Suite et fin de cet événement auquel j’ai participé : Page en partage.
Dans mon article du 17 mai 2015, je parlais de l’organisation et du début de la rencontre avec Dominique Sylvain.
La rencontre se poursuit avec des thèmes relevés par des lecteurs. Je suis la 1ère à lancer la suite😉.
Les personnages
Souvent les auteurs de polars ou romans policiers, comme Simenon, n’ont qu’un seul personnage. Or avec vous, on retrouve beaucoup de personnages différents. Pourquoi ces personnages ?
« Pour Louise Morvan, elle vient de toutes mes lectures et aussi celles de mon enfance, comme Fantômette. J’aimais beaucoup ce petit personnage parce qu’elle était libre, assez enquiquineuse, tenace, un sens du costume, amusante et culottée. Louise a un peu d’elle. Il y a aussi , dans un genre complètement différent, une série qui m’a beaucoup marquée: Chapeau Melon et bottes de cuir avec Diana Rigg. A l’époque, c’était très moderne et surtout ça avait du style. Elle était au même niveau que John Steed et ils menaient les enquêtes avec leurs styles. Cette élégance et cet humour m’avaient beaucoup marquée. Un autre personnage constitutif de Louise, c’est Catherine Deneuve dans La sirène du Mississippi de François Truffaut. L’intrigue est jolie et troublante. L’héroïne se fait passer pour quelqu’un d’autre. Ce problème d’identité m’a toujours intéressée. Donc voilà, quand il a fallu créer Louise Morvan, tout ceci est remonté. A savoir, s’il y a une partie de moi, peut-être mais je préfère rester cachée. Ça me semblait naturel de faire vivre des aventures à une femme. Or par la suite, je me suis rendue compte que ce n’était pas si courant que ça. »
« Pour les autres personnages, c’est complètement différent. Le personnage de Franka Kehlmann, dans L’archange du chaos, c’est une scientifique. Non pas sur le plan de la profession parce qu’elle est dans la police mais sur sa façon dont elle voit le monde. Cela a été nourri par mes lectures de magazines scientifiques. Je n’ai pas de formation mais je m’y intéresse beaucoup pour des tas de raisons. Je vis dans une famille de scientifiques et à force de les écouter, de participer aux discussions, ça m’influence. Mais aussi, je pense que d’avoir un personnage qui a une analyse rationnelle et scientifique, ça fait du bien. »
« Il y a des tas de raisons qui font que l’on fait émerger des personnages. »
Beaucoup de femmes dans vos romans, mais quelques hommes aussi.
« Si on reprend l’histoire de Louise Morvan, au départ c’est elle qui mène la danse. Elle a tout un tas de contacts. Au bout d’un moment, elle va rencontrer Clémenti. Il va prendre de l’envergure. Au fil des romans, il y a le besoin de faire monter un autre personnage. J’aime bien les duos. Après il y a eu l’idée de ce duo d’Ingrid et Lola. Là, c’est un peu plus compliqué. »
« J’avais écrit des histoires relativement noires avec Louise dans Vox et Cobra. Et en fait, il y a eu le 11 septembre.Je me suis vraiment inquiétée, comme tout le monde.Je me suis posée de sérieuses questions comme: « Est-ce qu’il est vraiment utile de continuer à écrire des romans noirs dans un monde qui ne va pas bien ? « . Je me suis remise en question. Mais, je ne voulais pas arrêter d’écrire car je ne sais faire que cela. Je n’avais pas envie de retourner dans un bureau. Du coup, je me suis dit que l’on avait besoin de rire. Je vais donc essayer de mêler la comédie et le drame.C’est là que j’ai créé le duo d’Ingrid et Lola. Lola est un peu tombée du ciel. Elle existait. Elle était rassurante. Elle allait prendre les choses en main. On avait besoin d’elle. J’avais besoin d’elle ! Comme je voulais de la comédie, il fallait lui adjoindre quelqu’un avec qui dialoguer. Ça a été plus dur de faire émerger Ingrid. Comme il y avait des problèmes d’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, je me suis dit que ça pouvait être intéressant de la confronter à une américaine. Ce duo, je l’ai mené durant une dizaine d’années. »
On est séreuse avec Sophie. Lecture d’un dialogue entre Lola et Ingrid.
Les décors
Des décors précis, fournis. On s’y croit tellement bien.
« Je m’immerge complètement dans mes intrigues. C’est comme si je me projetais dedans. J’ai besoin de savoir le temps qu’il fait. Sur le plan du lieu, j’ai besoin de savoir comment est la rue, dans quel sens circulent les voitures. J’ai besoin de savoir où vivent les personnages. Je sais ce qu’elles peuvent ressentir en faisant tout ça. Je me mets même dans la peau du chien😉. »
Des décors de films
« Je pense que je fais partie de cette génération de gens qui ont eu une culture aussi bien littéraire que cinématographique. Je suis admirative de séries comme The Walking dead qui sont très méticuleuses. Beaucoup d’auteurs ont une cinémathèque mentale où l’on va puiser. Je suis nourrie de tout cela. »
Comment vous faites pour explorer tous ces univers ?
