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Timbuktu

Par Aelezig

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Un film de Abderrahmane Sissako (2014 - France, Mauritanie) avec Ibrahim Ahmed dit Pino, Toulou Kiki, Abel Jafri

Pas le chef-d'oeuvre annoncé... mais pas mal.

L'histoire : Un quartier paisible de Tombouctou (Mali), une famille d'éleveurs qui vivent sous la tente, la joie de vivre malgré les conditions un peu précaires vu le climat désertique... Des musulmans emplis de douceur et de bonheur, remerciant Allah pour ses bienfaits. Et puis arrivent des extrémistes qui entrent armés dans les mosquées, interdisent la musique, voilent les femmes, marient les petites filles et décrètent l'application de la charia. Leur charia.

Mon avis : Ce film est beau, il n'y a aucun doute là-dessus, autant pour les images splendides (paysages, portraits...) que pour le fond (les islamistes qui débarquent... chez des musulmans si doux). Mais, très paradoxalement, j'ai souffert de deux choses qui d'habitude m'insupportent : il est trop court et... ça manque de violence. 

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Le rythme très lent nous plonge dans un autre monde, on est totalement dépaysés par cette ville aux maisons de terre, ces gens qui vivent sous des tentes dans des régions tellement arides... et la douceur de la caméra, qui prend tout son temps, nous fait perdre nos repères complètement et notamment notre agitation effrénée. Moi qui n'aime pas le lent... je me sentais fort bien, portée par cette histoire, bouleversée par les enjeux. Et puis soudain, paf, générique. Je suis restée frustrée, choquée. Je voulais connaître la suite ! Qu'allaient-elles devenir, cette femme et sa fille ? Même si malheureusement on peut deviner le sort qui leur sera réservé, il n'empêche qu'on aimerait en savoir plus. On voit beaucoup de gens se rebeller contre les diktats stupides que veulent leur imposer les islamistes, on a plusieurs personnages intéressants dont le fil de l'histoire se trouve ainsi interrompu, alors qu'on pensait qu'ils allaient encore avoir beaucoup de choses à nous dire. J'aurais voulu que la "folle maraboute" continue de les traiter de "connards" (d'autant que ce personnage est inspiré par une personne réelle), que la jeune fille du début continue de refuser de porter les gants, que le village tout entier se dresse... On n'en saura rien. On suppose qu'ils devront se soumettre, mais on aurait aimé voir leur lutte. Cela aurait d'ailleurs fortement illustré la différence entre les fous d'Allah et les musulmans modérés qui veulent juste vivre en paix. Là... c'est un peu comme si le combat était perdu d'avance et qu'il n'était plus besoin d'en parler...

Cette brutalité, cet arrêt en plein coeur de ce que je pensais être une grande fresque (j'étais absorbée, je n'ai pas regardé l'heure) est-elle voulue ? Genre "Vous savez, vous connaissez la suite, maintenant agissez". Mais non justement, il y a plein de gens qui font encore beaucoup d'amalgame ! Il fallait laisser plus de parole à tous ces modestes personnages, tranquilles, soudain bousculés, menacés, qui tentent (trop) brièvement de lutter. J'sais pas. Je comprends pas trop le message. 

Ensuite, même si nos djihadistes nous offrent une ou deux scènes un peu dures (fouet, lapidation...), la violence n'est pas au programme. Je ne veux pas du gore, ce n'est pas ça. Mais là on a un peu l'impression qu'ils ne sont pas si méchants que ça. Leur charia a ses règles et ses châtiments ; celui qui ne respecte pas est puni, et basta. Ils écoutent même attentivement les reproches de l'imam. Certes, ils n'en font qu'à leur tête aussitôt après, mais on dirait juste une bande de voyous qui veut tenir la cité d'une main de fer. On ne sent pas du tout la folie, l'esprit de conquête, de pouvoir, l'organisation méthodique, l'inhumanité des traitements réservés à ceux qui osent protester. 

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D'autre part, l'action est censée se situer à Tombouctou, mais on n'en voit qu'un tout petit quartier. Que se passe-t-il dans le reste de la ville ? N'aurait-on pu en profiter pour nous montrer les splendeurs de cette cité (baptisée "la perle du désert") et de ses merveilles en terre (dont une remarquable mosquée), saccagées récemment par les islamistes ? Pour que les gens arrêtent de penser qu'il devait s'agir d'une inintéressante ville africaine, moche et pauvre. Qu'ils voient le patrimoine de l'histoire de l'humanité qu'on est en train de perdre partout... En fait, on apprend que Tombouctou ayant été la proie d'un nouvel attentat peu de temps avant le tournage, le lieu a été jugé trop dangereux et le film tourné dans un village. Ils auraient peut-être dû changer le titre alors...

Daech avance pas à pas dans les villages sur cet immense secteur. Ils s'imposent dans les villages. Mais ce qu'on voit au JT ou dans les reportages ou dans les témoignages est autrement plus violent. Et moi, ce que je pensais voir dans Timbuktu, c'était des résistants. 

Il ne faut cependant pas minimiser la beauté des dialogues : conversations familiales empreintes de douceur et de bon sens, discours de l'imam qui essaie d'expliquer aux exaltés que le djihad, c'est contre soi-même et ses propres démons qu'il faut le mener, pas contre les autres...

Un très beau film... mais je reste terriblement perplexe...

Je ne vous apprendrai rien, le film a été quasi unanimement loué par la presse et couvert de récompenses. Pour vous résumer la "frustration" que j'ai ressenti, voici un commentaire des Cahiers, qui eux ne sont pas emballés du tout : "Comment alors que la réalité est toujours brûlante la réduire à un axiome aussi usé que : la poésie, c’est mieux que l’oppression ?" Les internautes sont un peu plus modérés et notent eux aussi que trop de poésie, trop de douceur, nuisent beaucoup au message... si message il y avait. Pas si bêtes, ces Français, au fond.

Le film n'a fait "que" 549.000 entrées... on constate cependant que la majorité des gens préfèrent Dany Boon, c'est clair.


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