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Mesdames de France musiciennes

Par Plumehistoire

   La musique participe presque obligatoirement à l’éducation d’une princesse, au même titre que la danse ou le chant. Dans le cas de Mesdames, filles de Louis XV et Marie Leszczynska, la musique va prendre une place particulière.

   Pour au moins quatre des six filles du couple qui atteindront l’âge adulte, Henriette, Adélaïde, Victoire et Sophie, la musique devient un véritable « dérivatif au néant de leur existence », une activité qui justifie la vie tristement vaine et monotone de ces princesses.

La passion des filles de France

Une vielle datant du milieu du XVIIIème siècle, probablement réalisée en France (Musée de Nuremberg)

Une vielle datant du milieu du XVIIIème siècle, probablement réalisée en France (Musée de Nuremberg)

   Mesdames sont plongées dès leur plus tendre enfance dans cet univers artistique. Si Louis XV n’est guère sensible qu’aux sonneries de chasse et aux marches militaires, leur mère Marie Leszczynska est une grande amatrice de musique.

   Elle initie ses filles et son fils, tient à les voir jouer d’un instrument. Nul besoin d’insister, les fillettes sont conquises. Si elles prennent vite en horreur la danse, elles marquent tout de suite une prédilection pour la musique, « la passion des filles de France ».

    Lorsque Mesdames Victoire, Louise et Sophie sont envoyées à Fontevrault par le cardinal de Fleury pour des raisons d’économie, leurs parents s’assurent qu’elles puissent poursuivre leur formation musicale. Louis XV, bien au fait de l’intérêt manifesté par ses filles en la matière, leur envoie un clavecin : on installe l’instrument dans une pièce spécialement réservée.

   Au retour des trois exilées en 1750, la fratrie est au complet. L’aînée, Elisabeth, est mariée au duc de Parme depuis 1739, tandis que Louise montre davantage d’intérêt pour la lecture et les prières que pour la musique.

   Restent la jumelle d’Elisabeth, Henriette, et ses sœurs Adélaïde, Victoire et Sophie, qui s’adonnent ensemble à leur activité préférée.

Elles s’y précipitaient sans retenue, à tout heure du jour, cherchant désespérément à tromper la médiocrité de leurs destins, se gavant de concertos et de sonates.

  Leur « cher Nattier », peintre officiel de Mesdames, ne manquera pas de les représenter en grand habit de cour, accompagnées de leurs instruments favoris. Jean-Marc Nattier sera ensuite relayé par Jean-Germain Drouais, Adélaïde Labille-Guiard ou encore Etienne Aubry.

Madame Adélaïde

   Adélaïde, autoritaire et caractérielle, manifeste une soif de connaissances extraordinaire, son esprit curieux constamment en ébullition doit être toujours occupé.

   Elle apprend à jouer de tous les instruments, des plus classiques comme le violoncelle ou la guitare, jusqu’aux plus incongrus comme le cor et la guimbarde !

   Elle a un réel talent pour le violon, elle en joue fort bien dès l’âge de onze ans, supervisée par le célèbre Jean-Pierre Guignon. Ce-dernier ne tarit pas d’éloges sur son élève dans la dédicace d’un recueil de Pièces de différents auteurs à deux violons amplifiées et doublées :

Je me ferais un scrupule dissimuler que c’est elle qui m’a fourni les idées que j’y ai ajoutées pour toutes les agréables variations que la finesse de son goût, l’aisance de son jeu et la précision de son intelligence dont éclore de tous les morceaux qu’elle exécute.

   Adélaïde chante aussi comme un contralto, d’une façon presque masculine. Cette voix de baryton s’accorde parfaitement avec son physique, celui d’un garçon manqué.

   En 1758, elle se fait peindre par Nattier « solfiant », une partition de musique ouverte sur les genoux, battant doucement le mesure avec sa main, dans une robe de cour bleue garnie de fourrure noire, un petit chien à ses pieds.

Madame Adélaïde « solfiant » par Jean-Marc Nattier (détail) – Château de Versailles, appartements de Mesdames

Madame Victoire

   Victoire est la plus douée au clavecin, guidée par la fille du célèbre Couperin, Marguerite-Antoinette Couperin. Elle enseigne aussi à ses sœurs et leur apprend à composer. A seize ans, Victoire est capable d’interpréter des pièces « presque comme des maîtres ».

