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Un nouveau livre de Jean-François Blondel, Franc-maçonnerie et Compagnonnage.

Par Jean-Michel Mathonière

Jean-François Blondel vient de publier aux éditions Trajectoire un nouvel ouvrage. Il est consacré à un thème qui m'est cher, sur lequel je suis souvent intervenu pour tout à la fois stigmatiser les confusions et dénoncer, à l'inverse, les exclusions hâtives. C'est là un sujet complexe que ce livre s'efforce d'éclairer un peu. Pour vous le présenter, il m'a semblé utile d'en reproduire ci-dessous sa préface, que j'ai acceptée de rédiger.

En tête des questions qui me sont le plus souvent posées au sujet du compagnonnage lors des conférences et expositions[1] que je consacre aux nombreuses facettes de ce sujet, il y a celle de sa parenté avec la franc-maçonnerie. Car, pour les profanes notamment, l’emploi d’un emblème général identique – l’équerre et le compas entrecroisés – renforce l’idée, induite par le côté mystérieux et élitiste des deux organisations, qu’elles seraient en quelque sorte les deux visages, manuel et intellectuel, d’une même entité occulte. Du point de vue des francs-maçons, il y a l’intime conviction qu’il existe en effet une étroite parenté et qu’ils seraient en quelque sorte les cousins germains des Compagnons. Nombreux admettent même l’idée que la franc-maçonnerie a emprunté une bonne part du contenu rituel et symbolique de ses deux premiers grades au compagnonnage. Quant aux compagnons, qu’en pensent-ils ? Les opinions les plus diverses existent et elles varient plutôt en fonction de l’idéologie et des croyances du compagnon qui les exprime que de ses réelles connaissances historiques…

Au demeurant, il n’est sans doute pas inutile de tout simplement rappeler dès les premières pages de cet essai que de nos jours les obédiences maçonniques et les sociétés compagnonniques n’entretiennent absolument aucun lien. Et même qu’un grand nombre de Compagnons cultivent un anti-maçonnisme pour le moins solide — attitude héritée de la période vichyste durant laquelle le compagnonnage français a connu un profond chamboulement et des clivages. Ainsi, dans beaucoup de sociétés compagnonniques du Devoir, la double affiliation est-elle interdite ou déconseillée et transgresser ouvertement cette règle (souvent non écrite) peut aboutir à une radiation. Dans d’autres compagnonnages, c’est un choix qui relève fort heureusement de la liberté individuelle et n’appelle d’autre remarque de la part des « Anciens » que le fait de mettre en garde le compagnon voulant devenir franc-maçon de la difficulté qu’il pourra rencontrer à satisfaire à toutes ses obligations, tant compagnonniques et maçonniques que familiales.

Le fait que depuis quelque temps des historiens de ces deux sociétés combattent l’idée d’une parenté d’origine, perturbe quelque peu les esprits sans pour autant parvenir à faire table rase des idées reçues, qui sont légion. Les francs-maçons restent totalement fascinés par les descendants des bâtisseurs de cathédrales que seraient ou sont les compagnons, héritage au demeurant évident pour l’esprit pour ce qui concerne la transmission des techniques mais qui reste à prouver sur le plan historique pour ce qui est des filiations initiatiques…

Jean-François Blondel tente dans ce nouvel essai d’apporter quelques lumières précises à ce débat. Ce faisant, il accumule quantité d’éléments documentaires dont toutefois le plus grand nombre, il faut le remarquer objectivement, provient directement ou indirectement de la surabondante littérature maçonnique ou assimilée touchant à la question de la Maçonnerie opérative avec laquelle on confond trop souvent, et surtout beaucoup trop rapidement, les compagnonnages continentaux. L’étude sérieuse des compagnonnages français souffre en effet d’un considérable déficit quantitatif, même si depuis un peu plus de deux décennies, ce retard tend à se combler grâce aux travaux d’une poignée de chercheurs, au premier rang desquels Laurent Bastard, l’érudit conservateur du Musée du Compagnonnage de Tours[2]. Tout récemment, Les Enfants de Salomon d’Hugues Berton et Christelle Imbert[3] a également apporté une pierre volumineuse à l’édifice, leur travail traitant des deux sujets sans pour autant les mélanger. Quant au présent essai de Jean-François Blondel, il touchera sans doute davantage le public maçonnique, qui connaît bien son travail, que compagnonnique, malheureusement moins familier de la lecture (du moins pour les jeunes qui sont absorbés par le Tour de France et par le travail). Et il contribuera, je l’espère, à nourrir la réflexion des uns et des autres et ainsi faire avancer encore un peu le débat.

Pour conclure sur du concret, je mettrai l’accent sur un point souvent négligé par les Maçons lorsqu’ils abordent ce sujet : en fait, la première erreur à être faite lorsqu’on évoque cette délicate question de la parenté entre franc-maçonnerie et compagnonnage, c’est de considérer ce dernier comme formant un tout homogène. Or, tel n’est pas du tout le cas, d’autant si l’on remonte les siècles. Il est plus convenable de parler de compagnonnages, au pluriel. En réalité, si une forme quelconque de parenté doit être recherchée ou, du moins, examinée avec attention, ce n’est pas entre la tradition maçonnique et tous les compagnonnages indistinctement, mais tout d’abord avec les sociétés de tailleurs de pierre (les « maçons » au sens ancien du terme). Ce n’est pas non plus entre la franc-maçonnerie spéculative, telle qu’elle s’européanise au milieu du XVIIIe siècle, et les compagnonnages français de tailleurs de pierre, mais entre les loges opératives écossaises et anglaises dont se revendiquent la tradition spéculative et les compagnonnages européens de tailleurs de pierre. Et le problème n’est pas de s’obséder sur les parentés rituelles, mais de mieux cerner et comprendre le substrat culturel commun à toutes ces organisations, qu’elles possèdent ou non un caractère initiatique, qui est celui du métier et des arts et sciences lui étant connexes. Cette exploration, sérieuse et méthodique, promet à coup sûr de belles découvertes. C’est ce que j’ai cherché à montrer dans l’exposition La Règle et le Compas[4], où l’on découvre notamment les extraordinaires sources françaises, opératives, d’un symbole maçonnique comme la pierre cubique à pointe…


[1]. Voir le site internet www.compagnons.info

[2]. Outre tout l’intérêt des publications de Laurent Bastard, on soulignera la richesse de la série des Fragments d’histoire du Compagnonnage publiés chaque année par le musée (16 volumes actuellement publiés).

[3]. Éditions Dervy, 2015, 944 p. Préface de Pierre Mollier et de Jean-Michel Mathonière.

[4]. Cf. le catalogue de l’exposition La Règle et le Compas, éd. Musée de la franc-maçonnerie, Paris, 2013, 54 p.


Vous pouvez vous procurer cet ouvrage de format 15,5 x 24 cm et de 272 pages illustrées (noir et blanc) chez votre libraire habituel ou bien en ligne en cliquant sur le lien ci-dessous.

Un nouveau livre de Jean-François Blondel, Franc-maçonnerie et Compagnonnage.

L'homme pense parce qu'il a une main. Anaxagore (500-428 av. J.-C.)


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