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Le plus triste jour de sa vie

Par Artemissia Gold @SongeD1NuitDete

Le plus triste jour de sa vie

le jour le plus triste de sa vieLe soleil frôlant désormais l’horizon, colorant les nuages d’un ton orangé. Voilà le spectacle qui s’offrait aux paires d’yeux attentives. Pourtant, l’assemblée qui était regroupée dans la salle de réception, ne semblait pas vraiment intéressée par le paysage extérieur. Seul un jeune homme d’environ 25 ans, appuyé contre la baie vitrée, paraissait se délecter de ce qu’il voyait. Et pour cause, cela faisait maintenant presque cinq heures qu’il était enfermé là avec la centaine d’invités qui avaient été conviés au repas du mariage. La plupart étaient restés assis sur leurs chaises, discutant autour des tables de leurs enfants, de leurs maisons, de leur travail dans un brouhaha qui, malgré tout, avait du mal à couvrir le bruit assourdissant de la sono. Cette dernière bien que récente ne diffusait d’ailleurs que de la musique d’avant le 21ème siècle pour le plus grand malheur des jeunes convives qui n’avaient d’autres choix que de se déhancher sur les grands classiques de la variété française et de la disco.

Maxime jeta un regard vers Lucie et ne put retenir un sourire en la voyant danser aux bras de son nouveau mari. Estimant que sa présence n’était pas indispensable pour les quelques dix prochaines minutes, il alla au vestiaire récupérer le paquet de cigarettes qu’il avait laissé dans la poche de sa veste et s’éclipsa dehors. A peine eut-il refermé la porte que le bourdonnement dans ses oreilles cessa, libérant ainsi son esprit d’un poids devenu plus qu’agaçant. Une divine odeur d’herbe coupée parvint jusqu’à ses narines finissant de l’apaiser. Maxime avait toujours détesté les mariages, les cérémonies orchestrées avec leurs lots de bienséance qu’il estimait égale à de la pure hypocrisie. Entendre dire à chaque main serrée « Maxime ! C’est fou ce que tu as grandi ! La dernière fois que je t’ai vu, tu n’étais qu’un petit bébé ! » ou encore « Je n’en reviens pas ce que tu ressembles à ton père, les mêmes yeux ! », embrasser la tante Huberte, la tante Jeanne, l’oncle Bernard et des dizaines d’autres parents dont il ne connaissait jamais l’existence, afficher une mine radieuse alors qu’il avait l’impression d’étouffer avec son costume sous 35°C, feindre de se régaler du repas alors qu’il détestait les trois quarts des plats qu’on lui avait présentés, accepter de danser avec la fille de la cousine du beau-frère de la sœur du marié. Tout ça n’était clairement pas ce qu’il préférait.

Maxime attrapa une cigarette du bout de ses doigts et la plaça entre ses lèvres tout en essayant d’atteindre le briquet dans la poche arrière de son pantalon. Quand il fit glisser son pouce sur la molette, une flamme jaillit, l’aveuglant pendant quelques dixièmes de secondes. La première bouffée de fumée qui envahit son palais le fit frissonner. Il fallait croire qu’il en avait vraiment besoin. En expirant la poussière nicotinée, le jeune homme sentit une légère pression s’abattre sur le bout de la cigarette, une goutte d’eau venait de s’écraser sur les braises, provoquant un léger crépitement. Il leva les yeux vers le ciel devenu presque noir et, bien décidé à ne pas rejoindre l’assemblée tout de suite, courut se réfugier sous l’arbre le plus proche.

C’était un chêne.

Immense.

Plus proche des étoiles que tous ses congénères aux alentours.

Maxime se colla contre le tronc et se laissa glisser pour finir assis sur l’herbe humide. Son costume allait être trempé. Tant pis.

D’où il était, il avait une vue parfaite sur la salle et les échos des éclats de voix et de musique qui lui parvenaient lui donnèrent soudain la nausée. Il jeta sa cigarette par terre et l’écrasa de son pied droit. A quoi est-ce que tout ça rimait ? Ils étaient tous là à faire comme si tout allait bien mais à y regarder de plus près, rien n’allait. Ce couple là-bas en train de danser dans les bras l’un de l’autre, il fallait être aveugle pour voir que ça ne collait pas, la femme avait les yeux plongés dans ceux de son partenaire alors que lui, visiblement agacé, semblait prier pour que la chanson arrive à son terme. Depuis combien de temps étaient-ils mariés ? Dix, vingt ans ? Et à coups sûrs, une cérémonie aussi grandiose que celle-ci avait été jouée pour leur mariage. Oui, jouée. Car tous ici étaient des acteurs essayant tant bien que mal de dépeindre une scène de bonheur parfait. Et puis quoi ? Chacun rentrerait ensuite chez soi, cet homme et cette femme se croiseraient dans leur maison, s’occuperaient de leurs enfants. Ils avaient fait un pacte « pour le meilleur et pour le pire ». On avait simplement oublié de leur dire que le meilleur ne durerait qu’un temps, qu’il avait une date de péremption plus ou moins longue, que de toute façon, ils perdraient à la loterie.

