ELLE, Paul Verhoeven (2016)
Chez Philippe Djian, il y a du bon et du mauvais, à boire et à manger, à prendre et à laisser. Et cela tombe plutôt bien puisque le réalisateur néerlandais rencontre le même problème d’inconstance, à ceci près que chez lui l’imparfait dépasse allègrement l’appétissant. Ayant choisi d’adapter l’un des meilleurs romans de Djian (Oh…) et certainement pas le plus aisé à convertir en images, Verhoeven prenait un risque (plus au moins maîtrisé avec le choix évident – et facile – de l’actrice principale) et s’en sort, faut-il le reconnaître, avec les honneurs. Mis à part que, si l’on ne peut nier que Elle apparaît comme une production remarquable, force est de constater également qu’elle ne laissera pas pour autant un souvenir impérissable ; sentiment étrange et ambigu d’être captivé-e durant 2h10 pour finalement sortir de la salle obscure immédiatement délesté-e de ce long-métrage, aussi vite ingéré que digéré…
Difficile donc de s’attaquer à l’excellent, labyrinthique et dérangeant Oh… dont Verhoeven extrait des pages le personnage fascinant de Michèle. La cinquantaine élégante, divorcée, maman d’un garçon gentil mais immature et encombrant, à l’aise dans son travail et sa vie personnelle, Michèle pourrait être le modèle même d’une vie réussie et épanouissante s’il n’y avait, une nuit, cette terrible agression dont elle est victime et qui fera resurgir les relents âcres du passé, les histoires sordides et refoulées de la mémoire et les stigmates indélébiles de l’enfance.
Car Michèle est une sorte de Rubik’s Cube humain, femme complexe et à multiples facettes dont les différentes couleurs ne s’aligneront jamais et qui traverse l’existence avec une froideur, une distance et un cynisme hors du commun. Rien ne semble atteindre Michèle, tout lui paraît toujours acceptable, sans gravité, presque léger, tout est à utiliser et rien n’est à jeter, le meilleur comme le pire… surtout le pire; Michèle, comme un fantastique et significatif condensé de manipulation, de douleur, de courage et de sauvagerie inhibée… Qui d’autre qu’Isabelle Huppert pouvait incarner ce personnage trouble et incandescent qui mène tout son petit monde par le bout du nez, à commencer par elle-même ? Elle est à la fois glaçante et drôle, atypique et rangée, vénéneuse et fragile, rigide et fantaisiste. Si Isabelle Huppert, – l’une de nos plus belles actrices qu’il est toujours délectable de retrouver – excelle une fois de plus avec ce jeu « intellectualisé » et tout en intériorité, il n’en reste pas moins que Huppert fait (une fois de plus) du Huppert. L’on ne peut s’empêcher de penser à Chabrol, Haneke, Tavernier ou plus récemment Nicloux et leurs héroïnes indicibles, torturées et névrosées que la comédienne a toujours incarnées à la perfection mais qui aujourd’hui donnent le sentiment de tourner en rond. Peut-être serait-il temps que les réalisateurs prennent certains risques en abandonnant ce genre de rôle automatiquement estampillé « Huppert » à d’autres et offrent aux cinéphiles le plaisir de la voir elle investir d’autres peaux et développer d’autres nuances.
Du côté de la réalisation tout est millimétré, rien ne dépasse dans ce décor aussi feutré que malsain, laissant entrevoir un montage qui n’octroie jamais de place aux temps morts, découpage dynamique et concis, pour que l’on ne s’ennuie jamais et que le film défile comme si chaque scène était un couperet qui tombe. La psychologie du personnage de Michèle est parfaitement disséquée et, si torturée et complexe qu’elle puisse se montrer, elle n’en reste pas moins limpide et structurellement impeccable aux yeux du spectateur-trice. Le cinéaste retranscrit à merveille le roman de Philippe Djian en se l’appropriant et en livrant un long-métrage d’une matoiserie immaculée et d’une beauté cruelle qui pose la question des traumatismes et de la frontière tenue entre désir et perversion. Quant au casting, l’on retrouve entre autres aux côtés d’Isabelle Huppert la discrète et lumineuse Anne Consigny, Virginie Efira malheureusement peu crédible et mal à l’aise dans son rôle de catholique bienveillante, Charles Berling égal à lui-même, sans grande surprise et, celui qui étonne finalement le plus et épate là où on ne l’attendait pas, Laurent Lafitte.
Elle, ce sont des acteurs-trices (presque ou trop) impeccables, un esthétisme travaillé, une mise en scène subtile mais c’est aussi un film froid, rigide, qui manque d’âme, de caractère propre et ne semble être que la réminiscence de l’art affûté et très personnel de Chabrol… Verhoeven réussit (partiellement) avec cette réalisation à redorer son blason mais la route est encore un peu longue pour, personnellement, me satisfaire pleinement…