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« Dehors » Anthologie poétique pour l’association Action Froid

Par Poesiemuziketc @poesiemuziketc

Présentation

(Poésie, fragments)

107 auteurs

Anthologie établie par Christophe Bregaint et Eléonore Jame

Préambule de Xavier Emmanuelli, parrain d’ActionFroid

Ce recueil est un livre sur et pour la rue.

Dans un même élan, nous avons voulu apporter une aide matérielle à l’association ActionFroid – les bénéfices de la vente du recueil lui sont reversés – et proposer une chambre d’écho, un panorama sensible de ce territoire oublié, offrir un espace, une maison de papier en somme, à l’homme déchu, au clochard – celui qui porte à la connaissance de tous que dans tout homme il y a quelque chose qui cloche.
Et quoi de mieux que l’écriture poétique, débarrassée des carcans du langage ordinaire, aux antipodes du commerce verbal et des discours aseptisés, quoi de mieux que cette façon d’habiter la langue comme ouverture, porte d’accès et voie d’exploration. Rien de ce qui est humain n’est étranger au travail poétique et surtout pas la nature boiteuse de l’homme aussi omnipotent qu’impuissant, cet éternel mortel, ce roi-clochard.
Le regard poétique permet de renouer avec l’espace de la relation. Nous l’avons pensé et voulu comme une fraternité réaffirmée dans le corps de la langue.
Bienvenue dehors.

Avant-propos :

Du premier abri à l’habitation pérenne, de l’anfractuosité à la hutte, de la mansarde au château, du tipi au pavillon, du nid végétal à quelques mètres du sol à la panic room la plus sophistiquée, du landau à la chambre d’hôpital, de la case au phalanstère, de tout temps, sous toutes les latitudes, depuis que l’homme est homme, nomade ou sédentaire, il ne peut vivre sans abri, sans repaire. Protection contre les prédateurs et les éléments. Un espace qui accueille l’intime en toute sécurité, un chez soi pour l’en-soi et le pour-soi. Pour loger sommeil, peur, jouissance, souffrances, pour héberger joie, repos, repas, compagnie ou solitude… Rudimentaires ou fortifiés, en roseaux tressés, béton armé, argile, bois, briques, pierres entassées, sur pilotis ou troglodyte, à roues ou à voiles, en blocs de neige, un espace, un toit, un morceau de monde à soi.


« Didier F., 54 ans, sans domicile fixe est mort sur cette place le 21 avril 2016, Paris XVIIe », « Virgil, 45 ans, Pontoise », « Élisabeth, 46 ans, Paris Xe », « Philippe Y., dit Fifi, 57 ans, Saint-Amand-les-Eaux », « Un bébé de trois semaines, Bondy », « Eyas A., 23 ans, Coquelles », « Fatima M., 48 ans, Grenoble », « Louis, dit Pantalon, environ 60 ans, Montreuil », « Un homme, 20 ans environ, Calais », « Claude M., 74 ans, Caen », « Isabelle G., 54 ans, Gréoux-les-Bains », « Saïd R., 50 ans, Talence », « Raoul, 60 ans, Mondeville », petite nécrologie devenue aussi quotidienne qu’ordinaire… Leur dernière demeure n’en est pas une. Pour la plupart, morts en dernière instance de n’en n’avoir plus ou pas eu. Reconnaissons-leur l’ultime décence de s’éclipser en douce, sans bruit. Gloire au défunt, paix à son âme, au suivant.