Évidemment, il y avait parfois des exceptions, des couples qui s’aimaient « jusqu’à ce que la mort les séparent », une molécule d’eau dans un océan. Maxime n’avait pas toujours été aussi catégorique sur ce noble sentiment commençant par un grand A et que tout à chacun espérait rencontrer un jour. Il l’avait croisé une fois au cours de sa vie mais il n’avait juste pas su le retenir et désormais il trainait une ombre derrière lui. Il avait juste perdu la foi. Il avait juste était brisé. Juste.

De légers picotements lui chatouillèrent la nuque et lorsqu’il y passa sa main, il constata que les responsables étaient des fourmis qui, faute de pouvoir poursuivre leur route le long de l’écorce sur laquelle il était appuyé, avaient décidé de courir sur sa peau. Il se releva amèrement exaspéré et observa la troupe d’insectes. Finalement, les humains n’étaient pas si différents des fourmis. Elles pullulaient par milliers, par millions, par milliards. Maxime en écrasa une avec son index. Quelques unes arrêtèrent leur course folle pour tourner autour de la dépouille et puis, elles reprirent leur chemin. Que représentait une fourmi parmi toutes les autres ? Rien. Que représentait un humain parmi tous les autres ? Rien. Que représentait cette femme parmi toutes les autres ? Tout.

Jamais il n’avait exprimé ce qu’il ressentait et maintenant c’était trop tard. Dans sa robe blanche, Lucie resplendissait. Il allait devoir apprendre à mettre ses sentiments de côté pour la laisser évoluer dans les bras de cet homme qu’elle avait choisi. C’était comme ça, il ne pouvait rien y faire. Maxime épousseta son costume, replaça le col de sa chemise et se dirigea vers la salle.

Une des racines du chêne dépassant légèrement de la terre manqua de le faire chuter.

Lily

Le plus triste jour de sa vie

le jour le plus triste de sa vie
Le soleil frôlant désormais l’horizon, colorant les nuages d’un ton orangé. Voilà le spectacle qui s’offrait aux paires d’yeux attentives. Pourtant, l’assemblée qui était regroupée dans la salle de réception, ne semblait pas vraiment intéressée par le paysage extérieur. Seul un jeune homme d’environ 25 ans, appuyé contre la baie vitrée, paraissait se délecter de ce qu’il voyait. Et pour cause, cela faisait maintenant presque cinq heures qu’il était enfermé là avec la centaine d’invités qui avaient été conviés au repas du mariage. La plupart étaient restés assis sur leurs chaises, discutant autour des tables de leurs enfants, de leurs maisons, de leur travail dans un brouhaha qui, malgré tout, avait du mal à couvrir le bruit assourdissant de la sono. Cette dernière bien que récente ne diffusait d’ailleurs que de la musique d’avant le 21ème siècle pour le plus grand malheur des jeunes convives qui n’avaient d’autres choix que de se déhancher sur les grands classiques de la variété française et de la disco.

Maxime jeta un regard vers Lucie et ne put retenir un sourire en la voyant danser aux bras de son nouveau mari. Estimant que sa présence n’était pas indispensable pour les quelques dix prochaines minutes, il alla au vestiaire récupérer le paquet de cigarettes qu’il avait laissé dans la poche de sa veste et s’éclipsa dehors. A peine eut-il refermé la porte que le bourdonnement dans ses oreilles cessa, libérant ainsi son esprit d’un poids devenu plus qu’agaçant. Une divine odeur d’herbe coupée parvint jusqu’à ses narines finissant de l’apaiser. Maxime avait toujours détesté les mariages, les cérémonies orchestrées avec leurs lots de bienséance qu’il estimait égale à de la pure hypocrisie. Entendre dire à chaque main serrée « Maxime ! C’est fou ce que tu as grandi ! La dernière fois que je t’ai vu, tu n’étais qu’un petit bébé ! » ou encore « Je n’en reviens pas ce que tu ressembles à ton père, les mêmes yeux ! », embrasser la tante Huberte, la tante Jeanne, l’oncle Bernard et des dizaines d’autres parents dont il ne connaissait jamais l’existence, afficher une mine radieuse alors qu’il avait l’impression d’étouffer avec son costume sous 35°C, feindre de se régaler du repas alors qu’il détestait les trois quarts des plats qu’on lui avait présentés, accepter de danser avec la fille de la cousine du beau-frère de la sœur du marié. Tout ça n’était clairement pas ce qu’il préférait.

