Après le Grand Palais et le Metropolitan museum, le musée Fabre accueille cet été, jusqu’au 28 septembre, une remarquable rétrospective consacrée à Gustave Courbet. Paris, New York, Montpellier : les noms de ces trois villes, dont deux demeurent des métropoles internationales de l’art, prouvent qu’un événement culturel de première importance peut être organisé dans une ville de province, pour peu qu’elle dispose d’un lieu approprié et d’une volonté politique. Il faut souhaiter qu’à l’avenir, de tels exemples se multiplient.
Rappelons pour mémoire que Courbet séjourna à Montpellier à deux reprises, en 1854 et 1857, à l’invitation de son ami et mécène Alfred Bruyas. De ces séjours, témoignent des toiles dont la plus célèbre reste sans doute Bonjour Monsieur Courbet (encore intitulée La Rencontre). Sa correspondance apporte d’autres informations : en septembre 1854, il écrit à sa sœur Zoé qu’il se remet à peine du choléra – l’épidémie s’était répandue dans plusieurs régions de France – mais dans une autre lettre, à son ami Max Buchon, il évoque aussi des tourments bien différents, ses « amours » tumultueuses avec plusieurs pensionnaires d’un bordel local… Ses relations avec Alfred Bruyas sont, à l’époque, au beau fixe et l’on sent une réelle complicité entre les deux hommes :
« La peinture que je lui ai faite fait le plus grand effet ici et ses compatriotes en crèvent de jalousie. Je lui ai fait le plaisir de refuser toutes les commandes qui m’ont été faites afin qu’il soit le seul qui ait ma peinture. »
On parle beaucoup d’une brouille qui intervint dans leur relation lors du second séjour du peintre. Elle eut bien lieu, mais la lettre très aimable qu’il adressa au collectionneur au moment de quitter Montpellier permet d’en relativiser la gravité. Si l’on excepte Ornans, ville natale de Courbet, nulle autre cité en France ne pouvait donc mieux convenir pour un hommage à cet artiste majeur.
Par ailleurs, il faut souligner que le musée Fabre, entièrement rénové, offre depuis février 2007 un espace culturel exceptionnel, abritant une collection permanente de qualité (notamment un très bel ensemble de toiles de Pierre Soulages) et apte à recevoir des expositions temporaires aussi importantes que celle dédiée au maître-peintre d’Ornans. Car ce ne sont pas moins de 116 œuvres provenant des collections publiques et privées du monde entier, accompagnées d’une quarantaine de photographies, qui sont présentées depuis le 14 juin ; une telle réunion n’avait plus eu lieu depuis la rétrospective de 1977.
Les amateurs qui avaient eu l’occasion de se rendre à l’exposition du Grand Palais qui ferma ses portes en février 2008 (480.000 visiteurs) n’auront pas l’impression d’une redite. En effet, les responsables du musée Fabre ont choisi un parcours muséographique différent, organisé chronologiquement autour de thèmes précis (les débuts, la bohème parisienne, la rupture, etc.) et de lieux chers à l’artiste (paysages de Franche-Comté, le Languedoc, paysages de mer). Si, pour des contraintes techniques, en raison de leurs dimensions, Un Enterrement à Ornans et L’Atelier ne font pas partie de l’exposition, on pourra en revanche voir un ensemble de 16 tableaux qui font du musée montpelliérain la troisième collection de peintures de Courbet dans le monde.
On retrouvera en outre la plupart des œuvres les plus emblématiques du peintre, plusieurs autoportraits, dont L’Homme blessé, Les Baigneuses de 1853 (qui furent acquises par Alfred Bruyas en dépit du scandale qu’elles suscitèrent), Jo la belle irlandaise, La Femme à la vague, etc. Les paysages languedociens frappent par leur facture : le peintre, habitué à la pénombre des sous-bois de sa Franche-Comté natale comme, plus tard, des rivages tumultueux de la Normandie, capte avec une parfaite maîtrise la lumière si particulière du Midi. L’Origine du monde, remarquablement accrochée au Grand Palais entre ses deux caches successifs (Le Château de Blonay de Courbet et la Terre érotique d’André Masson) avait été, à New York, « séquestrée dans un espace étroit avec d’autres images de nus », comme l’avait noté le New York Times. Lors d’une exposition au musée de Brooklyn en 1988, le tableau n’avait pas fait l’objet d’un tel ostracisme ; comme je l’avais noté dans l’essai que j’ai récemment publié sur L’Origine du monde, le puritanisme américain se fait de plus en plus pesant et l’Art reste l’une de ses victimes favorites. A Montpellier, la toile est accrochée en pleine lumière à côté du Sommeil, réunion judicieuse, puisque les deux œuvres étaient entrées ensemble dans la collection du diplomate Khalil-Bey en 1866.
En plus d’un certain nombre d’animations (conférences, lectures, projections quotidiennes de documentaires), les organisateurs proposent une initiative originale, un circuit permettant de suivre l’itinéraire du peintre dans la région et de retrouver les lieux où il peignit certaines de ses toiles. Pareille promenade existe déjà dans la région d’Ornans, dont les paysages ont moins souffert du développement de l’urbanisme balnéaire, mais cette « Route Courbet » en six étapes, de Sète à Lunel-Viel, en passant par Villeneuve-lès-Maguelone n’en demeure pas moins un excellent motif pour visiter les alentours de Montpellier.
Illustrations : Affiche de l’exposition (photo Nguyen) - Musée Fabre - Bonjour Monsieur Courbet (photo F. Jaulmes)