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[critique] la Falaise mystérieuse / the Uninvited

Par Vance @Great_Wenceslas
[critique] la Falaise mystérieuse / the Uninvited

Bien que le titre français n'ait pas l'impact glaçant de l'original ( the Uninvited, pourtant guère plus explicite), il permet de mieux resituer le contexte de cette œuvre singulière qui est l'une des toute premières à aborder le thème des maisons hantées sous un angle anxiogène, faisant du lieu un personnage à part entière recelant d'innommables secrets et faisant planer sur toute l'histoire une ombre menaçante et une atmosphère oppressante.

Ce film de 1944 ressort le 1er juin 2016 dans une splendide édition vidéo ( DVD et blu-ray) chez Wild Side, accompagné d'un livret collector de 86 pages bourré d'anecdotes et de photos d'archives qui nous permet d'en savoir davantage sur ce métrage faisant figure de pionnier en la matière, régulièrement cité par les plus grands réalisateurs contemporains comme référence universelle du genre fantastique. Ainsi, Martin Scorsese le plaçait-il en 3 e position dans son top 11 des films les plus effrayants de tous les temps et Guillermo Del Toro n'hésitait-il pas à l'insérer dans ses six films de chevet.

Certes, cela ne garantit pas que la Falaise mystérieuse soit terrifiant pour un spectateur du XXI e siècle, nourri d'œuvres privilégiant les jump scares et les effets visuels, mais cela certifie à l'amateur et au cinéphile qu'il sera en face d'un film ayant posé certaines des bases sur lesquelles il aura construit sa culture - à l'instar de Carnival of souls, une autre perle tombée presque dans l'oubli et ressortie récemment.

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De fait, le film de Lewis Allen frappe immédiatement les esprits par plusieurs qualités intrinsèques : sa photo d'abord, pour laquelle le chef opérateur Charles Lang Jr. Sera nommé aux Oscars (même s'il échouera cette fois, il avait remporté la statuette grâce à son travail dans l'Adieu aux armes de Frank Borzage). Le premier plan est une vue latérale sur un front de mer, avec une falaise surplombant la grève, surmontée d'une bâtisse ; un couple est visible au milieu de l'écran, gravissant avec peine le sentier escarpé menant au sommet, tandis qu'une voix off nous évoque directement de quoi il est question puisqu'elle nous parle... de fantômes. C'est là qu'on admirera le travail de restauration et la qualité initiale du pressage, avec des images impressionnantes de définition. Notre couple devient ensuite le centre de notre attention, les plans se faisant plus rapprochés à mesure qu'ils parviennent plus près de la maison, sous le charme de laquelle la femme tombera immédiatement - bien qu'il faille faire intervenir leur chien qui y pénètrera à la poursuite d'un écureuil. Tout dans cette séquence met le spectateur contemporain en porte-à-faux : le temps ensoleillé, le décor bucolique, les facéties du petit rongeur qui se cache sous les meubles et la bonne humeur de l'homme qui ne cesse de plaisanter. Lui, c'est Ray Milland, dont le charme flegmatique et la subtile ironie seront mis à profit par Hitchcock dans le Crime était presque parfait. Et donc, malgré l'avertissement de la voix off, pas une ombre au tableau, pas la moindre brume, pas même un avertissement musical (la partition de Victor Young, faussement classique, se fera un malin plaisir de nous mettre en décalage). Jusqu'à ce que leur visite n'aboutisse à une porte close, derrière laquelle se trouve un ancien atelier de peintre qui a la particularité d'être constamment glacial...

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Voilà ce que propose the Uninvited : refusant les effets horrifiques, les détails scabreux, les poses outrancières, le metteur en scène nous propose une histoire sensible qui met surtout en valeur les personnages. Ceux-ci n'ont rien d'archétypal : Roderick, le sympathique compositeur (un peu) raté venu de la capitale, n'est pas marié mais voyage avec sa sœur, avec laquelle il choisit d'acheter cette masure imposante, presque sur un coup de tête. Il a cette décontraction élégante et légèrement hypocrite qu'on retrouve chez Cary Grant (surtout le personnage qu'il interprétait dans Soupçons). Face à lui, les acteurs font leur job décemment, avec un jeu beaucoup plus théâtral, notamment Donald Crisp interprétant le commandeur Beech, propriétaire un peu bougon dissimulant mal l'embarras qu'engendre la simple mention de cette propriété, la demeure de Windward à laquelle semble particulièrement attachée sa petite-fille, Stella. Cette dernière incarnera très vite l'axe autour duquel se jouera l'intrigue : cette jeune femme porte en elle tous les stigmates du romantisme, avec une douleur profonde qu'elle ne parvient pas à masquer mais un appétit de vivre encore intact. Gail Russell l'interprète avec ardeur, passant sournoisement de la malheureuse enfant à l'aventureuse adulte. Personnellement, j'avoue ne pas avoir été séduit par l'outrance de son jeu, ses beaux yeux de biche perpétuellement écarquillés, mais il faut lui reconnaître une intensité fascinante, une passion visible qui confine à la folie : cet équilibre fragile entre " vulnérabilité et nervosité " ( cf. le livret signé Patrick Brion) avait été salué à l'époque et lui avait permis de décrocher de très nombreux contrats qui ne l'empêchèrent pas de sombrer petit à petit dans le désespoir et l'alcoolisme sans jamais retrouver la flamme qu'elle révélait ici.

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Ainsi, dans cette intrigue reposant sur de lourds secrets de famille (la mort dans des circonstances troubles de la mère de Stella, la disparition de sa doublure pour le splendide portrait trônant chez le Commandeur) et dont le spectateur attentif trouvera assez vite la résolution, la mise en place se fait très lentement. Il faudra patienter avant de commencer à ressentir quelques frissons, engendrés par une mise en scène délicate privilégiant le hors-champ : des fleurs qui fanent en un clin d'œil, le chien qui refuse de monter les escaliers, puis ces sanglots de femme qui résonnent dans la nuit. Lorsque la musique se calme et que les dialogues se tarissent, les séquences deviennent plus prenantes et perdent cette légèreté de ton singulière.

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ne jouit pas des décors et de l'ambiance d'un La Falaise mystérieuse Aventure de Mme Muir, ni de l'atmosphère angoissante et pesante d'un Rebecca - auxquels il est souvent comparé - mais il bénéficie de ce traitement particulier qui lui permet de se distinguer du tout-venant des " films de maisons hantées ". Alors que la délicate idylle entre Roderick et Stella commence à se faire jour, l'investigation sur le passé de celle-ci progresse lentement (pourquoi son grand-père refuse-t-il qu'elle retourne à Windward ?), entrecoupé de scènes plus sombres (des visions spectrales, une séance de spiritisme qui tourne mal) et avec des protagonistes qui se montrent beaucoup moins niais, fragiles et intimidés que la plupart des personnages de films d'horreur.

L'œuvre forme un ensemble détonnant, nettement plus malicieux et

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subtil que les films du genre auquel il se raccroche : si elle ne parviendra sans doute pas à vous faire peur, ni même à vous faire sursauter, elle saura vous séduire par son intelligence et son élégance et son jeu permanent sur les ombres, qui semblent parfois presque prendre corps.

Une curiosité, rehaussée donc d'un très beau livret et d'un bonus vidéo constitué d'un entretien de trois quarts d'heure avec Christophe Gans.


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