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4 musées pour 4 peintres, pour une initiation aux maîtres de la Vallée de la Creuse

Publié le 29 juin 2016 par Aude Mathey @Culturecomblog

Au XIXème siècle, alors que les artistes sortent de leurs ateliers pour privilégier la peinture en extérieur, parcourent ainsi l’Europe en quête de motifs, la Vallée-« atelier » de la Creuse est devenue un véritable foyer artistique, un lieu d’intense création où se sont forgées plusieurs colonies d’artistes mais pas forcément régionalistes puisque le peintre suédois Österlind, figure comme le peintre le plus exotique parmi les 4 peintres exposés qui ont trouvé l’inspiration dans cette vallée, comme site majeur parmi d’autres tout au long de leur carrière, comme lieux de leurs motifs de prédilection ou de révélation picturale.
Tel un parcours artistique basé sur les rives d’une rivière aux forces vives ayant attiré une flopée d’artistes pour une production exceptionnelle de milliers d’œuvres originales d’inspiration impressionniste.
Une exposition-parcours, entre Berry et Limousin, centrée sur 4 artistes migrateurs remis sur le devant de la scène à l’aide de près de 250 œuvres et documents, la plupart inédits, au sein de 4 musées de renom établis près de cet itinéraire mythique, s’étalant sur une période de mai au 18 septembre 2016.
– Alfred Smith, musée d’art et d’archéologie, Guéret.
– Allan Österlind, Musée Château d Ars, La Châtre.
– Charles Bichet, musée des Beaux Arts, Limoges.
– Eugène Alluaud, musée de la Vallée de la Creuse, Éguzon.

Avec pour point de départ estimé à 1832 pour les premières esquisses d’un courant qu’on appellera les peintres de « l’école de Crozant » comme pour orner des lettres de noblesse une région qui s’est adonnée à son insu à une des plus riches collections figuratives régionales, et qui atteint son apogée entre les années 1880. Pour finalement tomber dans l’oubli à l’aube des années 1930 avec l’avènement de la peinture contemporaine.
Une véritable émulation locale pérenne se forma autour des auberges et « villas » où les artistes étaient hébergés et profitaient de ces lieux de vie, souvent représentés dans leurs œuvres, pour d’interminables échanges sur des techniques et environs dignes d’intérêt; tout en ponctuant leurs soirées de spectacles de marionnettes si chères à George Sand et de son fils Maurice.
Un artiste en appelant un autre et ce furent ainsi de nombreux artistes d’origine et de spécialités diverses qui succombèrent à la lumière de ces paysages nichés entre les reliefs accentués des vallées de la Creuse, de la Sédelle, de la Gartempe ou encore de la Vienne.
En effet, les gens viennent voir les paysages décrits dans les romans de George Sand, dont Gargilesse qu’elle compare à un petit Fontainebleau, où l’on retrouve encore aujourd’hui son ancienne demeure transformée en musée à proximité du château de Gargilesse, dont la propriétaire Annick Thévenin est également artiste-peintre qui expose à la fois ses œuvres teintées de brume ainsi que celles d’artistes réputés de cette époque. Elle organise de plus de nombreux évènements à l’instar des soirées « Auteurs au féminin » mettant en scène des comédiennes célèbres, ayant lieu tous les ans, au sein de ce bâtiment particulièrement soigné dans les moindres recoins.
À noter, en outre, la présence dans ce même village teinté de cet esprit si créatif, l’incontournable atelier de restauration « l’Encadrerie » de Catherine Liénard, redonnant une véritable cure de jouvence à ces œuvres aux longs parcours.

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Intérieur du Château-galerie de Gargilesse (crédits: Alexandre Plateaux)

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À l’intérieur du Château, notamment 2 toiles illustrant la Vallée de la Creuse du peintre Paul Madeline.

Parmi les sites emblématiques ayant servis de modèles, un attire particulièrement l’attention du visiteur puisque qu’il va donner le nom à ce courant artistique, à savoir « l’école de Crozant ».
Les ruines du Château de Crozant est un « site d’une puissance romantique et hugolienne », aux couleurs claires, selon Christophe Rameix, expert et auteur de plusieurs ouvrages sur cette période.
Ancienne place forte médiévale démantelée par le Cardinal Richelieu en 1632, visitée en son temps par George Sand et Frédéric Chopin et très tôt fréquentée par un tourisme de qualité et parisien, le même qui prenait ses quartiers à Étretat dont parmi eux des centaines d’artistes de plein air et ce conquis pour des raisons picturales.
Alors que le paysage était un motif secondaire et se devait d’être « plus beau que le vrai ».
Monet y a d’ailleurs créé une série en 1889. Armand Guillaumin, un des précurseurs de l’impressionnisme et des couleurs fauves et arbitraires comme du rose sur les roches et du violet sur l’eau, dont il se permettait de ponctuer de ses couleurs les plus violentes.

