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L’écosystème Fintech se développe au pays des banques

Publié le 15 juin 2016 par Pnordey @latelier

200 start-up, 5 thèmes de prédilections et plusieurs associations : l’écosystème Fintech suisse prend de l’ampleur dans un environnement favorable aux banques. Explications.

“Il y a actuellement entre 150 et 200 start-up Fintech en Suisse. Compte tenu de la taille du pays, c’est plutôt élevé et c’est un bon début. John Hucker, rencontré à l’occasion du European Fintech Awards 2016, parle avec entrain de son sujet de prédilection. En tant que président de l’Association Suisse de Finance et Technologie SwissFinTe.CH, il explique pourquoi les Fintech y sont en plein boom et pourquoi l’environnement est propice à leur développement. “La Suisse est vraiment le pays qu’on associe le plus aux banques. Dans des villes comme Zurich, les banquiers sont partout, vous ne pouvez pas les éviter. Et ce lien fort des Suisses avec l’idée d’être banquier explique en partie que les Fintech soient aussi importantes pour la Confédération helvétique.” Les jeunes pousses peuvent capitaliser sur la tradition financière locale. En effet, d’après un rapport d’IG Bank Suisse, une start-up fintech sur 10 dans le monde est suisse.

Pourtant, la prise de risque inhérente à l’entrepreneuriat n’est pas vraiment dans la culture helvétique. “Cela s’explique par le fait qu’il est impossible de se déclarer en faillite dans la loi suisse, le porteur du projet porte la responsabilité de l’échec toute sa vie, et en général si vous ratez c’est une étiquette qui reste pour toujours. Alors qu’aux États-Unis les gens s’attendent à ce que vous ayez déjà échoué et appris de vos erreurs, en Suisse on ne vous donne même pas la possibilité de retenter”, précise John Hucker. L’écosystème qui s’est construit ces dernières années cherchent à changer cette mentalité et surmonter les obstacles réglementaires.

Des obstacles à surmonter pour un environnement pro-FinTech

L’organisation politique atypique de la Confédération helvétique se répercute sur l’organisation de l’écosystème des start-up. “De l’extérieur, la Suisse parait simple mais le système fédéral est compliqué et chaque partie est vraiment différente. Avec par exemple d’un côté une région francophone catholique et de l’autre une germanophone protestante. Genève et Zurich sont des villes très différentes avec des problématiques diverses, des fonctionnements opposés et des rivalités.” Celui qui a regroupé les Swiss Fintech Meetup de Zurich et de Genève s’exprime en connaissance de causes. “Au lieu de deux groupes fintech, on a choisi d’avoir une représentation avec des sensibilités locales différentes. Dans un petit pays comme la Suisse, c’est important de s’unir pour peser d’une voix forte.” Surtout lorsque le principal obstacle est national. En effet, beaucoup voient la FinMa, l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, comme une institution “lente et qui ne répond pas aux problématiques”. “La réglementation de la FINMA constitue le défi majeur” pour les FinTech, juge aussi un analyste d’IG Bank.

Par ailleurs, les associations de Fintech tentent d’obtenir du soutien de la part de l’Etat. “C’est difficile parce que la puissance publique n’aime pas prendre part à l’économie. En principe l’Etat considère que son rôle est d’instaurer un cadre et de laisser les privées régler le problème, c’est différent du Royaume-Uni où on peut voir le gouvernement promouvoir activement les Fintech.” John Hucker note une autre différence entre Londres et Zurich ou Genève, c’est que l’écosystème suisse concerne les jeunes pousses en phase de démarrage (early stage) et qu’il y a donc plusieurs réglementations à ajuster pour attirer les investisseurs et les startupers. “Il y a notamment des politiques fiscales qui desservent ceux qui veulent lancer une jeune pousse : ils sont taxés sur leur richesse donc s’ils ont une start-up florissante qui lève des fonds de capital-risque, cela signifie que les fondateurs reçoivent dans la foulée un avis d’imposition avant même d’avoir écoulé leur stock.

Des obstacles donc mais “beaucoup de travail est également réalisé en ce moment pour résoudre ces situations”. Le président de Swiss Finte.ch est optimiste. Pour lui, la FINMA a beaucoup écouté l’écosystème FinTech ces deux dernières années, elle a parlé à notre association, à beaucoup de start-up, à des banques et ils ont rapidement essayer de trouver de vraies solutions à certains sujets”. Kim Andrée Potvin, COO de BNP Paribas Suisse, approuve : “Partout dans le monde, la banque a travaillé pendant des centaines d'années d'une certaine manière et depuis peu de temps les choses évoluent extrêmement rapidement donc le régulateur doit réagir et faire face à cela et s'adapter comme nous tous.”

Fin mars, la FinMa a ainsi annoncé de nouvelles mesures pour faciliter l’instauration des FinTech. Pour l’institution : "parce que les risques sont plus faibles et le champ d'activité limitée, les exigences en matière d'octroi de licences seraient moins importantes que pour une licence bancaire". Le Conseil Fédéral (gouvernement suisse) embrasse le mouvement et a chargé mi-avril le Département fédéral des Finances d’étudier la possibilité d’exempter les FinTech des législations et contraintes bancaires. Une récente circulaire de la FinMa, en vigueur depuis le mois de mars, a ainsi permis l’identification par vidéo et en ligne pour permettre à un intermédiaire financier de nouer une relation d’affaire. “C'est plutôt précurseur et ça a par exemple rendu service à une start-up de l’incubateur Fusion : Wecan.Fund”, relève la banquière.