  En 1750, Luynes, un des favoris de Marie Leszczynska, remarque que Madame Victoire, qui sait déjà fort bien jouer du clavecin, se met à apprendre le violon, la guitare et la basse viole.

   Elle est aux côtés de ses sœurs et de ses parents en 1763, lorsque le petit prodige Wolfgang Amadeus Mozart joue et compose devant la famille royale. Il est accompagné de ses parents et de sa sœur aînée, qui restent plus de deux semaines à Versailles. Quelques mois plus tard, en mars 1764, le garçon dédie à Madame Victoire l’Œuvre 1er de ses sonates gravées pour clavecin.

 Victoire, grâce aux leçons de Beaumarchais, devient particulièrement douée à la harpe, la seule des filles de France qui saura réellement en jouer avec talent. En 1773, elle se fait représenter en train de pincer délicatement les cordes de son instrument préféré, par Etienne Aubry.

Madame Victoire jouant de la harpe, par Etienne Aubry en 1773 (détail) - château de Versailles, appartements de Mesdames

Madame Victoire jouant de la harpe, par Etienne Aubry en 1773 (détail) – château de Versailles, appartements de Mesdames

Madame Henriette

Madame Henriette jouant du violoncelle, achevé après sa mort en 1554 par Jean-Marc Nattier- château de Versailles, appartements de Mesdames

Madame Henriette jouant du violoncelle, achevé après sa mort en 1554 par Jean-Marc Nattier- château de Versailles, appartements de Mesdames

   La douce Henriette apprend très tôt à jouer de la viole, mais elle n’est pas très douée, pas plus que pour le chant d’ailleurs. Elle a pourtant pour professeur le plus grand violiste du temps, Jean-Baptiste Forqueray, qui lui dédie des Pièces de viole avec la basse continue.

   Elle montre davantage de dispositions pour le violoncelle, qui devient son instrument de prédilection.

  Henriette décède malheureusement trop jeune, en 1752, laissant Louis XV éploré par la perte de sa fille préférée.

   Jean-Marc Nattier avait entamé un portrait d’Henriette avant sa mort : La Reine et Madame Adélaïde, à qui le portrait est destiné, ordonnent son achèvement. Ce sera chose faite en 1554.

   Ce tableau réellement immense représente Henriette sur fond de draperie verte, en habit de cour rouge à ramages d’or, jouant du violoncelle, son instrument fétiche.

   Des perles et une rose piquées dans sa chevelure brune, les épaules découvertes et les bras enveloppés de dentelle, Henriette tient son archet dans sa main droite, pince les cordes de l’imposant instrument de l’autre.

   C’est un des portraits les plus remarquables, et les plus réussis, de Jean-Marc Nattier !

Madame Sophie

   La laide et timide Sophie fut d’une telle discrétion que nous ne disposons pas d’anecdotes précises sur sa passion pour la musique, même si l’on sait qu’elle jouait et composait.

  Le portrait que « ce fantôme de princesse » commanda à Drouais, qui la représente moulée dans une riche robe rose brodée de fleurs, en train de déchiffrer un cahier de musique, laisse entendre qu’elle était aussi passionnée que ses trois sœurs.

  Un autre tableau de Drouais rappelle son intérêt pour la musique. Réalisé entre 1770 et 1774, ce portrait figure Adélaïde, Victoire et Sophie, assises sur des nuages, têtes nues. Victoire déroule gracieusement une partition sur ses genoux, tandis que Sophie tient dans ses mains une lyre ainsi qu’une couronne de laurier (voir en fin d’article).

Des goûts éclectiques

   Les quatre sœurs, et plus particulièrement Adélaïde et Victoire, semblent collectionner les instruments originaux.

   En guise d’étrennes, Louis XV leur fait un jour cadeau de bien curieuses pièces : une trompette marine « ornée de marqueterie, de nacre et de perle, sculpture dorée et vernie en bois de Hollande et ébène », mais aussi deux instruments anciens, un psaltérion et un tympanon !

Madame Sophie par Drouais - collections du château de Versailles

Madame Sophie par Drouais – collections du château de Versailles

   Certains instruments particulièrement travaillés sont passés à la postérité grâce aux mémoires du temps ou aux inventaires. Ainsi en va-t-il pour un violon de Madame Adélaïde :

Elle disposait d’un instrument incrusté de fleurs de lys d’argent, unique en son genre, réalisé par le maître luthier napolitain Nicolas Gagliano. L’archet était incrusté de même.

