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[Review] Angela: Queen of Hel

Par Cosmos @midnight_peanut

Angela est la plus redoutable des guerrières de Heven, une société d’anges pour qui rien n’est gratuit : chez elles, tout n’est que marché à honorer ou dette à régler. Elle est aussi la sœur cachée de Thor et de Loki, laissée pour morte après avoir été enlevée par les anges peu de temps après sa naissance.

Au début de ce troisième et dernier tome de ses aventures, elle vient d’apprendre que sa bien-aimée Sera est retenue en Hel, c’est-à-dire là où vont les morts du royaume d’Asgard quand ils ne sont pas dignes d’entrer au Valhalla. Pour sortir Sera de là, il faudra qu’Angela défie la déesse-reine des lieux et devienne à son tour… la Queen of Hel.

Un titre qui ne plaira pas à tout le monde

Je dois vous faire un aveu : je n’ai jamais vraiment aimé le style de Marguerite Bennett, la scénariste de cette histoire. Trop souvent le même genre de monologue torturé à prétention poético-littéraire, trop d’histoires molles… et pourtant j’ai adoré celle-ci. Son écriture est en effet méconnaissable, beaucoup plus fun et bourrée de références à la pop culture et aux pièces de Shakespeare, avec une Sera qui n’hésite jamais à briser le quatrième mur.

Angela: Queen of Hel et ses références à la pop culture

Son style ne parlera cependant pas à tout le monde. On sent en effet que ce titre s’adresse principalement aux lecteurs et lectrices de la sphère comics de Twitter et surtout Tumblr, tant on y retrouve le même genre d’humour, ainsi que des clins d’œil aux œuvres qui ont enflammé ce coin du net (Mad Max: Fury Road et Hamilton notamment). Si vous ne faites pas partie de ce lectorat, il se peut que le titre vous passe au-dessus. Si par contre vous vous reconnaissez dans la description précédente, alors voici une histoire écrite spécialement pour vous.

Un grand écart graphique

Angela: Queen of Hel, par Stéphanie Hans

Stéphanie Hans

Lors de certaines scènes bien spécifiques, on retrouve avec bonheur les magnifiques peintures numériques de Stéphanie Hans, très expressives grâce à sa maîtrise de la couleur notamment (l’intensité de ses rouges !).

L’intrigue principale est par contre assurée par Kim Jacinto aux crayons et Israel Silva à la couleur, et ça ne fonctionne pas toujours très bien. Malgré une narration tout à fait correcte, le premier a un style très anguleux, efficace lorsqu’il s’agit de représenter des monstres, des scènes d’action, des personnages agressifs, mais beaucoup moins pour faire passer de la tendresse par exemple. Or il y en a entre les personnages, et elle est au moins aussi importante que l’action.

Quant aux couleurs du second, elles ont ce côté très informatisé, très brillant qui, combinées au trait du premier, donnent l’impression d’un titre de super-héros de troisième catégorie auquel l’éditeur ne croit pas vraiment. Avec son ton si unique, le récit aurait pourtant mérité une approche graphique différente.

Une métaphore de l’écriture de comics pour Marvel

En effet, Angela: Queen of Hel n’est pas juste une histoire fun sur des mercenaires lesbiennes interdimensionnelles qui font la révolution chez les morts d’Asgard sur un air de death metal (mais avouez que ce serait déjà pas mal, non ?). Le titre se place dans la droite lignée du run de Kieron Gillen sur Journey into Mystery : les aventures d’Angela sont la suite de celles de Kid Loki, aussi bien thématiquement que chronologiquement.

Le thème : dans une histoire, un auteur peut utiliser la fiction pour aborder des thématiques bien réelles, déguiser des personnes de son entourage en créatures fictives pour injecter de l’authenticité dans certaines situations… Autrement dit : user de mensonges pour raconter une vérité. Un rôle parfait pour Kid Loki, petit dieu du mensonge qui avait la capacité d’ajouter des lignes à l’histoire des autres, alors que la sienne restait à la merci d’un narrateur tout puissant. On peut facilement y voir une certaine métaphore du travail pour Marvel, où un auteur ne peut jamais avoir le dernier mot sur un personnage : quelqu’un d’autre arrivera derrière lui et pourra enrichir son histoire… ou la vider de son sens.

Dans Queen of Hel, Marguerite Bennett pousse la métaphore encore plus loin. Sera est en effet une artiste et une mercenaire… un peu comme une scénariste travaillant en work for hire sur des super-héros. Elle connaît le fonctionnement des comics, et n’hésite pas à y faire de nombreux clins d’œil, pour notre plus grand plaisir. Lorsqu’après leur conquête de Hel, les héroïnes sont en recherche de nouveaux contrats pour gagner leur vie, il y a aussi un parallèle évident avec une scénariste de comics dont certaines séries arrivent à la fin et qui se demande comment envisager la suite.

