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Comment se faire éditer et autres questions menant à la ruine de l’âme

Par Georgesf

Comment se faire éditer et autres questions menant à la ruine de l’âme

Comment se faire éditer ? Je ne comprends pas qu’on me pose si fréquemment cette question, par mails, alors qu’on ne me demande jamais « Pourquoi se faire éditer ? »

La déontologie m’impose pourtant de traiter préalablement cette question : j’éviterai ainsi bien des malheurs aux candidats à l’édition. Peut-être même quelques suicides.

Pourquoi se faire éditer ? Et même : À quoi bon se faire éditer ?

Est-ce pour enfin soumettre ses textes à d’autres lecteurs que ses copains et sa famille ? Ne vous y trompez pas : les cent premiers lecteurs de votre premier livre (c’est un chiffre fréquent pour un primo-parturient) ne seront probablement que vos copains et votre famille.

Est-ce pour recevoir des commentaires d’inconnus qui vous diront qu’ils vous aiment, qu’ils aiment votre style, vos idées ? Dans ce cas, dépêchez-vous d’ouvrir un blog : commencez par de petits billets, puis pas des textes d’une page, puis publiez-y vos nouvelles. Personnellement, en deux mois de blog, j’ai reçu bien plus de réactions qu’en quatre ans de publication (trois livres). Le hic, c’est que, très vite, ces inconnus ne sont plus des inconnus.

Est-ce pour sortir de l’anonymat ? Dans ce cas, cantonnez-vous aux concours de nouvelles : il est bien plus facile de s’y faire un nom et d’obtenir des retombées presse régionale que dans la foire aux livres permanente que constitue l’édition. Quand vous aurez publié, filez à la Fnac la plus proche, présentez-vous au rayon littérature française « Je suis Onésime Lemartin, l’auteur de… » et observez attentivement la tête de l’interlocuteur. Vous découvrirez qu’il y a des degrés dans l’anonymat, et que vous êtes descendu très bas.

Est-ce pour devenir riche ? Là encore, les concours de nouvelles sont beaucoup plus lucratifs. En imaginant que vous soyez lauréat, je dis ça par exemple, du Goncourt de la nouvelle 2004 ou 2005 (je ne me souviens plus de l’année), vous vendrez 2.400 ex, qui vous rapporteront 2.400 euros (dans le cas d’un livre vendu 12,5 € sur lequel vous touchez 8%).. Si ledit livre comporte 12 nouvelles, il vous suffit que la meilleure d’entre elles gagne un bon concours à 1.000 €, et que cinq autres gagnent un petit concours à 300 €, et que les six autres ne gagnent rien du tout, vous aurez empoché plus. Un bon concours et cinq petits, c’est quand même plus facile à gagner que le Goncourt de la nouvelle, et ça rapporte plus.

Est-ce pour jouer à l’écrivain pondant ses dédicaces en librairie ? Je vous souhaite de ne jamais connaître cette humiliation. Au bout de quelques heures d’une infinie solitude on désespère de séduire ne serait-ce qu’un acheteur. On par se livrer à de piteux racolages, qui feraient rougir toute honnête hétaïre.

Et je ne vous parle pas…

Ø   des magazines que l’on feuillette pendant des semaines dans l’espoir d’y trouver le petit billet que vous a promis un copain qui connaît bien la copine d’un journaliste qui…

Ø   des salons où l’on passe sa journée à parler de son livre à des chalands qui ne l’ont jamais lu, ne le liront jamais, mais veulent juste vous parler de leurs auteurs préférés.

Ø   Des libraires qui ont rangé, ça m’est arrivé, votre livre en rayon ésotérisme ou spiritualité.

Ø   Des clubs de lecture où vous devez répondre à des questions du genre « Et pourquoi vous n’avez pas plutôt fait une fin où… »

Ø   De la lettre de votre éditeur vous annonçant que les 1.880 exemplaires invendus de votre chef-d’œuvre vont être mis au pilon et que, selon le contrat, il vous reste la possibilité de les racheter.

Comparée à ces avanies, la tristesse éprouvée à la lecture d’une lettre de refus, de dix, trente lettres dédaigneuses n’est rien qu’un petit battement de cœur un peu pinçant.

Vous voulez quand même vous faire éditer ? Vous y tenez vraiment ? Je passe donc au chapitre suivant :

Comment se faire éditer ?

Je reçois parfois des mails me posant cette question avec beaucoup d’amabilité. Et je promets chaque fois, avec encore plus d’amabilité, d’y répondre dans une prochaine chronique.

Il est urgent d’y répondre, car plus j’attends, plus la réponse devient complexe. Et douteuse.

Longtemps, la solution m’a paru simple. C’est celle que j’ai utilisée pour mes trois premiers livres. Si j’y ai recouru, c’est plus par ignorance que par courage, mais je vais quand même l’appeler « solution courageuse », ça fera plus chic.

SOLUTION COURAGEUSE

Contrairement aux idées reçues, il reste possible de faire éditer son premier livre, ou son second, ou son troisième, par des éditeurs suffisamment connus pour que votre oeuvre soit mise en place à la Fnac ou dans les grandes librairies.