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Vues sur les ruines du Château de Crozant (crédits: Alexandre Plateaux)

Allan Österlind, Musée Château d’Ars, La Châtre.
Ce château de style Renaissance, ayant servi de scène au roman de George Sand roman « Ces beaux messieurs de Bois-Doré » est le lieu de manifestations régulières, dont l’exposition, supervisée par sa directrice Annick Dussault, remet en lumière l’artiste suédois, natif de Stockholm, Allan Österlind.

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Château d’Ars (crédits: Alexandre Plateaux)

Dans la lancée de l’après 1870, et un sentiment anti-allemand se forge en Scandinavie et ainsi de nombreux suédois se tournent vers la France.
Territoire où ses deux régions de prédilection furent la Vallée de la Creuse et la Bretagne dont l’île de Bréhat entre quelques escapades à Paris, où il menait sa vie de bohème au cours de laquelle il se faisait une spécialité de peindre, en guise de paiement, sur les portes, verres ou encore assiettes des auberges dans lesquelles il séjournait en échange de l’hospitalité et ainsi parer à ses fréquents soucis d’argent. Des auberges où se rencontraient des artistes autour de verres d’absinthe et partageaient les meilleurs motifs à peindre; on lui devra notamment l’enseigne du « Lapin Agile » à Montmartre.
Étant sculpteur à l’origine, il a partagé son réseau scandinave à Rodin.
Tout au long de son œuvre, il cherchera à retranscrire des événements de la vie quotidienne de ses contemporains avec de fréquents jeux de lumière ou encore des scènes de danse, notamment en Espagne réalisées en aquatinte, autrement appelé gravure à l’eau-forte, pour une conception haut-de-gamme de l’estampe. D’ailleurs, chaque aquatinte est différente des autres, une œuvre originale à chaque réalisation et reproduite en plusieurs exemplaires par des éditeurs tels que Pierrefort ou même Sagot, hormis le fait qu’Österlind avait aussi sa propre presse.
Notons de même, des paysages de scènes rurales, mélancoliquement inspirées de contes et légendes scandinaves comme la représentation de la légende du charmeur de rats en 1897, et un passage par l’Art Nouveau (« La Vierge », 1900) pour un artiste qui n’a eu de cesse de se renouveler et dont son œuvre phare représentant le poète symboliste Maurice Rollinat exilé en Creuse après le succès inattendu de son œuvre « Névroses ».
Retenons qu’une dynastie d’artistes suivit à la postérité de son œuvre puisque son fils Anders Österlind et son petit-fils Nanic Österlind prirent la relève de son Art à leur manière.

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Allan Österlind « Rollinat et son chien », 1898 (Crédits photo: Alexandre Plateaux)

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Scène de vie avec les « Servantes » d’Österlind, 1913. / Témoignage d’un confrère nordique ayant suivi Österlind en Creuse, « le soleil sur la neige à Gargilesse » de Gustav Albert, 1894 (Crédits photo: Alexandre Plateaux)

Alfred Smith, Musée d’art et d’archéologie, Guéret.
Le Musée d’Art et d’Archéologie de la Ville de Guéret, hôtel particulier construit au 18ème siècle, situé sur le Présidal de la commune, fut la résidence du sénateur Justin Bonaventure.
Bâtiment abritant une collection multidisciplinaire dont l’exposition actuelle d’une cinquantaine d’œuvres (dont la moitié provenant du musée des Beaux Arts de Bordeaux) du grand peintre bordelais Alfred Smith, élève de Léonce Chabry ainsi qu’Hyppolyte Pradelles, tous deux passés par l’école de Barbizon parmi des confrères comme Alfred Roll, avec une correspondance conservée à Los Angeles.
Un style évoluant à travers les années et au gré de ses séjours à Paris, Venise où il logeait quai des Esclavants du fait de son train de vie aisé, provenant en bonne partie de la bonne tenue de ses ventes de toiles.
Il n’en oubliera pas Bordeaux puisque chaque année, il enverra des œuvres au Salon des amis des Arts, c’est grâce à cet évènement qu’il arrivera à Paris.
Suivant le Salon d’automne de 1905 de Paris, et l’avènement des fauves., il découvre Crozant en 1912 et à partir de 1914, il enverra des œuvres uniquement de cette région dont il est séduit par l’atmosphère. Comme beaucoup de confrères de Crozant, il s’est inspiré du cadrage photographique pictorial. D’ailleurs, il y restera fidèle jusqu’à la fin de sa vie, en 1936 en produisant près de 200 œuvres.
De nombreux tableaux mélanges mêlant cire, pastel sec, pastel gras, rendant la restauration compliquée pour des tableaux majoritairement peints l’été qui ont voyagé et accompagnés par des critiques.
À savoir qu’avec un budget d’acquisition de 15 000 euros et privilégié sur la restauration, le musée de Guéret a peu de marges de manœuvre mais bénéficie de dons et de mises en dépôt.

