un chat, d’un homme à côté d’un miroir, d’un autre un livre en mains, enfin d’une femme debout regardant un peintre installé à son chevalet.
Les personnages de L’Atelier de Clésinger ayant pour la plupart été identifiés, on notera que quatre d’entre eux figurent également dans la toile de Courbet telle que décrite par Hélène Toussaint : Apollonie Sabatier (la Présidente), le violoniste Alphonse Promayet, le poète Max Buchon et le théoricien du Réalisme Champfleury, les trois derniers ayant été des intimes de Courbet. Enfin, deux détails supplémentaires établissent des passerelles entre L’Atelier de Clésinger et des œuvres du maître peintre d’Ornans : le peintre à son chevalet porte un curieux bonnet que l’on retrouve à l’identique dans un autoportrait au fusain de Courbet conservé aux Etats-Unis (Le Peintre à son chevalet, vers 1848) et, au premier plan, figure une copie de L’Ecorché de Michel-Ange que Courbet représenta dans Les Joueurs de dames (1844) et L’Homme à la ceinture de cuir (1845-46).
L’Atelier parisien de Clésinger, alors situé dans le quartier Bréda où habitaient également Henri Valentin et Apollonie Sabatier, fut certainement choisi pour son caractère emblématique : le sculpteur (ami et compatriote de Courbet) était en effet devenu subitement célèbre suite aux scandales provoqués par deux marbres très érotiques, La Femme piquée par un serpent (Salon de 1847, musée d’Orsay) et La Bacchante couchée (Salon de 1848, Petit Palais). Il y recevait ses amis dans une atmosphère bohème. Outre ceux déjà cités, on distingue dans la toile objet de cette vente des personnages dont les liens avec le sculpteur sont attestés : Alexandre Dumas père, le poète Pierre Dupont, l’écrivain Maxime Du Camp, le peintre Ferdinand Boissard, le journaliste Alphonse Karr, le poète Gérard de Nerval, le peintre Paul Chenavard et Casimir d’Arpentigny qui présenta Clésinger à sa future belle-mère, George Sand. La réunion de tant d’artistes marquants dans une même œuvre est assez rare ; il faudra attendre L’Atelier de Courbet et l’Hommage à Delacroix de Fantin-Latour (1864) pour renouer avec cette tradition.