C’est possible sans connaître personne, sans être connu, en envoyant simplement par la poste son manuscrit au « Comité de lecture », ou au « Service manuscrits » dudit éditeur. C’est possible si le manuscrit est plutôt bien écrit, plutôt original, plutôt intéressant, s’il a la chance d’être envoyé chez le bon éditeur, d’arriver au bon moment entre les mains de la bonne lectrice. Cela fait beaucoup de « si », beaucoup de « plutôt », et de chances, mais leur concomitance n’est pas indispensable.  

Mon premier recueil, La Diablada, a été envoyé par la poste à Anne C. qui l’a apprécié. Mais elle m’a prévenu que le manuscrit nécessitait encore un certain travail : c’est après de nombreuses séances avec la correctrice que ce manuscrit est devenu « bien écrit ». Il avait quand même été accepté.

Mon second recueil et mon premier roman étaient, eux, mieux et peut-être même bien écrits (Le premier a gagné le Prix Découverte d’un écrivain du Nord–Pas-de-Calais, le second – au diable la modestie – a été considéré comme l’un des meilleurs premiers romans de l’année – sélection au Festival du premier roman de Chambéry). Mais mon éditeur, Anne C. ne les a pas retenus, jugeant le ton trop grinçant. Il n’y avait là aucune erreur de jugement, c’était son droit.

Un manuscrit, on l’oublie trop souvent, peut être bon, ou très bon, sans convenir à un éditeur, qui ne retient que ce qu’il juge pouvoir bien défendre devant les libraires, les médias. Un éditeur n’est pas supposé publier n’importe quel bon livre : il brouillerait vite son image, sa griffe. Notez bien cela, ça vous consolera de nombreux déboires.

Ayant été publié, la toute première fois, avec une bonne critique, j’ai cru qu’il me serait facile d’entrer alors chez d’autres éditeurs : il n’en a rien été, je me suis retrouvé au coude à coude avec les wannabe de base. J’ai simplement eu droit à quelques lettres de refus plus circonstanciées prouvant que les manuscrits avaient été vraiment lus.

Bilan : une toute petite réputation n’est donc pas nécessaire, elle n’est pas non plus suffisante.

C’est finalement par la poste que mon Vertige des auteurs s’est posé entre les mains du Castor Astral. C’est aussi par la poste que mon Étage de Dieu est arrivé chez le Furet du Nord qui lui a attribué son Prix annuel.

Mais, dans les deux cas, je crois avoir eu beaucoup de chance. Qualité essentielle pour un candidat à l’édition. Ne désespérez pas : quand on a peu de chance, on peut l’accroître :

1. en envoyant un manuscrit dont l’extérieur est bien présenté. Certains préconisent le « feuille à feuille » : manuscrit non relié, dans une chemise cartonnée à élastiques. Cela fait plus pro, mais je n’y suis pas favorable, quand on n’est pas encore de la famille des pros. La solution reliée permet de rendre plus évidentes la couverture et la quatrième de couv.

-   La couverture, c’est un point de vue très personnel : je la préfère avec une illustration couleur, même provisoire. Un visuel tape-à-l’œil, qui intrigue, ce n’est pas ça qui manque sur Google. Moi, cela m’a toujours porté chance, et on m’en a souvent parlé après. Ça aide à sortir du lot quand il y a un arrivage de 40 manuscrits pour la journée. Et ça se perd moins facilement.(car des manuscrits bien accueillis qui s’égarent pendant des semaines chez l’éditeur, ça arrive, j’en ai fait l’expérience).

-   Sur la couverture doit apparaître fortement un beau titre (plus fortement que votre nom qui peut figurer en caractères de corps très inférieur, on s’en fiche, de votre nom). Donnez-vous du mal sur ce titre, évitez les trouvailles usées, tapez-en les mots en recherche Fnac pour vous assurer que le champ lexical n’est pas galvaudé. Ce titre ne sera pas forcément définitif, il est classique que l’éditeur vous demande de le retravailler ensuite. Il peut même être légèrement malhonnête par rapport au contenu, ce n’est pas grave à ce stade : l’important, c’est qu’il accroche.

-   La quatrième de couv n’est pas une vraie : elle ne doit pas chanter vos louanges ni celle de l’œuvre, elle doit en donner un résumé, pas forcément complet, mais intéressant, intrigant, qui donne envie de lire la suite. Un pitch un peu plus développé. Mais très bien écrit. On peut y glisser une validation du sujet (voir infra).

2. en envoyant un manuscrit dont l’intérieur donne envie d’aller au-delà de la première page.

Réglons d’abord le problème de la présentation technique, c’est le plus simple :

-   Pas de pages recto-verso. Jamais, jamais.

-   Pas de pages en typo biscornues. Tenez vous-en au Times, à l’Arial. Ou à leurs cousins. Le Garamond est joli, mais fait déjà un peu Pléiade pour un débutant.