Maxime attrapa une cigarette du bout de ses doigts et la plaça entre ses lèvres tout en essayant d’atteindre le briquet dans la poche arrière de son pantalon. Quand il fit glisser son pouce sur la molette, une flamme jaillit, l’aveuglant pendant quelques dixièmes de secondes. La première bouffée de fumée qui envahit son palais le fit frissonner. Il fallait croire qu’il en avait vraiment besoin. En expirant la poussière nicotinée, le jeune homme sentit une légère pression s’abattre sur le bout de la cigarette, une goutte d’eau venait de s’écraser sur les braises, provoquant un léger crépitement. Il leva les yeux vers le ciel devenu presque noir et, bien décidé à ne pas rejoindre l’assemblée tout de suite, courut se réfugier sous l’arbre le plus proche.

C’était un chêne.

Immense.

Plus proche des étoiles que tous ses congénères aux alentours.

Maxime se colla contre le tronc et se laissa glisser pour finir assis sur l’herbe humide. Son costume allait être trempé. Tant pis.

D’où il était, il avait une vue parfaite sur la salle et les échos des éclats de voix et de musique qui lui parvenaient lui donnèrent soudain la nausée. Il jeta sa cigarette par terre et l’écrasa de son pied droit. A quoi est-ce que tout ça rimait ? Ils étaient tous là à faire comme si tout allait bien mais à y regarder de plus près, rien n’allait. Ce couple là-bas en train de danser dans les bras l’un de l’autre, il fallait être aveugle pour voir que ça ne collait pas, la femme avait les yeux plongés dans ceux de son partenaire alors que lui, visiblement agacé, semblait prier pour que la chanson arrive à son terme. Depuis combien de temps étaient-ils mariés ? Dix, vingt ans ? Et à coups sûrs, une cérémonie aussi grandiose que celle-ci avait été jouée pour leur mariage. Oui, jouée. Car tous ici étaient des acteurs essayant tant bien que mal de dépeindre une scène de bonheur parfait. Et puis quoi ? Chacun rentrerait ensuite chez soi, cet homme et cette femme se croiseraient dans leur maison, s’occuperaient de leurs enfants. Ils avaient fait un pacte « pour le meilleur et pour le pire ». On avait simplement oublié de leur dire que le meilleur ne durerait qu’un temps, qu’il avait une date de péremption plus ou moins longue, que de toute façon, ils perdraient à la loterie.

Évidemment, il y avait parfois des exceptions, des couples qui s’aimaient « jusqu’à ce que la mort les séparent », une molécule d’eau dans un océan. Maxime n’avait pas toujours été aussi catégorique sur ce noble sentiment commençant par un grand A et que tout à chacun espérait rencontrer un jour. Il l’avait croisé une fois au cours de sa vie mais il n’avait juste pas su le retenir et désormais il trainait une ombre derrière lui. Il avait juste perdu la foi. Il avait juste était brisé. Juste.

De légers picotements lui chatouillèrent la nuque et lorsqu’il y passa sa main, il constata que les responsables étaient des fourmis qui, faute de pouvoir poursuivre leur route le long de l’écorce sur laquelle il était appuyé, avaient décidé de courir sur sa peau. Il se releva amèrement exaspéré et observa la troupe d’insectes. Finalement, les humains n’étaient pas si différents des fourmis. Elles pullulaient par milliers, par millions, par milliards. Maxime en écrasa une avec son index. Quelques unes arrêtèrent leur course folle pour tourner autour de la dépouille et puis, elles reprirent leur chemin. Que représentait une fourmi parmi toutes les autres ? Rien. Que représentait un humain parmi tous les autres ? Rien. Que représentait cette femme parmi toutes les autres ? Tout.

Jamais il n’avait exprimé ce qu’il ressentait et maintenant c’était trop tard. Dans sa robe blanche, Lucie resplendissait. Il allait devoir apprendre à mettre ses sentiments de côté pour la laisser évoluer dans les bras de cet homme qu’elle avait choisi. C’était comme ça, il ne pouvait rien y faire. Maxime épousseta son costume, replaça le col de sa chemise et se dirigea vers la salle.


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