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…Macbeth est une pièce maudite?

Par Tanagra @sinontusavais

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De toutes les superstitions qui entourent le théâtre (et elles sont nombreuses), la plus légendaire est probablement celle qui entoure la plus courte des tragédies de Shakespeare: Macbeth. Particulièrement commune aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, elle a fait son bout de chemin sur les planches du monde entier. Elle est même mentionnée (et exploitée) dans l’épisode des Simpsons Homer rentre dans la reine (The Regina Monologues, saison 15, épisode 4), où le nom de la pièce fait son apparition par neuf fois et entraîne une série de malheurs pour un comédien (Sir Ian McKellen dans le rôle de Sir Ian McKellen!) – et si les Simpsons ne sont pas un gage suffisant de diffusion culturelle pour vous et bien je… suis… désolée pour cette introduction ?

La nature exacte de cette légende? Le nom de la pièce serait maudit et entraînerait de terribles malheurs s’il est prononcé à l’intérieur d’un théâtre – à peu près de la même manière que l’on doit soigneusement éviter de souhaiter « bonne chance » à un comédien – et est remplacé par l’euphémisme « The Scottish play », aka « la pièce écossaise ». Les rôles de Macbeth et Lady Macbeth ainsi que les acteurs qui les jouent sont aussi simplement appelés « M » et « Lady M ». La malédiction s’étend même jusqu’au simple fait de prononcer des répliques de la pièce dans le théâtre hors d’une représentation ou d’une répétition, tout particulièrement les incantations des sorcières au tout début. Si, par malheur, une réplique est prononcée, le coupable est alors contraint et forcé de sortir du bâtiment, de tourner trois fois sur lui-même, de cracher, de jurer, et de toquer à la porte jusqu’à ce qu’on daigne lui rouvrir… Ou, si le temps presse, de citer Hamlet quand il s’exclame « Angels and ministers of grace defend us ! » (Acte 1, scène 4). Sinon? Sinon, un drame risque d’arriver. Sir McKellen, dans les Simpsons, se prend la foudre. Personne n’a envie de se prendre la foudre.

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Principalement parce que ça a l’air douloureux, même sur un Simpson.

Beaucoup de logistique pour une seule superstition, quand même – une tonne de précautions à prendre. Mais pourquoi?

Macbeth apparaît souvent comme une pièce dangereuse. Etant la plus courte tragédie de Shakespeare, il semblerait qu’elle ait été très régulièrement mise en scène par des compagnies au bord de la faillite. Après tout, quand on a besoin de se faire de l’argent et vite, on parie sur un auteur universellement connu. Quitte à parier sur un auteur universellement connu, on prend aussi sa pièce la plus courte, puisqu’elle sera moins chère à mettre en place. Les décors sont assez peu nombreux, l’essentiel tourne autour des altercations et des multiples meutres… tout bénef, non? Pas toujours. Macbeth a, fatalement, pour beaucoup, été la dernière pièce montée… pas exactement quelque chose que l’on souhaite. C’est la tragédie de la dernière chance.

Autre facteur colossal de danger: Macbeth est l’une des pièces les plus chargées en action. Une pratique encore plus dangereuse quand le plus gros de la dite action est supposée se dérouler la nuit, et donc… dans la pénombre. Conjuguez les deux facteurs mentionnés, et vous avez des coupes sauvages sur les répétitions et les budgets de sécurité pour économies: vous obtenez une véritable bombe à retardement.

Et puis Macbeth a une ambiance toute particulière. A une époque de terreur de la sorcellerie, de croyances et d’angoisses, la représentation réaliste de sorcières, de meurtres, de malédictions et de prédictions avait à peu près le même effet sur les spectateurs qu’un film d’horreur spécialement efficace aujourd’hui. Autour de Macbeth, il y a toute une aura d’inquiétude et de terreur. C’est non seulement une tragédie, mais aussi une tragédie qui tourne autour du surnaturel. Et on le sait bien… quand s’installe la paranoïa, le pire a plus de chances d’arriver. Si l’on pense que quelque chose va mal se passer, les choses se passeront mal.

Et des illustrations de cette légende, on peut en mentionner des tonnes.

Dès la première représentation de Macbeth, Hal Berridge, le jeune garçon qui était supposé incarner Lady Macbeth, serait… tombé raide mort dans les coulisses. Ca commence bien, hein? La légende veut que Shakespeare lui-même se soit retrouvé contraint et forcé de monter sur scène pour incarner le rôle – et si cette donnée n’est guère vérifiable, la rumeur seule a suffi à donner une aura toute particulière à cette pièce pour le reste tout particulièrement sinistre.