-   Ecrivez en interligne 1 ½ . Certains vont jusqu’au 2, en adoptant un corps plus petit (12). C’est question de goût, moi e préfère l’interligne 1 ½ et le corps 13 ½ ; le 14 est bien aussi.

-   Je prends des marges de 3,2 en largeur, de 3,5 en hauteur. Cela me donne des pages d’environ 1.550 signes en moyenne (en fait, ça va de 1400 à 1700, selon les dialogues).

-   Faites un premier tirage de qualité. Toute économie est ici dangereuse. Si votre imprimante sort un texte plus grisé que noir, imaginez ce qui en restera après photocopie.

Ces détails culinaires ayant été réglés, passons au plus sérieux, en commençant par la première page.

Cette première page est capitale : dans 90% des cas, la lectrice n’ira pas plus loin. Une bonne première page, c’est une page forte, originale, bien écrite, annonçant la tonalité et si possible le sujet du manuscrit.

-   Continuez cette première page par quelques autres qui évitent toute impression de fléchissement.

-   Terminez le livre par une page aussi forte que la première. Il est classique que la lectrice file des premières pages à la dernière. Pas pour voir comment ça finit, mais pour s’assurer que vous tenez la distance.

-   Ah, j’allais oublier ! Entre les deux, le reste aussi doit être bien. Fort, original, dérangeant, bien écrit, donc bien. Mieux c’est, mieux c’est.

-   Je me permets de le rappeler car c’est là une idée trop souvent oubliée : trop d’auteurs achèvent leur œuvre en soupirant glorieusement « C’est comme ça que je voulais écrire, j’y suis arrivé ». Ils oublient qu’un livre n’est pas fait pour être écrit, mais pour être lu. Et d’abord par la lectrice de l’éditeur, qui représente à elle seule la lecture de l’éditeur proprement dit, celle du journaliste, celle du libraire, celle du lecteur final qui feuillette en librairie. Pensez à cette lectrice : après quelques heures de lecture de manuscrits, elle est comme un visiteur dans une exposition d’artistes locaux à la mairie d’une station balnéaire ; l’œil pollué de tant de laideur, elle finit par ne plus voir ce qui est beau. Il faut l’y aider, il faut faire du très beau.

-   Il m’est arrivé une fois de me mettre vraiment à sa place et de feuilleter les arrivages du matin chez un éditeur. C’est une expérience douloureuse. J’ai rarement eu envie d’aller au-delà de la page deux. Et les recalés qui s’indignent de récupérer un manuscrit dont le point de colle subtilement posé entre les pages 18 et 19 n’a pas sauté devraient avoir la vaillance de poser ledit point de colle entre les pages 2 et 3 : le résultat serait édifiant.

3. Il vous reste à joindre une belle lettre d’accompagnement. Ce terme d’accompagnement est d’ailleurs impropre. C’est une lettre de présentation de l’œuvre. Faites court : le pitch bien exposé, plus la validation éventuelle (Je travaille à la Banque X, s’il s’agit d’un thriller financier. J’ai soumis ce texte à Mr Y, historien spécialiste du XIXème s’il s’agit d’un roman historique. J’ai vécu deux ans en Mongolie extérieure s’il s’agit d’une histoire de yourtes ou de chevaux sauvages). Et vous vous présentez en deux lignes, si vous croyez que ça peut intéresser.

C’est fini, il ne vous reste plus qu’à envoyer la chose aux bons éditeurs. C’est important, le choix des bons éditeurs, et ma prochaine chronique en parlera de façon plus complète, presque technique. En attendant, vous pouvez envoyer à tout le monde. Ou en tout cas aux éditeurs qui publient des livres semblables aux vôtres, par le ton ou par le sujet. Pour les repérer, faites au tour au salon du livre. C’est le seul endroit où toute la production de chaque éditeur est présentée, consultable. On peut alors voir des tendances se dégager. Si vous ne les voyez pas, il faudra dépenser plus de frais de photocopies, plus de timbres, et encaisser plus de vexations.

Là, c’est vraiment fini. Il ne vous reste plus qu’à acheter un grand classeur noir où vous collerez une fiche mentionnant les envois et leurs dates, et où vous accumulerez les lettres de refus. Voilà, vous êtes devenu un candidat à l’édition qui s’est donné le maximum de chances avant d’être défait. Achetez aussi une chemise kaki et une veste noire pour le jour où un éditeur vous appelle, hé, ça arrive.

Cela, c’est la solution courageuse. Celle que j’ai toujours pratiquée, défendue, recommandée, puisqu’elle marche. Et j’ai toujours considéré que les histoires de romans présentés par des copains à des éditeurs copains n’étaient que des légendes germanopratines, ou des épiphénomènes montés en épingle par les recalés de l’édition.

Or je commence à réaliser que cette seconde solution existe, est amplement pratiquée, et donne d’excellents résultats. Appelons-la la solution pilotée. Elle fera l’objet de ma prochaine prochaine chronique, car ce billet du jour est déjà très long, (plus de 14.000 signes !), assez confus, et j’y parle trop de moi. On dirait du Proust. Ça manque d’imparfaits du subjonctif, je sais.


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