Un écosystème accueillant et des pépites prometteuses

De la même manière que le secret bancaire a longtemps fait la renommée des banques suisses, les FinTech helvétiques ont également leurs spécificités. Selon John Hucker, “contrairement à Londres qui est un centre financier tellement grand qu’il peut se permettre de s’intéresser à différents sujets financiers, la Suisse doit se concentrer sur quelques secteurs.” Ceux pour lesquels elle peut faire la différence. “Il y en a au moins cinq : la banque, la gestion de fortune, l’industrie de l’assurance, la blockchain et les TIC de la finance (big data, IA…) et l’inclusion financière. Pour cette dernière, cela s’explique par le fait que les sièges des grandes organisations internationales comme l’ONU ou la Croix-Rouge se trouvent en Suisse. Par ailleurs, beaucoup d’argent pour la microfinance ou à visée philanthropique est géré en Suisse donc ce n’est pas difficile d’imaginer des technologies qui y seraient liées.”

Les startupers zurichois et genevois peuvent être accompagnés par les récents incubateurs fintech qui se sont installés dans leurs villes. Comme Fusion, lancé à Genève à l’automne 2015, auquel s’est associé BNP Paribas (Suisse). “On est très enthousiaste, on a plein d'idées, on est capable de développer des solutions en interne mais notre coeur de métier c'est de faire de la banque, pas de faire des solutions digitales en mode start-up, donc on a choisi de s'associer avec un incubateur qui va pouvoir nous apporter son expertise, à travers les fintech et au-delà à travers l’expertise des fondateurs de l’incubateur qui peuvent nous permettre de créer des partenariats”, explique Kim-Andrée Potvin. Fusion a cherché plusieurs mois une banque prête à soutenir le projet. “Les grandes banques suisses ont un plan en interne et sont très discrètes sur ce qu'elles font ce qui peut expliquer qu’elles n’aient pas envie de s’associer avec des incubateurs. Et puis il y a d’autres banques qui sont plutôt en observation et n’agissent pas proactivement pour prendre le tournant de l’ère du digital.

À Zurich, Swiss Life Lab et F10 de SIX encadrent d’autres start-up. L’association Swiss Finte.ch a désormais également son programme de mentoring. Parallèlement, les évènements Fintech se multiplient ces derniers mois avec comme temps fort en septembre 2016, le Sibos organisé par Swift. La Suisse bénéficie aussi d’un enseignement de qualité. Pour Kim-Andrée Potvin, c’est une des raisons qui en fait un environnement favorable aux fintech. “Ils ont des universités et des grandes écoles extrêmement dynamiques comme l’EPFL et qui ont déjà des programmes sur ces thématiques.” Swiss Finte.ch collabore aussi avec HSG (de St Gallen), l’ETH ou encore l’Université de Zurich et c’est le cas de “la plupart des banques, d’après John Hucker.

Des banques qui apprennent également à travailler main dans la main avec les start-up. “Elles investissent dans des start-up disruptives parce que les risques sont trop importants et les coûts aussi.” De même, “la collaboration fait sens : les banques ont l’avantage d’avoir les clients, la régulation et les moyens financiers en leur faveur et les start-up fintech, la capacité à innover rapidement. Les faire travailler ensemble peut néanmoins s’avérer difficile, en Suisse comme ailleurs. Le président de Swiss Finte.ch ajoute: “les cultures sont différentes, parfois la banque met 18 mois à prendre une décision pour savoir si elle veut coopérer avec la start-up qui elle n’a parfois suffisamment d’argent que pour survivre 6 mois. Mais j’ai vu beaucoup de banques s’améliorer dans ce domaine là, par nécessité”. Pour la COO de BNP Paribas, “la banque doit se transformer en Suisse comme dans beaucoup de pays dans le monde mais comme la Suisse est historiquement un pays bancaire, elle doit prendre le virage de manière significative et il y a un terrain fertile pour le faire”.

Tout autant de raisons pour les Suisses de créer leur start-up fintech, voire même, explique John Hucker, pour les fintech d’autres pays d’envisager de s’expatrier à Genève ou Zurich. De cet écosystème favorable sont nés quelques fintech suisses prometteuses. Six en particulier figurent au top 100 du classement European fintech awards. Parmi lesquels Knip et Netguardians, arrivés parmi les trois premiers de leurs catégories respectives : InsurTech, et Intelligence et sécurité. Knip, permet à ses utilisateurs de comprendre et comparer les services et tarifs des compagnies d’assurance quand Netguardians a une large expertise dans les solutions pour éviter les fraudes bancaires.

Des fintech qui pourraient servir d’exemple. D’autant plus que pour maintenir son rang d’excellence dans le domaine de la finance, la Suisse doit à tout prix miser sur l’innovation et être précurseur. Comme l’explique une étude Roland Berger sur le sujet, pour le pays des banques c’est maintenant ou jamais.


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