[Review] Angela: Queen of Hel

Le vrai super-pouvoir de Sera est de rendre « l’exposition flagrante » vraiment fun. Grâce à elle, la série a les meilleures pages de récap’ de début de chapitre :D

Mais Bennett n’est pas Gillen et si celui-ci est connu pour son amour du drame et ses twists tragiques, celle-là a à cœur de proposer une histoire porteuse d’espoir. Faire réintervenir Thori et Leah of Hel, deux personnages méconnus mais qui comptent parmi les plus attachants de JiM, est déjà un beau cadeau fait aux fans. Et alors que Leah déclarait : « better to die as good fiction, than live as bad » dans Journey into Mystery, la scénariste trouve ici une façon beaucoup plus positive de conclure son histoire, qui fait directement écho aux derniers mots de Gillen dans… le courrier des lecteurs de JiM. Cela peut sembler anecdotique, mais c’est une preuve qu’elle a compris que ce qu’il y a dans les pages d’une histoire n’est pas la seule chose à résonner dans le cœur des fans : les discussions et les créations qu’elle génère peuvent être au moins aussi marquantes.

Queer mais pas sidekick

Bien qu’elle se moque parfois gentiment des clichés des comics de super-héros, Bennett n’oublie pas que malgré tous leurs défauts, leurs lieux communs, ils peuvent être très importants pour leurs lecteurs et lectrices. Que leurs héros peuvent devenir des symboles, surtout quand les trois personnages principaux d’une histoire sont des femmes queer, dans un univers où elles sont rarement au premier plan.

On reproche par exemple souvent aux X-Men d’être une métaphore des minorités opprimées mais qui inclut paradoxalement assez peu de membres de ces minorités. Les aventures d’Angela, Sera et Leah ont le bon goût d’éviter cet écueil, en développant trois héroïnes queer qui refusent que leur vie soit déterminée par les circonstances de leur naissance, de façon à la fois fantastique et très réelle.

Contre Hela ! Angela: Queen of Hel

Née Asgardienne mais élevée par les anges dès son plus jeune âge, Angela est considérée par chacun de ces deux camps comme l’autre, comme la traîtresse. A première vue, elle est également le « strong female character » par excellence, la guerrière imbattable sexy dans son space bikini. En confirmant sa relation amoureuse avec Sera, Bennett lui ajoute cependant beaucoup de nuances. A quoi ressemble une relation avec un être conditionné depuis l’enfance à ne raisonner qu’en terme de marchés et de dettes ? De quelle façon s’expriment ses sentiments ?

Sera est quant à elle ronde, effrontée, gouailleuse… Elle est aussi née dans un corps d’homme, mais contestez son identité et vous goûterez à sa répartie et/ou à sa magie. Et surtout, elle est beaucoup plus qu’un personnage secondaire bavard uniquement là pour contrebalancer le mutisme de l’héroïne. Lorsque Angela et elle se retrouvent au début du tome, leur relation est à redéfinir : après avoir été séparées aussi longtemps, peuvent-elles vraiment se retrouver ? Hel n’est pas que le monde des morts, c’est aussi un lieu de souvenirs. Les défis que doit relever Angela avant de vaincre la reine des lieux sont alors l’occasion d’explorer leur identité à chacune, leur histoire ensemble et chacune de leur côté, et ce qu’elles s’apportent mutuellement : laquelle a le plus besoin de l’autre notamment ?

Quant à Leah, disons simplement que son avenir a littéralement été écrit pour elle dans Journey into Mystery, mais que cette perspective ne l’enchante pas trop. De quelle façon va-t-elle échapper à ce destin ?

Mélange unique de références pop et shakespeariennes, bourré d’humour, de clins d’œil et de tendresse, Angela: Queen of Hel est une œuvre surprenante qui parlera surtout à un certain public bien précis. Mais il s’agit aussi d’un récit sur le pouvoir des histoires. Sur la façon dont les aventures de personnages fictifs résonnent en nous, nous portent et nous inspirent. Mais aussi sur les histoires qu’on nous raconte pour nous enchaîner et dont il faut savoir se libérer, comme le font les trois héroïnes queer de ce tome.


Angela : ordre de lecture
Dans l’ordre chronologique, il vaudrait mieux lire :

  1. Le run de Kieron Gillen sur Journey into Mystery, dont je n’ai pas arrêté de parler dans l’article. C’est dans ce titre que Leah of Hel fait son apparition, or connaître les circonstances de sa création permet de mieux apprécier la façon dont son arc narratif se termine dans le dernier chapitre de Queen of Hel.
  2. Pour savoir pourquoi Leah of Hel peut croiser la route d’Angela, poursuivre sur la mini-série Siege de 2015, par Kieron Gillen et Filipe Andrade (sa lecture n’est pas du tout obligatoire niveau compréhension, mais tout comme le run de Gillen sur Journey into Mystery, c’est une très bonne histoire, donc tant qu’à faire, hein).
  3. Et enfin, lire les 3 tomes des aventures d’Angela et Sera dans l’ordre, c’est-à-dire Angela: Asgard’s Assassin puis 1602: Witch Hunter Angela et enfin Angela: Queen of Hel.

Si la perspective de lire plein d’autres histoires avant celle-ci ne vous enchante pas trop (et c’est compréhensible), commencez par toutes les aventures d’Angela, puis remontez le temps si vous désirez en savoir plus

🙂


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