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[Avant-Première] [Direct-to-Vidéo] Black, un souffle d’espoir tragique sur Molenbeek

Par Rémy Boeringer @eltcherillo

[Avant-Première] [Direct-to-Vidéo] Black, un souffle d’espoir tragique sur Molenbeek

Deux réalisateurs belges de langue flamande et d’origine marocaine, Adil El Arbi et Bilall Fallah, pourraient bien avoir réussi l’exploit de réactualiser le dur constat de La haine sans tomber dans la caricature banlieusarde ni la bien-pensance, deux excès du genre qui nuisent à une compréhension sereine des enjeux sociaux, économiques et politiques des quartiers sensibles européens. Avec Black, qui ne sortira qu’en E-Cinéma, le 24 juin 2016, il ne livre pas qu’une énième adaptation cinématographique de Roméo et Juliette calibrée pour attirer un jeune public mais plutôt une œuvre dure et poignante, reflet d’une situation qui n’a guère évoluée devant le mutisme des pouvoirs publics, une autre vision que la simplification télévisuelle stigmatisant Molenbeek-Saint-Jean depuis les attentats du Bataclan.

Alors que deux gangs de jeunes caïds des banlieues bruxelloises se livrent une guerre larvée, Mavela, (Martha Canga Antonio) membre des Black Bronx de Matonge et Marwan (AboubakrBensaihi), membre des 1080 de Molenbeek-Saint-Jean, tombent amoureux, malgré les pressions de leur milieu.

[Avant-Première] [Direct-to-Vidéo] Black, un souffle d’espoir tragique sur Molenbeek

Mavela (Martha Canga Antonio)

Une fois n’est pas coutume, il est affligeant de s’apercevoir de la frilosité des distributeurs français, condamnant Black à ne jamais trouver le chemin des salles françaises, en partie à cause d’une exploitation interdite aux moins de seize ans, et d’un autre côté, à cause d’incidents pathétiques mais certainement isolés qui ont émaillé l’avant-première bruxelloise. Alors même que Black, certes assez violent et frontal, est empreint d’une moralité à toute épreuve permettant une lecture sans équivoque qui condamne irrémédiablement cette violence, il est juste déplorable de s’apercevoir qu’une œuvre est autocensurée par ses promoteurs par une peur sans fondements logiques. Un argument avancé étant aussi qu’un film sur la jeunesse de Molenbeek pourrait heurter les sensibilités des Français encore meurtris par les attentats nous poussent à nous demander quelle mouche à donc piquer les décideurs. On a l’impression de retomber dans les travers qui font que, vingt-cinq après le cri d’alerte d’Authentik de Suprême NTM, on ne daigne toujours pas écouté la jeunesse exclue du grand rêve capitaliste. Comme pour ce groupe et tant d’autre, la réalité et la crudité du propos est rapidement noyée sous les polémiques absconses. Ce qui pourrait bien finir par laisser notre jeunesse se poser la bonne question : Qu’est-ce qu’on attend [pour foutre le feu ?]. Tant que l’on ignorera sciemment les cris de révoltes et d’alerte, rien ne s’arrangera.

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Nassim (Soufiane Chilah) et Marwan (Aboubakr Bensaihi)

Black a tout pourtant, du film, qu’il faudrait diffuser partout, alliant ce que certains esprits malsains appellerait la culture de l’excuse, qui n’est rien d’autre que la prise en compte sociologique de facteur bien réels, à une condamnation sans appel d’un monde mafieux reprenant les codes capitalistes à son propre compte. La misère économique, alliée de la misère intellectuelle pousse les opprimés à user des mêmes ressorts que leurs bourreaux. Et en premier lieu des moyens de contrôle des sociétés se trouve l’oppression de la femme par le système patriarcal. Intimement liés aux jeux de pouvoirs et de dominations, c’est surtout de cette réalité tragique que traite Black dont les protagonistes féminins sont les premières à payer le prix. L’ultra-sexualisation de notre société, porté par l’univers pornographique, faisant porter elle-même les stigmates du marché sur les corps et les desideratas fantasmés de la gent masculine par des publicitaires aliénés, le manque d’éducation à la sexualité et de discours constructifs sur le genre engendre des générations de gars cisgenre portant leur virilité comme seul étendard de leur identité. Une identité dont on a consciencieusement souhaité qu’elle s’efface pour se standardiser dans le consumérisme ambiant. Black revêt donc son aspect le plus choquant lorsqu’il met en scène l’emprise des hommes, constitué en meute, sur les « femelles » de leur clan, sur lesquelles ils considèrent avoir droit de cuissage, de vie et de mort. Cette situation inacceptable de recul du droit des femmes portée par les mouvements traditionalistes de tout acabit, des communautarismes ethniques à l’extrème-droite européenne, est une résultante de choix de société qui n’écarte aucun groupe social mais dont la prise de conscience, ici au niveau des quartiers populaires, est plus qu’indispensable. Black sensibilisera d’abord aux violences faites aux femmes, dénonçant sans ambages, la culture du viol.

