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Des mots pour Ali

Par Gangoueus @lareus

Muhammad Ali

Source Bibliothèque du Congrès


Il se définissait comme le plus grand... Muhammad Ali, boxeur, trublion, gentleman, militant, personnage de littérature...
Il n’y a pas d’urgence à écrire. Surtout si c’est un R.I.P conventionnel vite balancé sur un réseau social auquel dans le meilleur des cas on a associé un article hommage d’un grand journal en ligne. Billet qu’on n’a pas pris le temps de lire le tiers du contenu. R.I.P (Repose en paix) dans des sociétés qui se paganisent, l’expression me fait toujours sourire. Car dans le fond, surtout dans le contexte français, elle est un renvoi à la notion d’au-delà et de salut. R.I.P, acronyme utilisé rapidement et sans révérence pour la personne disparue. En apprenant le décès de Mohamed Ali, je suis de nouveau tombé sur cette avalanche de « RIP » et je me suis sincèrement posé la question s’il n’était pas insultant d’honorer de cette vile manière, les morts et les plus illustres d’entre eux.
Il n’y a pas d’urgence à écrire. Mais je veux profiter de la charge de l’émotion liée à la disparition d’Ali. C’est cette émotion qui me renvoie à mes souvenirs premiers d’Ali et à la prime enfance du côté de Lyon. Mes parents étaient étudiants à l’époque, plutôt militants. Ils sortaient de la belle période des années 70 où le militantisme afro-américain des Blacks Panthers achevaient de battre son tempo. Les étudiants d’Afrique noire en France furent fortement influencés par le combat des afro-américains et les phénomènes de mode comme la fameuse coupe afro finirent par faire partie intégrante de leur manière d’être au monde. A cette époque, le funk torride et crépu de James Brown prenait le pas sur les classiques gominés du jazz... Et Mohamed Ali était une idole pour beaucoup. Ma mère en parlait toujours avec un éclat dans les yeux, une fierté. Il est beau, il était braillard, il ne se prenait pour de la merde, pour faire dans la poésie.
Il n’y a pas d’urgence à écrire. Aussi d’autres souvenirs me vinrent à l'esprit quand dans les années de l’adolescence, au Congo, le mythique combat d’Ali contre Foreman repassait en boucle sur la RTC (Radio Télévision Congolaise). Je pense que j’ai du voir ce combat une quinzaine de fois, au moins. Et si je n’étais pas vraiment un fan de boxe, préférant largement le football et le tennis, il me semble que chaque fois que ce combat repassait je m’affalais dans le canapé convertible en cuir usé et regardais de nouveau ce combat donc je connais chacune des étapes. Foreman qui avance constamment sur Ali et essaie de lui assener de puissants coups alors que, réfugié dans les cordes, Ali tente éperdument d’esquiver les attaques du mastodonte. Bon, à force de répétition, je savais que tout basculerait au round 7 mais le parti pris me faisait chaque fois atrocement souffrir avec Ali pendant les 6 premiers rounds… Avant le temps du knock-out attendu et salvateur.
Plus tard, étudiant, je vis des reportages sur Ali, je compris le contexte de ce combat de Kinshasa, je découvris son engagement contre la guerre du Viêt-Nam, le prix qu’il paya pour sa prise de position en refusant sa mobilisation ou encore son positionnement au sein de Nation of Islam et sa relation complexe avec Malcolm X. Dans un ancien reportage de William Klein sur Mohamed Ali, il est montré dès le début comment des notables blancs de Louisville où le boxeur a grandi s’approprie les premières victoires d’Ali, rappelant le contexte esclavagiste qui eut de beaux jours dans cette localité et dont Ali est un héritier. Mieux que When we were the kings passionnant certes mais ne réduisant l’œuvre d’Ali au seul combat de Kinshasa, le reportage de William Klein explique le regard de ma mère. On découvre le Mohamed Ali littéraire. Celui qui détruit ces adversaires à la force de ses piques, de ses mots et parfois de ses insultes. On sait combien Joe Frazier avait été marqué par certaines des allusions d’Ali.
Il n'y a pas d'urgence à écrire. Dans le processus de découverte de Muhammad Ali, il me semble que le plus intéressant pour moi, fut d'aborder le Muhammad Ali littéraire. Il n’y a qu’à se rendre compte que pour son combat à Kinshasa, deux journalistes et écrivains lui ont consacré un texte littéraire. Le combat du siècle de Norman Mailer est simplement excellent. Un récit d’une remarquable qualité narrant les péripéties de ce combat et le contexte extrêmement délicat de cette affaire entre Ali et Foreman en terre congolaise, je veux dire zaïroise. C’est aussi Maya Angelou qui, à Accra, raconte la douloureuse tentative de Malcolm X de reprendre contact avec Ali qui le rejette sans ménagement. Il est un personnage qui entre dans de nombreux récits. Mais, et je m’arrêterais là, pour les francophones, son passage à Apostrophes l’émission mythique de Bernard Pivot reste un moment d’une rare intelligence. Ce fut pour l’occasion de son récit autobiographique The Greatest (Editions Gallimard, 1976). Au cours de cette émission disponible sur le site de l'INA, il revint avec le recul sur cette rhétorique outrancière qui le caractérisait, l’inscrivant dans une forme de stratégie marketing autour de ses combats. Un show comme il aimait dire à l’occasion de l’émission.
Je crois qu’Ali est l’illustration du pouvoir de la parole et de la puissance que permettent la projection et la proclamation de celui qui croit en ses possibilités. Ali a renommé les choses chaque fois qu’il a fallu le faire dans sa vie. En passant de Cassius Clay à Muhammad Ali. Par le refus de se laisser assigner à des rôles qu’il n’a pas choisis. Comme celui de larbin des anciens esclavagistes de la région de Louisville. Comme celui de soldat enrôlé dans les troupes américaines au Viêt-Nam. Plus que les étudiants antimilitaristes des années Nixon, Ali a été touché dans son portefeuille pour ce désaveu de la politique étrangère américaine. Et je pense que cela caractérise l’ensemble de sa trajectoire.

Des mots pour Ali

Louisville Images


Je comprends l’éclat dans le regard de ma mère quand il était question de Muhamad Ali. Elle connaissait par cœur la poésie de son leitmotiv « Je vole comme un papillon, je pique comme une abeille… ». Une fierté aussi brute et brutale que les cris enragés de James Brown. Sur 30 kilomètres de procession, le boxeur a refait le retour sur son lieu de départ, Louisville.
Voir également un interview avec Michel Drucker.

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