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…Les demoiselles d’Avignon de Picasso sont barcelonaises? (et d’autres trucs, aussi)

Par Tanagra @sinontusavais
…Les demoiselles d’Avignon de Picasso sont barcelonaises? (et d’autres trucs, aussi)

Il n'y a guère que Guernica qui pourrait disputer aux Demoiselles d'Avignon le titre d'oeuvre la plus connue et reconnue de Picasso. Achevé en 1907, ce colossal tableau de 243,9 cm sur 233,7, aujourd'hui conservé au Museum of Modern Art (MoMA, pour les intimes), est salué comme une oeuvre fondatrice du cubisme et l'un des paliers les plus importants de la carrière du peintre. Faut dire qu'on les reconnaît en un clin d'oeil, les madames: une pomme, une poire, une grappe de raisin et une tranche de pastèque (oui, c'est une pastèque), cinq femmes à poil, les yeux rivés vers le spectateur dans un regard qui fait quand même un petit peu froid dans le dos - le tout devant un rideau qui s'apparente à un rideau de théâtre, mais avec Picasso on est jamais tout à fait sûrs. L'image est fermement imprimée dans l'imaginaire collectif, et la voir suffit à nous faire hocher la tête dans une acceptation générale du fait que ceci est un chef d'oeuvre. Chef d'oeuvre, oui. Chef d'oeuvre méconnu, surtout.

D'abord: ces demoiselles n'ont strictement rien à voir avec Avignon (!)

Ensuite: ce tableau a choqué tout le monde (!!)

Pour finir: il est fort probable qu'il ne soit même pas l'oeuvre fondatrice du cubisme, comme on l'affirme souvent (!!!)

Oh, un petit point à expédier rapidement, aussi: non, les Demoiselles d'Avignon (ou, en tous cas, une version proche de celle que nous connaissons) n'a pas sombré avec le Titanic. James Cameron nous a menti, pendant toutes ces années. Il voulait juste faire genre que Rose était ultra-cultivée.

Commençons par un peu de contexte. Ca fait jamais de mal, un peu de contexte. Quand Picasso commence à peindre Les Demoiselles d'Avignon, en 1906/1907, il est installé depuis grosso-modo deux ans au Bateau-Lavoir, son atelier à Montmartre. Le Bateau-Lavoir était alors une véritable résidence d'artistes, accueillant principalement des peintres, mais aussi des auteurs, des marchands d'art et des gens de théâtre. Un chouette endroit où traîner, en gros - ce qui explique en partie qu'il soit devenu méga-pote avec plein de personnes, genre des artistes à la Apollinaire, Modigliani, Matisse, Max Jacob ou Braque (on va reparler de Braque, tiens) et des mécènes en veux-tu en voilà (principalement le couple Stein, Gertrude et Leo).

Il a quitté Barcelone, où il a fait ses armes à l'école des Beaux-Arts et à la Llotja puis tenu une exposition de ses oeuvres au cabaret Els Quatre Gats, en 1900 - parce que l'exposition universelle de Paris de cette année-là représente l'Espagne par sa toile Les Derniers Moments. Il a 19 ans à l'époque - jeunesse, prends-en de la graine. Il vivote, vend assez bien ses oeuvres, mais c'est pas la folie. En 1901, c'est le drame: il entre dans la pas-très-jouasse période bleue (débutée avec le suicide de son ami catalan Carlos Casagemas). Si le succès en bleu est moyen au rendez-vous (parce que c'est déprimant et sombre au possible), avec la période rose, à partir de sa rencontre avec sa première compagne Fernande Olivier en 1905, ça va un poil mieux. Dans les thèmes: la mélancolie, toujours, mais aussi l'amour et tout un tas de gens du cirque (surtout des arlequins - les plus observateurs d'entre vous y verront sûrement un signe précurseur du cubisme). Il n'en a jamais oublié l'Espagne pour autant: en mai 1906, par exemple, il part faire un tour à Barcelone avec Fernande, puis à Gósol, un tout petit village perdu en Catalogne. Oh, et il entame lentement mais sûrement ce que l'on qualifiera " période africaine ", où sa peinture est petit à petit influencée par la tonne de masques et sculptures africains qu'il possédait lui-même. Et océaniens. Mais ça faisait long pour un nom de période - déjà que c'était pas une couleur...

Nous disions donc: demoiselles? oui. D'Avignon? Que nenni. S'il y a une ville à relier à cette oeuvre là, c'est la ville de Barcelone - où le peintre a donc passé une grande partie de sa vie. En effet: il existe à Barcelone une " Rue d'Avignon ", la Carrer d'Avinyo, située dans la vieille ville. Dans sa jeunesse et ses études, Picasso aurait vécu à proximité et y aurait passé un temps certain pour y acheter ses couleurs. Est-ce qu'elle ne contenait que la boutique préférée du jeune Pablo? Non, loin de là: on y trouvait aussi un bordel.

D'ailleurs, Picasso titrait ce tableau " Le Bordel d'Avignon ": c'est André Salmon qui voulut se la jouer politiquement correct en contournant soigneusement la référence un poil trop explicite au sujet: d'abord en le nommant le " Bordel Philosophique ", puis en adoptant le nom définitif des " Demoiselles d'Avignon " au Salon d'Antin chez le couturier Paul Poiret en 1916. A noter: à Gósol, il aurait passé un temps certain à peindre des portraits, puis des nus, puis des scènes de Harem, ce qui ancre encore les origines espagnoles du tableau. Au cas où un doute subsiste, il y a les entretiens avec Kahnweiler en 1933 où Picasso déclare:

Bibliographie & webographie
    • Le MoMA a consacré un mini-site-internet aux Demoiselles d'Avignon, il est cool, il est en anglais, et il est . Si ça vous intéresse, vous y trouverez même quelques considérations et interrogations sur le meilleur moyen de conserver cette oeuvre.
    • Les Demoiselles d'Avignon a même sa petite page sur Archives de France, du site internet du ministère de la culture. Ouaip. C'est par ici.
    • Puisque c'est des mecs sympas au Musée Picasso de Paris, ils ont fourni une chronologie de la vie de Picasso, bien illustrée, dispo en ligne juste par là! D'ailleurs, n'hésitez pas à fouiller le site. Ils ont eu l'intelligence d'intégrer des archives de l'INA et plein de trucs intéressants, comme les correspondances de Picasso pendant la guerre. Pas notre sujet ici, mais toujours sympa.
    • Il existe une BD super jolie et super intéressante sur la vie de Picasso. Ouais. C'est par Clément Oubrerie et Julie Birmant, ça s'appelle Pablo et c'est en 4 volumes. Ce qui nous intéresse pour notre article est par là: Pablo, tome 1: Max Jacob.
    • Puis il y a un petit bout du dossier de L'Histoire d'octobre 2008 sur Picasso par , et ça traite direct des Demoiselles d'Avignon. C'est pas beau, ça?
Posté dans Tagué de l'art (et parfois du cochon) |Cubisme, Les Demoiselles d'Avignon, Picasso, XXe

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