Mais leur première disparition est sociale. Au cœur de notre fraternité fièrement proclamée sur le fronton de nos publics édifices, en creux est cette tache qui l’interroge peut-être plus que toute autre et que nous pourrions dérouler ainsi : que nous dit de nous cette société qui laisse pêle-mêle et tels des immondices, enfants, vieillards, adultes à la rue ? Qui abandonne à leur sort des corps sans refuge, des âmes sans toit, dans un jour sans fin auquel ne succède qu’une nuit sans repos ? Sous la pluie, le plomb solaire et les déjections ? Les indifférenciés, dépersonnalisés, ton sur ton, rendus au sol, rendus nulle part, d’ici ou d’ailleurs, pas encore morts affirmerait l’examen clinique, mais défunts du corps social, à terre, gris sur gris… Épouvantails sur asphalte, saletés sur saleté, fossoyeurs de mirages, d’illusions tranquillisantes, fossoyés vivants, hommes-choses, chose-personne. Hic et nunc, la fin du chemin.
Multiples ces ombres de la rue, foule solitaire ou en bande, bigarrée et innombrable, multiples ces chaos, petits ou grands, au gré des failles et faillites individuelles, des convulsions économiques et géopolitiques, ces parcours maintenant indiscernables, incompréhensibles qui ont précipité l’échouage.
Et que nous murmurent-elles ces ombres tant craintes ? Que ça emboucane la misère. Quel est ce petit air qu’elles nous sifflent ? Que non, on ne trouve pas à la rue que des Diogène libres et maîtres de leur destin, ou des traîne-savates, désaxés, truands, va-nu-pieds, vagabonds, éclopés, fous, bohémiens, idiots du village, fainéants, gueux, pervers, pouilleux, envahisseurs, profiteurs, alcooliques, toxicomanes, bons à rien…
Qu’on peut finir à la rue comme on dégringole une volée de marches, que dans son équilibre instable le funambule ne tutoie pas toujours les étoiles. Que sous des auspices moins cléments… ou qu’une fortune facétieuse en décide… et nous prendrions place au banquet des indigents.

Le sans-abri, cet oiseau de malheur qui pourrait précipiter notre chute si nous avions l’heur d’un peu trop d’empathie. Se mettre à sa place, c’est déjà la prendre. Prendre le risque d’en être, d’y être. Le désintégré nous impose de regarder en face l’insignifiance et la signifiance du vivre. De notre mortelle condition d’animaux sociaux. « Lui » c’est « nous », et l’on ne peut sentir qu’un sourd sentiment de proximité, comme une compréhension instinctive et bien involontaire. « On » donc. On – homo, tout homme –, pronom indéfini et personnel, lieu de la plus grande imprécision, de la plus grande confusion. Pas de genre, pas de nombre, non identifiable identifié, collectivité indifférenciée dans la dissolution des frontières. On vit dehors, on est à la rue.

La rue nous donne à voir l’immontrable et le pourtant étalé là, devant nos yeux aveuglés par la peur de la contagion et le scandale qu’il représente : le miroir inhumain, grimaçant, en odorama et inversé de nos belles réalisations individuelles et collectives, de notre superbe et vaniteuse modernité. « Ça » nous dit que notre monde est à la rue, que le lien trompété est en quelque sorte un leurre, coquille quasi vide de quatre lettres, ce lien est un rien. Une consonne à demi repliée et le miroir aux alouettes s’arrête net.
Alors ? Désespoir ? Non, des espoirs et des actes. Car, le plus souvent, notre distance n’est qu’un repli provisoire, un renoncement temporaire par sentiment d’impuissance, élan séché devant l’ampleur de ce qui serait à accomplir, devant ces travaux herculéens actualisés : nettoyer les écuries d’Augias, combattre l’hydre de Lerne, bref, venir en aide à tous, à chacun, chaque jour. Espoirs encore, parce que de cette angoisse naissent aussi et surtout la compassion et la solidarité, l’entraide.

Des réponses, et concrètes, fleurissent : l’État n’a pas abandonné sa mission d’assistance, mais quand les pouvoirs publics sont dépassés par le nombre chaque jour plus grand de trébuchants ponctuels, de déclassés confirmés ou de naufragés à vie, les individus se mobilisent, des associations prennent le relais. Parmi elles il en est une : ActionFroid, créée par Laurent Eyzat en plein cœur de la terrible vague de froid de l’hiver 2012.

Le recueil que nous publions aujourd’hui est le fruit arrivé à maturité d’une rencontre. « Une couverture ? un café ? une soupe ? », c’est avec ces mots que les bénévoles de l’association répondent à l’urgence et apportent un peu de chaleur maraude après maraude. « Un poème ? », c’est avec ces mots que Christophe Bregaint, poète et membre de la communauté citoyenne qu’est ActionFroid a sollicité les auteurs que vous allez lire. Qu’ils soient ici remerciés de leur générosité.

