Songe à la douceur de Clémentine Beauvais 5/5 (12-06-2016)
Songe à la douceur (240 pages) sort le 24 août 2016 dans la collection Exprim’ des Editions Sarbacane.
L’histoire (éditeur) :
Quand Tatiana rencontre Eugène, elle a 14 ans, et il en a 17. C'est l'été, et il n'a rien d'autre à faire que de lui parler. Il est sûr de lui, charmant, alors qu'elle est timide, idéaliste et romantique. Inévitablement, elle tombe amoureuse de lui, et réciproquement.
Mon avis :
Vouloir faire un remake d’Eugène Onéguine de Alexandre Pouchkine en vers (libres)…Quelle étonnante idée ! Pour la jeunesse en plus !!! Non mais Clémentine Beauvais, est-ce bien raisonnable ?!
Oui, oui, oui, oui, archi oui !!!
La curiosité de découvrir cette folle création m’a poussée à attaquer le roman dès que je l’ai eu en mains (tant pis pour les lectures en cours, en attente ou urgentes). Et quelle claque ! Ne craigniez pas d’être confrontés à quelque chose de difficile, Songe à la douceur se lit avec une facilité déconcertante (surtout quand on sait dont il est question : mettre un texte de 1825 au goût du jour et le faire en vers). En vérité, ce n’est pas si surprenant car il y a là une petite drôlerie entraînante, une force émotionnelle et une puissance dans la narration qui permet au récit de vous attraper (vous kidnapper même !) et vous scotcher. On plonge littéralement dans les mots, les vers, l’histoire. Clémentine Beauvais rend ce texte d’Alexandre Pouchkine intemporel.
Non, ce n’est pas chiant.
Non, ce n’est pas une lecture difficile à laquelle il faut s’accrocher.
Non, pas besoin d’être passionné par la littérature (et des vieux textes russes) pour avancer et apprécier.
C’est fou, mais en vérité on est tellement dedans que ça se lit presque trop vite. On fait du coup trop vite abstraction du travail de l’auteure (même si parfois ça saute aux yeux et on est à nouveau estomaqué par cette danse des mots et par la musicalité). C’est pourquoi, j’ai pris un double plaisir et me suis amusée à relire certains passages appréciant un peu plus leur construction, le choix des mots (et là vous serez à plus d’un titre surpris car le grossier côtoie la poésie avec beaucoup de naturel !), les clins d’œil et l’humour. Page 17, Page 88, page 33, page 49….
« De son côté, Tatiana, blanche de hâte,
Crispée de retenir une si grande diarrhée de rêveries,
N’attend qu’une chose : être au lit. » Page 44
Songe à la douceur c‘est la forme évidement et il y a là un énorme travail (auteure-équipe éditoriale) au niveau de la mise en forme (certaines pages sont surprenante et parfois même très très belles !)
Mais aussi et surtout, Songe à la douceur c’est un fond, une histoire d’amour racontée avec une grande fluidité et transposé à l’époque de Facebook avec brio et simplicité. Rien de vieillot ici, au contraire l‘histoire de Tatiana et d’Eugène est moderne, actuelle et très bien replacé dans ce nouveau contexte. Clémentine Beauvais joue avec l’émotion, la drôlerie, le suspens, elle retarde les révélations (ouvertement !) et rend l’histoire de Tatiana, Eugène, Olga et Lensky attractive et poignante.
« On est dur avec soi-même quand on se voit de loi
on se déteste à retardement. » Page 67
Clémentine Beauvais use d’une pertinence, d’une impertinence et d’une maîtrise hallucinante de la narration. Et, on est dans un texte jeunesse (dès 13 ans) ! Les jeunes lecteurs ont bien de la chance !!!!
Merci pour ce délicieux moment et de m‘avoir permise de découvrir Eugène Onéguine autrement.
« La nuit, si/quand, il finissait par s’endormir,
Sa tristesse restait sur la table de chevet,
Et c’était sur elle dès le matin que son regard se posait.
Toujours là, toi.
Eugène n’était pas dupe, il savait
qu’au bout d’n moment elle finirait par s’effilocher,
cette capuche de tristesse,
par perdre de-ci de-là deux trois brins fins,
comme des cils,
par se laisser ronger par les mites des minutes
et des heures passées,
et un jour enfin tomber par terre, chez lui ou
au milieu de la rue,
guenille d’une histoire d’amour pas vécue.
Mais il aurait aimé que le processus s’accélère, il avait l’air con avec ce visage tricoté,
il se disait que merde, Tatiana il l’avait même pas
enlacée, pourquoi c’était su serré, ces mailles ?
ils pourraient pas se ramener plus vite, les grignoteurs
de gros-grains,
les détisseurs de tristesse ? » Page 194