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« Vallée de Sédelle (automne) », 1929 / « La Sédelle en Octobre à Crozant » (1923). Des tons fauves mis en exergue par Alfred Smith pour représenter la Vallée (Crédits photo: Alexandre Plateaux)

Charles Bichet, musée des Beaux Arts, Limoges.
« Volume, lumière, couleur » résument le travail exposé par Charles Bichet au musée des Beaux Arts de Limoges (créé en 1845) souhaitant présenter son fonds d’une centaine d’œuvres de son fonds (50% acquis auprès du collectionneur Arsène Carat, et le reste au fonds Dubouchet).
Artiste majeur de Limoges car enseignant de l’école d’Arts Décoratifs de la ville et ayant formé nombre d’artistes, puisque lui-même élève de son homologue à Paris avec comme professeurs Victor Ruprich (spécialisé en ornements et auteur de l’ouvrage « la Flore ornementale », 1876 qui inspirera son œuvre florale) et Edmond Lechevallier-Chevignard.
Lauréat du prix Adrien Dubouchet en 1883 pour un dessin de jardinière, qui lança sa notoriété et dont l’ouvrage en porcelaine fut exposé au cours de l’exposition universelle de 1889.
C’est en 1890 qu’il s’installe à Limoges repéré notamment pour son talent.
Son arrivée dans l`impressionnisme fut pour lui un choc. Un changement qui va s’ancrer en lui grâce à Paul Thomas qui aidera à Bichet à prendre conscience de sa valeur.

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Paysages typiques de sous-bois aux abords du moulin de la Folie (CR: AP)

Un artiste pastel.
L’artiste estime que la peinture à l’huile n’est pas une technique suffisamment rapide pour lui permettre de s’exprimer pleinement dans un temps limité.
C’est ainsi qu’il se tourne vers le travail du pastel, médium parfaitement maîtrisé par Armand Guillaumin, dont il s’inspire.
Artiste libre, passionné allant jusqu’à l’autodestruction, puisqu’il fut poussé à opérer un autodafé d’une centaine de ses anciennes œuvres et ainsi renier son passé en 1910.
Après l’impressionnisme, il s’intéressera aux techniques de son époque avec l’exploration de courants extérieurs comme le japonisme, novateurs à l’instar du fauvisme ou du cubisme de Picasso, où il y puise des techniques différentes (touche, polychromie, support).
Il demeurera proche de ses élèves jusqu’à la fin de sa vie, au point d’alimenter ses dernières œuvres d’inspiration figurative…

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« Crozant, les ruines côté de la Creuse, le matin » par Armand Guillaumin, 1897 / « Les Piliers de Lascoux à Chateauponsac » (vers 1907-1913), une étendue de la Vallée et des roches qui l’arpentent vue par Bichet (CR: Alexandre Plateaux)

Eugène Alluaud, musée de la Vallée de la Creuse, Éguzon.
À quelques encablures du tant représenté moulin de la Folie ainsi que de l’Hôtel Lépinat, antre de l’effervescence artistique et vestige reconverti en musée interactif effectuant un travail de mémoire sur le riche passé de la région, se situe le musée de la Vallée de la Creuse à Éguzon, sis dans les anciennes écuries du château d’Éguzon, et fut visité en son temps par l’industriel, à la fois artiste-peintre et collectionneur, Henri Rouart.
Sous la houlette de l’Historien d’Art, Jean-Marc Ferrer, le Musée retrace l’ensemble de l’œuvre de l’Eugène Alluaud, « l’enfant du pays », artiste révélateur de cette mouvance post-impressionniste qui expose à Paris (Salons d’Automne et indépendants) soutenu par Jean Giraudoux notamment et il fut acclamé par la critique parisienne dont l’exigeant Louis Vauxelle.
Installé à Crozant en 1891 dans ce village où cohabitaient 6 auberges remplis d’artistes qui privilégient la période d’Août à Octobre pour la quiétude de peindre, avec une densité artistique telle que les visiteurs ne trouvaient plus de place en auberge à moins de 30km à la ronde.
Il s’est consacré à la peinture, la céramique (avec le célèbre sculpteur animalier Paul Jouve et des paysages de Crozant sur porcelaine) et la photographie, des affiches de promotion touristique de la Creuse, tel un passeur d’arts valorisant sur plusieurs supports.
Au final, un catalogue de plus 400 titres d’œuvres de paysages dont 60% réalisés dans la Vallée de la Creuse et le reste dans les Pyrénées. Devenu maître de la lumière dont il excelle à figurer tant sous la brume qu’en pleine clarté, le tout avec des tons fauves.
De nombreuses influences viendront ensuite jalonner sa carrière comme les représentations « pissariennes » de Paris ou encore des jardins privatifs de ses amis bourgeois.
Il revient à de la précision crépusculaire à la fin de son parcours et avec de plus grands formats.

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« La Sédelle en Mai », 1906 / « La Creuse à Crozant » (1925) dans toute sa splendeur par Eugène Alluaud (Crédits photo: Alexandre Plateaux)


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