C’est un livre « qui (re)vient de loin », effectivement ; il est à lire dans la suite des deux précédents (Violente vie, et Mots de passe) qui visaient l’expérience de la maladie et la proximité de la mort. Cette situation est rappelée dans les toutes premières pages du présent livre : « Oui, j’ai coulé / pas tout à fait au fond / mais en totale absence. » (p10), « C’est bientôt le soir // sur la porte on lit un numéro, pas de nom. // Bientôt le nôtre / disparaîtra du monde même. » (p13) Mais tous les poèmes suivants tracent une remontée lente, irrégulière, vers ce monde, et la vie. Bien sûr, demeure la conscience qu’une existence tient à peu, mais cette fragilité est compensée par un quotidien qui a retrouvé du relief, un présent qui a repris de la saveur, un bonheur simple qui redevient possible.
Il reste certes une perspective sombre, avec laquelle l’auteure ne triche pas : « Respire / l’odeur forte des rues. / Tâte l’espace / entre parole et mort. // Un jour, il se fermera dans ta main. » (p53) « et les mots sècheront dans un grenier lointain / sur la terre que nous aurons / oubliée. » (p77) Autour de cette vérité triste, on retrouve les motifs du souvenir (p19), de l’irréversibilité du temps (p94), une interrogation métaphysique sur l’absence des dieux (p38, 76…). Mais ce dernier point ne suscite pas d’angoisse, à peine un regret : un poème se présente comme un court dialogue avec « un vieux dieu fatigué », il se termine ainsi : « N’empêche : s’il était doux de croire en toi, du moins, peu à peu, nous avons appris à louer hautement ce qui est très fragile. » (p39)
Le retournement s’opère peut-être ici : d’une explication métaphysique globale et sécurisante, mais perdue, à une adhésion au plus périssable, au plus immédiat, l’instant. Etre « présente au présent » (p58) peut devenir une forme de sagesse : ainsi pour la tristesse douce d’un jour de pluie (p85), ou plus souvent, des moments de bonheur simple : la tendresse amoureuse (p96), le quotidien paisible (la voisine, la chatte Isabelle, les fleurs du balcon, « la porte de l’armoire ensoleillée »…), et surtout les sensations comme une façon d’être pleinement au monde, face à la nature, la ville, le paysage : « Un ciel couleur de pierre / enveloppe les maisons / jusqu’au gris soutenu de la mer. // Les oiseaux volent nettement / sur ce paysage aux doux contrastes / qui sent l’automne et la subtilité du Nord. » (p98)
Dans ce livre, la violence de notre époque n’est pas écartée, oubliée, mais elle reste à la marge. On sent que l’effort de l’auteure est tout entier tourné vers la nécessité de reprendre pied dans le réel le plus immédiat, pour retrouver ainsi le goût de vivre. Les poèmes accompagnent ce retour et c’est bien pour le bonheur fragile mais possible qu’ils dessinent que l’on pourrait parler aussi d’un livre de sagesse personnelle, ou d’un journal de bord vers une forme de sérénité sans illusion.
Antoine Emaz
Marie-Claire Bancquart, Qui vient de loin, Le Castor Astral, 118 pages – 13 €