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Mavela (Martha Canga Antonio) et X (Emmanuel Tahon)

De cette fatalité, et c’est là que Black dépasse la simple fresque sociale, les principaux protagonistes, Mavela et Marwan veulent s’extraire. À travers deux points de vue qui divergent, celui de Mavela et de sa mère, Black illustre des problématiques profondes, d’une part l’acculturation, que l’on nomme assimilation, permettant de faire correspondre les âmes allochtones aux standards de notre société de consommation, et d’autre parts, une intégration qui se fait vers le bas, la cité reprenant à son compte les critères, d’une rare violence, de notre société capitaliste. Scarface, film culte de Brian de Palma est encore l’œuvre qui parle le mieux de l’acculturation qui mène à la délinquance. Du petit malfrat de cité au banquier à col blanc, qui partagent la même vision du monde et de la sauvagerie dans laquelle les rapports sociaux doivent évoluer, il n’y a qu’une différence de moyen. L’argent des petits trafics de drogues blanchissant celui des exilés fiscaux. Mais l’on s’écarte (à peine) de notre sujet. Il y a donc une troisième voix que celle de l’assimilation et celle de l’acculturation bête et méchante semble nous dire Black. Et si l’on rêvait d’une société décomplexée, riche de ses différences, capable de faire vivre son avenir commun tout en honorant ses racines. Le premier pas vers le racisme est la perte de celle-ci. Comment apprécier la culture des autres si l’on ne connaît pas la sienne ? C’est là toute la problématique à résoudre. Fier de leurs origines, Mavela et Marwan n’ont pas pour autant honte de parler flamand et parle français avec l’accent belge. De leur métissage, ils acquièrent une force qui les poussent à comprendre l’absurdité de la guéguerre que se livre leurs clans, reproduction à petite échelle, des conflits territoriaux de l’ère colonial.

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Mavela (Martha Canga Antonio) et Marwan (Aboubakr Bensaihi)

Rythmé, Black utilise tous les codes du film d’action avec les moments de tensions inévitables et un montage costaud, laissant rarement au spectateur le temps de reprendre son souffle. Même lorsqu’il s’appesantit sur l’aspect social de son récit, il ne ralentit pas forcément son allure. Une manière, sûrement, de s’inscrire dans une tradition artistique inspiré du cinéma hollywoodien, tout en marquant l’urgence qui émane de son discours. C’est que Black dépeint une réalité bien triste, où les existences niées d’une catégorie de la population, absente des grands médias et souvent reléguée au rang de simples problèmes statistiques, amène notre jeunesse à brûler la vie par les deux bouts dans une démarche souvent nihiliste, racine de la radicalisation. C’est en étant capable de s’aimer eux-mêmes que Marwan et Mavela pourront s’aimer en retour. Il ne faut pas négliger dans Black, la force évocatrice de leur amour qui rappelle celle de Roméo et Juliette, de West Side Story et de tant d’autres transfuges du genre, symbole de la possibilité de porter haut d’autre valeurs que celle du repli sur soi communautaire voire clanique. D’autant plus que, contre toutes attentes, avouons que nous avions peur que celui-ci tourne à la guimauve, leur destin dramatique inflige une lourde charge émotionnelle au spectateur. C’est raté pour cette fois, la route est longue, nous susurre Black dans le creux de l’oreille, mais il faut garder espoir.

Boeringer Rémy

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