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Juliette binoche - ma loute

Par Aelezig

Source : Elle - Mai 2016

Dans Ma loute, film d'époque de Bruno Dumont, Juliette Binoche sort son grand jeu comique et y excelle. Nous nous en sommes entretenus avec elle - en riant.

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Quel ouragan ! Quelle puissance comique ! Qui est donc cette nouvelle actrice explosive, qui fait vibrer les murs avec une voix qui grimpe dans les aigus et un corps qui semble monter comme si elle allait s'envoler ? Et, d'ailleurs, elle s'envole. N'exagère-t-on pas un tout petit peu lorsqu'on prétend découvrir Juliette Binoche après plus de soixante films, une flopée de prix d'interprétation nationaux et internationaux, grâce à Aude Van Peteghem, son personnage de bourgeoise haut en couleur dans Ma loute, en compétition officielle au Festival de Cannes ? N'est-ce pas notre manque d'acuité flagrant que l'on met ainsi en évidence ?

C'est en tous la première fois que l'héroïne du Patient anglais et des Amants du Pont-Neuf nous fait tant rire et montre aussi spectaculairement ce que les acteurs s'emploient souvent à dissimuler : le plaisir de jouer, le bonheur de l'outrance, la joie du pétage de plombs. C'est d'ailleurs une particularité de ce film ovni : les acteurs, Fabrice Luchini, Valeria Bruni Tedeschi, et donc Juliette Binoche, s'en donnent à coeur joie devant la caméra de Bruno Dumont. Ils ne cherchent pas le réalisme, ils composent, ils inventent, sans retenue, une extravagance permanente. Luchini, qu'on met du temps à identifier tant il se métamorphose. Valeria Bruni Tedeschi, en  Marie-Chantal, qui s'extasie devant les si pittoresques pêcheurs de moules. On rit, et parfois le rire grince, car cette bourgeoisie en extase devant la misère qu'elle ne comprend pas n'est pas sans évoquer quelques bobos missionnaires d'aujourd'hui.

Faut-il narrer l'histoire ? On est en 1910, dans le Nord, terre chère à Bruno Dumont. Il y a les marées, les pêcheurs, et ceux qui se font un peu d'argent en portant dans leurs bras les belles et les beaux qui ne veulent pas se tremper les pieds. Tout irait pour le mieux dans ce monde bien réglé si une épidémie de disparitions ne contaminait pas la région. Ma loute, c'est Brandon Lavieville qui l'incarne, un jeune homme du Nord qui n'est pas acteur professionnel.

En 2014, Juliette Binoche interprétait Camille Claudel dans Camille Claudel, 1915 de Bruno Dumont. A l'époque, le cinéaste disait : "J'ai toujours fait d'une paysanne une paysanne et d'une artiste une artiste. L'artiste Juliette Binoche m'a aidé à cerner l'artiste Camille Claudel."

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Montée des marches à Cannes

L'artiste Binoche est partie très loin tourner un film de science-fiction, et c'est donc en Nouvelle-Zélande qu'on la localise et parvient à faire un brin de conversation avec elle. Une nuit nous sépare. C'est l'heure de la tisane pour nous, et du petit déjeuner pour elle. Profitons-en pour se délecter d'une acrostiche.

J comme Jubilation : "Mon premier rôle comique ? C'est vexant, j'ai quand même tourné une petite dizaine de comédies !" Juliette Binoche le reconnaît : elle a rarement eu l'occasion de composer à ce point un personnage. "J'avais envie d'être bousculée. J'ai soif de fantaisie ! Je n'avais pas le temps de préparer le rôle, puisque j'étais en tournée au théâtre avec Antigone. Bruno Dumont m'a envoyé le lien Internet d'un documentaire sur Cécile Sorel, actrice ridicule et formidablement sincère du début du XXe siècle, qui se mettait en scène dans la vie avec bravache. Ca a été le démarrage du personnage d'Aude Van Peteghem. Il fallait trouver son humanité dans sa jubiliation à vivre, sans qu'elle soit une caricature."

U comme Utopie : Ma Loute se passe certes dans le Nord de la France, cependant, le film nous fait perdre le nord. Le ciel y est violemment bleu, redessiné à la palette graphique, les couleurs sont vives, et l'on sent que tous les acteurs et le metteur en scène se sont bien amusés à inventer un univers purement fictif. "Pendant le tournage, Valeria et Fabrice me regardaient comme pour me dire : "Toi tu sais à quoi t'en tenir car tu as déjà tourné avec Bruno Dumont" Car Bruno Dumont ne s'exprime pas beaucoup après une prise. "Bruno aimait bien me pousser à provoquer Fabrice et Valeria. La situation des personnages s'y prêtait." Effectivement, dans ce film, à chaque fois que Juliette entre dans le cadre, on a le sentiment d'une tornade.

L comme Liberté : Juliette Binoche paraît beaucoup plus libre aujourd'hui qu'elle ne l'était à 20 ans. "On perd en beauté, mais on gagne en liberté ! C'est l'enjeu de la maturité, finalement, une transformation plus durable, plus satisfaisante. Je me souviens avoir été complètement chamboulée à 20 ans. Je ne crois pas qu'on vive la jalousie de la même façon à 20 et à 50 ans, par exemple. Le temps est un outil pour nous aider à lâcher nos peurs et à vivre nos émotions avec plus de distance. A 20 ans, je ne comrenais rien à ce qui m'arrivait. J'étais dans le fleuve, je m'identifiais à toutes les émotions. Aujourd'hui, je vis des sentiments aussi forts, mais sans en être prisonnière. Je pense parvenir à être dedans et dehors à la fois."

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I comme Invention. Quand elle était enfant, Juliette Binoche observait son père mime et apprenait par coeur ses sketchs, que ses amies lui redemandaient encore et toujours de jouer dans la cour d'école. "Ce jeu corporel, où la scène était la rue, c'est mon premier lien avec le théâtre. L'intention a trait à la mémoire. En fabriquant le personnage d'Aude Van Peteghem, c'est toute une part de la mémoire inconsciente qui a resurgi, alors même que, sur le moment je n'y pensais pas."

E comme Enfance. Juliette Binoche dit qu'elle a été la première surprise de la tournure qu'a pris sa vie lors de la projection, à Cannes, de Rendez-vous en 1985. "Jusque là, j'étais une jeune actrice qui essayait de vivre de sa passion. Et, tout d'un coup, je n'était plus seule à croire à mon rêve. J'avais un profond désir de reconnaissance. Ce désir, tout le monde l'éprouve. Mais peut-être encore plus ceux qui ont eu une enfance cabossée ou des parents absents. Ces manques créent ce besoin d'être vu et entendu. Depuis, ce manque s'est transformé en désir de donner et de partager."

T comme Théâtre. C'est pour être dans une famille et faire partie d'un tout sur une scène qu'elle a eu envie d'être comédienne. "Je n'avais pas le rêve du cinéma". Et c'est l'amour du théâtre au-delà des frontières qui l'a   Ca va ? Vous n'avez pas peur de l'avion ?" Et bien si, justement. L'actrice a aussi connu la foudre, tombée sur l'aile d'un avion qui s'apprêtait à atterrir.

E comme Evénement. Le 13 mais, dans les (bonnes) salles et sur le grand écran de Cannes, ce sera Ma Loute !


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