   La plupart des instruments des filles de Louis XV sont richement décorés de fleurs de lys, dorés à l’or fin ou gravées à leurs initiales. Ainsi, un orgue figurant parmi les trois orgues commandés au facteur d’orgues Nicolas Sommer en 1747 et destinés au Dauphin, à la Dauphine et à Madame Adélaïde, présente les chiffres MA, probablement les initiales de cette dernières (Marie-Adélaïde). On peut aujourd’hui l’admirer à Versailles dans les appartements de Mesdames.

Beaumarchais

   Pierre Augustin Carron (Beaumarchais lorsqu’il accolera le nom de sa femme au sien), rencontre pour la première fois Mesdames et la famille royale en 1753. Ne songeant pas encore à une carrière d’homme de lettre, c’est un horloger féru de sciences. Il intrigue Louis XV par ses inventions, et fait cadeau à Madame Victoire d’une pendule de sa création.

   En 1760, il est de retour à Versailles, bien décidé à se hisser plus haut que sa situation de maître horloger ne le laisse espérer. Il joue de la harpe avec un rare talent, et croit que c’est précisément grâce à la musique qu’il pourra se frayer un chemin dans le monde.

Le bruit en parvint à Mesdames (…) qui, au milieu de leur existence monotone, saisissaient avec empressement la moindre occasion de se distraire.

   Mesdames, qui commencent par prendre des leçons de harpe, tombent littéralement sous le charme de Beaumarchais. Il devient l’organisateur et le principal acteur de concerts de famille que les princesses se mettent à donner chaque semaine, du moins au cours de l’année 1762, et auxquels participe la Reine et le Dauphin. Le Roi lui-même y assiste parfois.

Beaumarchais, qui affectait auprès des princesses l’air dégagé et les belles manières d’un homme de qualité, fut pris au piège qu’il avait tendu lui-même. On le traita en homme de qualité, il fut chargé de satisfaire toutes les fantaisies musicales de Mesdames.

   Il donne des leçons et compose pour les filles du Roi, mais est aussi chargé de leur acheter tout ce qu’elles ont besoin pour jouer : partitions, instruments… Il reçoit chaque jour de nouvelles commandes de leur part. Beaumarchais s’exécute, même si elles oublient souvent de le rembourser. Il se plaindra ainsi un jour dans une lettre à un ami que Madame Sophie lui doit de l’argent !

   Rapidement, Beaumarchais est admis dans les réunions intimes de la famille royale. Il devient un véritable ami pour Mesdames, qui n’hésitent pas à prendre la défense. L’amitié des filles de Louis XV ne vaut-elle pas quelques dettes ?

De gauche à droite : Adélaide, Victoire et Sophie, par Drouais - Collections du château de Versailles

De gauche à droite : Adélaide, Victoire et Sophie, par Drouais – Collections du château de Versailles

Resserrer les liens familiaux

   Les concerts donnés par la famille royale sont l’occasion de donner libre cours à leur passion, mais représentent aussi des moments d’intimité privilégiés. Car la musique rassemble.

   Marie Leszczynska a également éveillé l’intérêt du Dauphin. Il est réellement doué, jouant avec talent de plus de sept instruments différents, mais sa spécialité reste le chant : sa profonde voix de basse est d’une beauté surprenante, s’accordant avec celle de sa sœur Adélaïde.

   Très souvent, Mesdames sont accompagnées de la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe, l’épouse de leur frère. Elle possède de loin la culture musicale la plus étendue et les talents les plus remarquables.

   En 1774, Louis XV offre à Adélaïde, Victoire et Sophie le château de Bellevue. Elles aiment s’échapper de leurs appartements officiels de Versailles pour venir occuper ce petit château. La passion de la musique continue à Bellevue : violon, orgue, piano… Les trois sœurs ne se lassent pas de partager des instants privilégiés, réunies grâce à la musique, et ce jusqu’à la fin de leur vie, même dans leur exil après la Révolution…

Sources

♦ Mesdames de France : Filles de Louis XV, de Edouard de Barthélemy

♦ Mesdames de France : Les filles de Louis XV, de Bruno Cortequisse

♦ La Revue des Deux Mondes, 1874 : Les six filles de Louis XV, de Jules Soury

Les Reines de France au temps des Bourbons : La Reine et la favorite, de Simone Bertière

♦ Louis XV, de Jean-Christian Petitfils

♦ Réouverture des appartements de Mesdames, filles de Louis XV

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