« En général, j’ai une idée qui me trotte en tête. Et si elle persiste, je sais que c’est sur cela que je vais écrire. Donc je me documente beaucoup sur le net. Je lis des ouvrages. Je rencontre des personnes. Pour le roman Manta Corridor qui s’ouvre sur une scène où la brigade fluviale repêche un corps dans la Seine, j’ai essayé de l’écrire sans rencontrer personne. Mais je n’y arrivais pas. Ça pataugeait, c’est le cas de le dire. Je ne voyais pas comment un plongeur procédait, ce qu’il voyait etc. J’ai pris contact avec eux . Mais en plein plan vigipirate, ils n’avaient pas le temps. En fouillant sur le net, j’ai trouvé un plongeur qui avait pris une année sabbatique et qui n’était pas tenu à la réserve. On s’est rencontré. J’ai pu lui poser des questions bien précises. J’ai retravaillé ma scène et elle a pris une autre dimension. Pour Strad, qui parle du trafic d’objets d’arts, j’ai rencontré deux policiers de la brigade de répression du trafic des biens culturels. Ils ont plus faits les marioles qu’autre chose. Mais voilà, je me suis aussi servie de cela. »
« J’ai un respect pour les gens et je n’ai pas envie de raconter n’importe quoi. Donc je me renseigne. C’est une sorte d’ancrage. De là peuvent surgir des passages poétiques, surprenants. »
L’écriture
Quelques-uns de vos ouvrages ont été réédités avec des changements de titres, d’histoire. Est-ce que toutes ses rééditions étaient volontaires ?
« Pour Baka. En 2007, Viviane Hamy n’avait plus d’exemplaire et m’a dit qu’elle voulait le rééditer car les lecteurs le demandaient. Etant donné qu’il a été publié en 1995, que beaucoup de choses s’étaient passées, elle m’a demandé de le relire. Je l’ai fait alors que je ne le fais jamais. Je savais que j’allais changer des choses car je n’étais pas contente de moi. Je trouvais que mon héroïne avait un côté très condescendant. Ma vision de ce pays avait changé suite à un autre voyage. Je l’ai donc réécrit en gardant certains passages. Je crois que j’ai changé les motivations du tueur et resserré l’intrigue. J’ai mis Louise dans une situation plus humble. Ça a donc donné Baka nouvelle version. »
« Pour le second qui est Soeurs de sang. Pareil, il était épuisé. J’ai fait plus un toilettage sérieux. »
« Pour Travestis. C’est plus compliqué. Car entre temps, j’ai été approchée par deux jeunes femmes qui voulaient en faire un film. J’ai lu le scénario et je me suis aperçue qu’elles avaient complètement changé le personnage de Louise. Bon, le film ne s’est pas fait. Mais elles avaient vu des pistes intéressantes. En plus, je n’étais pas satisfaite de Travestis. Je me suis donc inspirée de ce qu’elles avaient écrit, rajoutée Jim Morrison. J’ai injecté beaucoup de musique. Quand on l’a présenté aux représentants qui s’occupent de la distribution, l’idée de mettre un nouveau titre est venu, Le roi lézard. Mais Viviane Hamy a voulu rajouté un petit texte expliquant le changement. Ceci dit, je ne conseille pas de réécrire ses textes car sur le plan commercial, ce n’est pas judicieux. Je l’ai fait pour moi, pour le bonheur d’écrire. Mais bon, on relit rarement un livre que l’on a déjà lu. Mais il y avait le désir de faire bien. «
Pourquoi le genre policier ? Jusqu’à quel moment vous allez supporter d’écrire avec ces contraintes et ces limites du roman policier, vu que vous jouez avec tout?
« C’était un peu un prétexte le polar. Le désir, que j’avais, était un désir d’écriture. J’ai choisi ce genre car j’en ai lu beaucoup et je croyais savoir comment cela marchait. Puis je me disais qu’avec l’intrigue, on a moins peur. Car on est tenu par elle et après toutes les libertés sont possibles. Après, de la contrainte peut surgir la créativité. Nourrie par Chandler, je me suis dit que j’étais dans un territoire où je maîtrisais un peu les codes. Je me suis bien amusée. Après est-ce que je suis prisonnière ? Est-ce que je serai capable de penser à une autre histoire que du roman noir ? Ce que j’aime dedans, c’est le côté intense où les gens sont confrontés à quelque chose. La quête est plus intéressante que l’enquête. Je ne sais même pas si je suis capable d’écrire autre chose. Par contre, le problème c’est qu’il faut assassiner quelqu’un (rires) ! Pourquoi tant de haine ?😉 Un polar sans meurtre pourquoi pas ?. »
« Un roman c’est comme une conversation entre deux personnes aussi bien quand on l’écrit que quand on le lit. »
Le travail de l’écriture était-il dur pour vous ? un plaisir ? la peur de la page blanche ?
