La bibliothèque d’un individu le définit souvent plus fidèlement que toutes les biographies. Elle révèle des faces cachées, met fin à des idées reçues, fait émerger des passions inattendues. Le scénariste et réalisateur, mais aussi écrivain et surtout dialoguiste d’élite qu’était Michel Audiard en offre un exemple frappant. Longtemps, l’intelligentsia le traita par le mépris, lui qui n’avait pour tout diplôme qu’un CAP de soudeur, qui affichait une réelle prédilection pour le cyclisme, qui collectionnait à l’écran les succès populaires et émaillait ses dialogues de cette langue de la rue, gouailleuse et imagée qu’il partageait avec ses héros, flics ou voyous, tout en maîtrisant avec un égal bonheur le langage bourgeois des financiers que l’on rencontrait dans Les Grandes familles.
La dispersion, le mois dernier, de sa bibliothèque (plus de 2000 volumes) et des souvenirs contenus dans sa maison de Dourdan, où il s’éteignit le 28 juillet 1985, invalide totalement l’image intellectuellement négative qui fut souvent colportée par les bien-pensants de la Nouvelle vague. Elle révèle d’abord un fin lettré qui affichait sur ses rayonnages les œuvres complètes de Barbey d’Aurevilly, Sacha Guitry, Maupassant, Rutebeuf ou Zola, des ouvrages de Boccace, Brantôme, Dumas, Eluard, La Bruyère, Marivaux, Montaigne, Nodier, Racine ou Saint-Simon. Elle met ensuite en lumière le bibliophile avisé : ses Œuvres complètes de Balzac avaient appartenu à Ludovic Halévy – grande figure des Lettres du XIXe siècle – , son exemplaire du Cercle joyeux à Pierre Louÿs, et celui des Œuvres de Rabelais au célèbre « Lion du Boulevard » Lord Henry Seymour ; il possédait une édition originale des Paradis artificiels de Baudelaire, des Liaisons dangereuses, de Madame Bovary, de La Recherche du temps perdu, des Illuminations, des Stupra, de La Chartreuse de Parme avec un envoi de Stendhal, des Poèmes saturniens avec un envoi de Verlaine. Ses exemplaires de Louis-Ferdinand Céline, dont il se revendiquait grand amateur, étaient pour la plupart tirés sur grand papier et reliés en maroquin noir par des maîtres (Semet et Plumelle, Devauchelle). Toutes ces lectures ont inspiré la plume d’Audiard – il suffit, non plus d’entendre, mais bien de lire attentivement les dialogues drôles et irrévérencieux qu’il écrivait pour en trouver la preuve, à travers des allusions, des clins d’œil qui n’avaient rien de gratuit.
Les amateurs purent acquérir, à des prix plus modestes, des lettres, des photographies ou des livres (parfois portés à l’écran) offerts par les amis du dialoguiste, comme Alphonse Boudard, René Fallet, Auguste Le Breton, Jacques Perret, Albert Simonin ou Patrick Modiano, des exemplaires de ses propres livres, souvent reliés en maroquin noir. L’examen de certains lots permet parfois d’étranges découvertes. Ainsi, le critique Jean-Louis Bory n’hésitait-il pas lui à adresser ses ouvrages agrémentés de belles dédicaces alors qu’il s’était fait remarquer par cette phrase aussi injuste qu’assassine : « J’ai marché dans de l’Audiard. Comme c’était du pied gauche, ça m’a porté chance. »
Mais ce sont sans doute les archives de Michel Audiard qui offraient l’intérêt majeur de cette vacation. On relève en effet, dans le catalogue, des manuscrits de travail, des dactylographies corrigées de sa main, des documents préparatoires, des synopsis, des projets inédits, autant de sources de première main pour permettre aux chercheurs d’effectuer les travaux de critique génétique qui se révèleraient passionnants car ces dossiers concernent des romans ou des dialogues importants, même si les inoubliables Tontons flingueurs restèrent les grands absents de la vente.
Quelques œuvres et objets d’art (dont une belle tapisserie du début du XVIIe siècle), des meubles (dont son bureau), des accessoires et même quelques vêtements complétaient cette dispersion.
Admirateurs de l’artiste et de ces années 1960 dont il sut comme nul autre traduire l’atmosphère s’arrachèrent les quelques 365 lots proposés, ce qui explique pourquoi les prix d’estimations furent souvent largement dépassés. Ainsi, Madame Bovary, estimé 1200 €, s’envola à plus de 2600, l’exemplaire courant d’Un Singe en hiver d’Antoine Blondin, qui fournit à Audiard l’occasion d’écrire ce qui fut peut-être son plus beau dialogue, pourtant sans annotation, dépassa les 1500 €, celui des Grandes familles, dédicacé par Maurice Druon et estimé 1500 € en atteignit plus de 4700. Quant à la célèbre casquette en tweed que le cinéaste arborait en permanence, estimée 150 €, elle finit par atteindre… près de 4000 € ! Une pièce qui aurait eu toute sa place dans un musée du cinéma.