Ce recueil est un livre sur et pour la rue. Dans un même élan, nous avons voulu apporter une aide matérielle à l’association – les bénéfices de la vente du recueil lui sont reversés – et proposer une chambre d’écho, un panorama sensible de ce territoire oublié, offrir un es¬¬pace, une maison de papier en somme, à l’homme déchu, au clochard – celui qui porte à la connaissance de tous que dans tout homme il y a quelque chose qui cloche.

Et quoi de mieux que l’écriture poétique, débarrassée des carcans du langage ordinaire, aux antipodes du commerce verbal et des discours aseptisés, quoi de mieux que cette façon d’habiter la langue comme ouverture, porte d’accès et voie d’exploration. Rien de ce qui est humain n’est étranger au travail poétique et surtout pas la nature boiteuse de l’homme aussi omnipotent qu’impuissant, cet éternel mortel, ce roi-clochard.

Le regard poétique permet de renouer avec l’espace de la relation. Nous l’avons pensé et voulu comme une fraternité réaffirmée dans le corps de la langue.
Bienvenue dehors…

Eléonore Jame

Les auteurs de Dehors :

Frédéric Adam, Javed Akhtar, Maram Al-Masri, Isabelle Alentour, Guy Allix, Gabrielle Althen, Philippe Annocque, Nicole Barrière, Jean-Christophe Belleveaux, Anne Bernard, Barbara Bidaud, Isabelle Bonat-Luciani, Pascal Boulanger, Laurence Bouvet, B.P., Paul de Brancion, Sophie Brassart, Christophe Bregaint, Gabrielle Burel, Tom Buron, Carole Carcillo Mesrobian, Séverine Castelant, Odkali de Cayeux, Jay Cee, Anna Maria Celli, Henri Clerc, Francis Combes, Murielle Compère-Demarcy, Roland Cornthwaite, Seyhmus Dagtekin, Hélène Dassavray, Roland Dauxois, Maggy De Coster, Arnaud Delcorte, Hélène Delprat, Olivia Del Proposto, Marie Delvigne, Jean-Luc Despax, Marie-Josée Desvignes, Bruno Doucey, Éric Dubois, Brigitte Dumas, Clotilde Escalle, Christophe Esnault, Estelle Fenzy, Gérald Gardier, Brigitte Giraud, Bernard Giusti, Franz Griers, Cécile A. Holdban, Sabine Huynh, David Jacob, Éléonore Jame, Catherine Jarrett, Gabrielle Jarzynski, Yan Kouton, Jean Le Boël, Perrin Langda, Patricia Laranco, Rodrigue Lavallé,Indira Lebrin, Bertrand Leclair, Fabien Leriche, Jean-Pierre Lesieur, Fabrice Magniez, Maria Maïlat, Hervé Martin, Jean-Luc Maxence, Yannick Merchant-Reinhardt, Emmanuel Merle, Jean Métellus, Ana Minski, Murièle Modély, Charlotte Mont-Reynaud, Lucas Moreno, Emmanuel Moses, Vincent Motard-Avargues, Gérard Mottet, Roland Nadaus, Florence Noël, Kenny Ozier-Lafontaine, Aliénor Oval, Charles Pennequin, Éric Pessan , Francesco Pittau, Éric Poindron, Chantal Portillo, Thierry Radière, Clara Regy, Morgan Riet, Nicolas Rozier, Emmanuel Ruben, Aliénor Samuel-Hervé, Christophe Sanchez,Fabien Sanchez, Anna de Sandre, Richard Taillefer, Francois Teyssandier, Marlène Tissot, Florian Tomasini, Mario Urbanet, Pablo Urquiza, Lorenzo Verdasco, Évelyne Vijaya, Thomas Vinau, Paul Vincensini, Astrid Waliszek.
Couverture : Éric Démélis

Découvrir le recueil ici Dehors recueil sans abris

dehors couverture


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