« Je n’ai pas peur de la page blanche car je peux écrire sur n’importe quoi. Après à savoir si c’est intéressant, c’est un autre problème. Ce qui est difficile pour moi, c’est de réussir à trouver des histoires qui peuvent être intéressantes. J’admire ceux qui arrivent à trouver des histoires simples car moi c’est souvent enchevêtré. Je suis un peu laborieuse pour la construction des intrigues. En revanche pour moi, l’écriture c’est une véritable jubilation. C’est très physique d’écrire, pas que cérébrale et aussi émotionnel. C’est un marathon donc il faut aussi être bien physiquement. L’ordinateur est un peu notre deuxième cerveau. »
La rencontre se termine sur des questions diverses notamment sur la sortie de son prochain roman.
« Il s’appelle Kabukicho.Il sortira le 6 octobre prochain. C’est un retour au Japon. C’est une histoire qui va être racontée par peu de personnages, 3 narrateurs, et ça sera spécifié à chaque début de chapitre. L’histoire se déroule dans le quartier chaud de Tokyo, Kabukicho. Ça se base sur le meurtre d’une hôtesse de bar anglaise à Tokyo, tuée par serial killer japonais d’origine coréenne. Elle s’appelait Lucie Blackman. On en a entendu plus parler dans le monde anglo-saxon. Un journaliste du Times a écrit un livre sur elle. Je me suis inspirée de ce personnage. Quand je vivais là-bas, j’ai appris l’existence des hôtes, la version masculine de l’hôtesse de bar. Ce qui était fascinant, c’est que souvent les clientes de ces hommes sont des prostituées. Je me suis dit que c’était un moyen pour eux de décompresser. Ce qui m’a intéressée, c’est qu’ils ne savent plus trop qui ils sont.En y réfléchissant, je me suis dit que c’était en écho avec mes lectures d’avant et notamment avec la série Replay de Patricia Highsmith. A l’époque, Replay était un personnage extrêmement moderne qui, souvenez-vous, est à la fois un tueur et un héro. Il n’est pas pris à la fin. Il est fascinant car il a une grave crise d’identité. Ce thème m’avait marquée. Et quand Kabukicho a émergé, ce souvenir de Replay est remonté à la surface. »
« Les unitaires me tentent bien maintenant. 22 ans de série, c’est suffisant ! »
Vos proches sont-ils vos premiers lecteurs ? ou pas du tout ?
« Alors mon mari ne lit pas mes livres. J’ai renoncé😉. Il n’aime pas trop les polars. Ma belle-mère me lit. Elle a inspiré en partie Lola avec ses puzzles😉. Mes enfants sont plus branchés SF ou essais. En revanche, j’ai un ami qui m’a proposé de lire mes livres et de jouer le rôle du lecteur. C’est un outil très précieux que je n’aurai jamais imposé à quiconque. L’avantage, c’est qu’il a lu tous mes livres. Ça peut aussi être dangereux. Il faut être prudent et savoir dire « non ce n’est pas ce que je veux ». Ça m’a fait gagner du temps. Je n’écris pas pour les gens de ma famille mais pour vous. »
Vos livres ont été traduits dans une dizaine de langues. Est-ce que vous savez comment ils sont perçus ?
« C’est toujours très délicat. Quelques fois, on est invité à aller sur place mais les signatures en librairie sont plus difficiles. Il n’y a pas vraiment d’échanges. »
Le mot de la fin est pour Dominique Sylvain :
« Merci d’être venu. Vous êtes nombreux. Ça fait plaisir. Ça remonte le moral. »
La libraire La Mandragore avait prévu un stand où Dominique Sylvain a pu dédicacer ses livres.
Voilà c’est fini ! Je n’ai pas vu passer les 3 mois de préparation. Je tiens à remercier Sophie et la bibliothèque de Chalon de m’avoir associé à ce projet. En plus, ils m’ont super bien intégré à leurs équipes ! Passez les voir à la bibliothèque😉. N’oubliez pas de passer aussi dans cette superbe librairie de pros La Mandragore. Vous aurez des conseils avisés pour toutes les lectures.
Un grand merci à Dominique Sylvain qui a suivi les préparations et a joué le jeu à fond de cette rencontre.
D’ailleurs, elle a joué aussi le jeu de la photo tordue😉.
Très pro !
Très tordu !