Comme si ça ne suffisait pas, il faut mentionner le fait que la pièce a été interdite de représentation pendant cinq longues années, alors qu’elle venait tout juste d’être écrite et jouée pour les premières fois. En effet, on divise généralement les pièces de Shakespeare sous deux grandes périodes, selon les personnes au pouvoir à l’époque – les premières ont été rédigées sous l’ère Élisabéthaine, donc jusqu’en 1603, et comptent entre autres Richard II, The Comedy of Errors, Titus Andronicus ou encore A Midsummer’s Night Dream – les secondes sous le règne de James Ist. Macbeth appartient à cette deuxième période. Si on considère généralement que l’âge d’or de l’ère élisabéthaine s’est poursuivie culturellement sous l’ère jacobéenne, dans les faits c’était pas vraiment un type cool – il a fait l’objet de plusieurs tentatives d’assassinat (dont une par Guy Fawkes – on en parlera un jour), se foutait constamment sur la gueule avec le Parlement, a vu l’Angleterre plonger dans des dettes colossales, était Ecossais, et a tenté de bannir le tabac, à l’époque tout juste débarqué des Amériques et objet de grande passion pour les classes supérieures. C’était le chaos. Et dans ce chaos, il faut aussi mentionner le fait qu’il était grand spécialiste des sorcières… et n’a pas forcément apprécié ni le « réalisme » des trois représentées par Shakespeare, ni le fait que le gros de la pièce tournait autour de meurtres de rois. Cinq ans pour Macbeth, boom. Enfin, plutôt cinq ans sans Macbeth. Que de mauvais augures, dès le début.

Et les drames se poursuivent… A Amsterdam, en 1672. L’acteur qui incarnait Macbeth aurait volontairement échangé l’épée qu’il devait utiliser pour le meurtre de Duncan pour une véritable épée… tuant l’autre acteur sur scène. Et nous nous retrouvons à New York, en 1849, où deux troupes rivales auraient organisé des représentations de la pièce en même temps – une émeute aurait éclaté, causant la mort de vingt personnes. L’histoire continue lors d’une représentation de Macbeth par John Gielgud en 1942, durant laquelle trois acteurs (ceux qui incarnaient Duncan et deux des sorcières) ainsi que l’un des scénographes se seraient suicidés. Le plus grand florilège de désastres revient probablement à une version de 2001 par la Cambridge Shakespeare Company: Lady Macbeth se serait violemment cognée la tête, Macduff aurait souffert d’une blessure au dos, Ross se serait brisé un orteil, et deux cèdres se seraient écrasés sur la scène. Tout ça d’un coup. Les exemples font légion: on peut aussi mentionner le fait que Abraham Lincoln aurait lu des passages de la pièce à haute voix à ses amis moins d’une semaine avant d’être assassiné. Même que la première représentation d’une édition de 1703 coïnciderait avec l’une des plus violentes tempêtes que Londres et l’Angleterre aient jamais connu…

Certes, des désastres arrivent nécessairement quand une pièce est extrêmement populaire et jouée pendant plus de quatre siècles. Mais cette liste d’évènement, les caractéristiques de la pièce et son atmosphère propre (sinistre – ça se résume en un seul mot, sinistre) suffisent à semer le doute et à créer des superstitions pour mieux conjurer le sort. Soigneusement éviter un mot, c’est toujours préférable à la foudre, des meurtres sur scène, des assassinats ou des suicides… non? Tout cela participe, en quelques sortes, au charme du monde du théâtre – et aussi à la portée presque sacrée de Shakespeare. Après tout, on attribue aussi parfois à l’une de ses pièces l’origine du « break a leg » avant toute montée sur scène au lieu d’un « bonne chance »: l’acteur britannique David Garrick, au XVIIIe siècle, aurait été tant et si bien possédé par l’esprit de la pièce et l’excitation qu’il ne se serait pas rendu compte que l’une de ses jambes étaient fracturées. Donc… ouais: en somme, s’il est un auteur propre à faire naître des superstitions au théâtre, c’est bien Shakespeare.

Bibliographie

  • Je rementionne l’excellent Shakespeare on Toast de Ben Crystal, qui fourmille d’anecdotes dans le genre ! C’est toujours hélas uniquement pour les anglophones, mais l’écriture est remarquablement claire, et c’est probablement une de mes bibles quand on parle de Shakespeare et du contexte de rédaction de ses pièces.
  • En matière de superstitions au théâtre, n’hésitez pas à jeter un oeil au Livre des superstitions de Eloïse Mozzani s’il vous tombe sous la main. Son sujet est bien entendu plus large que Shakespeare ou les arts de la scène, mais ouais, c’est le genre de lectures qui passe nickel en toutes circonstances

En illustration: les horrifiantes sorcières de la version de Orson Welles, en 1948. Juste pour mettre dans l’ambiance.


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