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La chronique de Guillaume Richez : Petits oiseaux de Yôko Ogawa

Par Anneju71 @LesMotordus

« Mais Anne-Ju, tu t’es fait pirater ton compte ? Il y a un homme aux commandes des motordus ! « 

Mais non, je vous rassure. Guillaume Richez  va squatter  chez Juju pour vous faire partager ses lectures. Eh oui, il va enrichir votre montreuse pile à lire, agrandir vos listes au père Noël et faire pleurer votre banquier !

Guillaume Richez, mais c’est qui ? Un mec sympa, très cultivé (juste ce qu’il faut !) et avec beaucoup d’humour (enfin, ça dépend ! ) mais pas que ! Humour humour ! Si il est là, c’est que je l’ai bien voulu. Je vous préviens son style est différent du mien ! Allez flâner sur Babelio et les autres réseaux, on parle de lui ! Hey oui ! Bon, allez je vous laisse lire sa 1ère chronique.

Bienvenue Guillaume !


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Dans Petits oiseaux de Yôko Ogawa tout est retenu, non dit, ou, au mieux, murmuré. L’existence des deux frères est aussi fragile que les délicats oiseaux en papier de pawpaw que confectionne l’aîné.

Des personnages de ce roman à l’univers étrange et feutré, on ne connaîtra jamais leur nom, comme si les nommer était impossible. Il y a donc l’aîné et le cadet (le monsieur aux petits oiseaux), la directrice d’école, la bibliothécaire, la pharmacienne. Le roman repose presque entièrement sur cette poétique de l’innommable et de l’innommé, comme si le chant des oiseaux seul permettait d’exprimer ce que ressentent les personnages. Mais le savent-elles elles-mêmes, ces créatures fantomatiques qui n’expriment à aucun moment leurs émotions par la parole ? Ni le chagrin, ni la joie, ni la colère. Tout est constamment retenu, tu. Pas une larme, jamais de cris. Les grandes douleurs et les grandes joies semblent également muettes. Sans doute les mots valent-ils moins que le chant mélodieux des oiseaux, langage poétiquement plus pur que celui des humains.

« Mélodie riche en expression, rythme léger, voix pleine. Une maîtrise et un calcul corrects étaient à l’œuvre, aucun son ne sortait inconsidérément. Les notes gravées sur la portée se regardant l’une l’autre s’enchaînaient, traçant une courbe originale. Elles donnaient naissance à un chant alors que ce mot lui était encore inconnu. »

Le signifiant ne trahit plus le signifié tandis que l’expression de la peine ou du bonheur par le truchement du langage humain a la fragilité du chant de l’oiseau, semble nous dire l’auteure. Mais si les personnages sont incapables d’exprimer leurs sentiments par la parole, Yôko Ogawa y parvient-elle, elle qui se sert du langage pour dire l’innommé ? Car écrire un roman sur l’innommable relève de la gageure…

Après la mort de son aîné, le solipsisme du cadet va s’aggraver. Dans son champ de vision, les hommes et les femmes sont réduits à de simples silhouettes qu’il évite de rencontrer.

Jusqu’à l’apparition de la bibliothécaire.

« C’est alors qu’il découvrit son visage. Il était venu souvent sans jamais prendre conscience de sa présence et n’avait même aucune idée du nombre de jours où elle s’était trouvée devant ses yeux. »

Avec elle, l’homme aux petits oiseaux communiquera autrement que par le langage humain.

« Ils sont reliés par un signe secret que seuls les oiseaux peuvent reconnaître, qu’ils sont les seuls à pouvoir déchiffrer. »

Car s’exprimer par le langage des hommes est voué à l’échec.

« En réalité il aurait voulu lui parler de son frère aîné. Il aurait voulu lui dire à quel point lorsqu’il regardait les oiseaux sa silhouette était aussi réfléchie que celle d’un homme qui lit, paisible au point de laisser son empreinte dans la clôture, mais les mots de sortaient pas. »

Incommunicabilité chère à Beckett et Ionesco…

« Elle avait dit « au revoir » d’une toute petite voix. Beaucoup plus faible, peu affirmée, légèrement inquiète en comparaison de son « A rapporter dans quinze jours », à tel point qu’il n’avait pu la distinguer du bruit du vent.

– En pawpaw, « au revoir » se disait comment, déjà ? murmura-t-il ?

Bien sûr, il se le rappela aussitôt. Et ce mot, sans s’adresser particulièrement à quiconque, il le murmura uniquement pour lui. »

Malheureusement, la bibliothécaire disparaîtra sans laisser plus de traces de sa présence évanescente dans le monde réel que celle de l’aîné (un creux dans la clôture de la volière).

Et l’homme aux petits oiseaux aura passé sa vie à jouer les hommes invisibles comme lors de cette soirée, « faisant scrupuleusement attention à ce que sa silhouette ne croise pas le chemin des invités ni ne trouble leur champ de vision ».

Jusqu’à disparaître complètement au crépuscule de son existence, tombant « dans un sommeil dont il ne se réveilla plus ».

Et si la vie n’était que le songe d’un oiseau ?

Petits oiseaux (Kotori) de Yôko Ogawa, traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle, Actes Sud, 2014


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