De gauche à droite: Bel Spalla, Tatta Spalla, Damilton Viana da Costa et Sérgio Tordini
L’histoire que je veux vous raconter est une histoire vraie.Elle commence par une sorte d’enchantement, une sérénade qui un soir a capté mon attention. Comme nous sommes au 21e siècle, cette sirène qui m’a envoûté par son chant, ce n’est pas au bord de la rivière que je l’ai entendue, mais bien sur le fil de ma page Facebook. Il était donc une fois un 16 juin 2016, sur le seuil de minuit, je décidai d’aller me coucher, tandis que ma chère et tendre s’attardait devant la télé pour terminer de regarder un film.(je passe à l’indicatif présent à partir de maintenant, afin de fluidifier la narration) Avant de me jeter dans les bras de Morphée, je me penche sur l’actualité de mon réseau social, comme je suis certain que vous le faites tous, par acquis de conscience. Je tombe alors sur une vidéo publiée par l’ami Johnny Pereira, un petit truc tourné au smartphone qui me happe, me magnétise, et que je suis forcé de suivre jusqu’au bout. Une jeune fille fredonne une mélodie douce, s’accompagnant de sa guitare qu’elle gratte avec une désinvolture désarmante. Elle est assise sur un tabouret, et celui qui filme (Johnny) se trouve de l’autre côté du comptoir. On est dans le café Staminet (Merl) et la vidéo a été mise en ligne il y a à peine vingt minutes. Il n’y a pas grand monde dans le bistrot, juste une poignée de clients qui se trouvent là par hasard, qui font plus ou moins attention à la ballade live, tout en continuant de bavarder et de boire leur bière. Atmosphère hyper-sympathique style « nighthawks » ! La chanteuse, je l’apprendrai un peu plus tard, s’appelle Bel (Isabel) Spalla. Sa voix est chaleureuse, susurrée et assurée. Après la première rengaine, je me rends compte que c’est un véritable mini-concert qui est en train de se dérouler, se reflétant dans un enchaînement d’autres vidéos. A côté de Bel, au comptoir, on découvre deux autres personnages : Damilton Viana da Costa, le gaillard à la casquette, fait le rythme en se servant de tout ce qui l’entoure : avec ses mains il tapote sur la table, avec une cuillère à café il frappe le cendrier ou un verre de bière, et il va jusqu’à battre la cadence sur la table d’harmonie de la guitare de son voisin, Tatta Spalla. Ce dernier, qui joue de la guitare avec une souplesse extraordinaire, s’avère être le papa de Bel.Les chansons se succèdent, légères et libres, « with a little help from my friends », « mas que nada », tantôt c’est Tatta qui chante, tantôt c’est Bel, Damilton toujours présent, à la fois discret et indispensable - quelle complicité, quelle joie de vivre, quelle beauté, c’est le Brésil dans toute sa simplicité qui donne de la voix et du murmure dans ce café !Ma femme bientôt (enfin, vingt minutes plus tard) me rejoint dans la chambre, me demande ce que je fais, je lui montre les vidéos et elle approuve mon envoûtement.Après avoir mis plein de likes et fait plein de partages, je demande à Johnny dans un commentaire « qui est-ce ? ». Il me répond : « Il s’agit de Bel Spalla, ainsi que son père Tatta et Damilton. » Il m’apprend aussi qu’ils seront en concert le lendemain au Cercle Privé, en compagnie de Sérgio Tordini. Je me dis dans ma petite tête ce qui suit : « Voici une occasion de rencontrer des artistes et de leur dire toute mon admiration ! On verra demain ! » Et c’est dans une euphorie grisante que je plonge dans le pays des songes, en toute quiétude, avec la conviction que la vie est belle !
Le lendemain
Bel Spalla
Sérgio Tordini
L’interview
Une demi-heure plus tard, nous voilà tous réunis autour d’une table dans une petite salle adjacente, pour un brin de conversation.Paulo : « Je m’excuse de ne savoir que très peu de choses de vous ; à peine ce que j’ai pu capter à travers ces vidéos étonnantes que Johnny a publiées hier. J’aimerais que vous m’en disiez un peu plus sur votre histoire, votre parcours … »Tatta Spalla et sa fille Bel
Paulo : Quand a eu lieu la collaboration avec Zeca Afonso ?Damilton : En 1984. Je venais d’arriver au Portugal et je commençais à travailler pour la Fondation Gulbenkian, et puis un jour on m’a présenté à Zeca Afonso qui cherchait un percussionniste pour une poignée de concerts. Je l’ai accompagné sur les routes pendant six mois, mais il était déjà très malade et n’a pas pu poursuivre longtemps ses spectacles. Je suis parti ensuite vers Londres et puis Paris, mais je suis toujours revenu voir Zeca, car c’était un ami, jusqu’au moment de sa mort en 1987.Paulo : Paris est devenu votre port d’ancrage par la suite, si j’ai bien compris ?Damilton : Oui, à cette époque Paris était bel et bien la « porte de l’Europe », à partir de laquelle on pouvait embrasser les projets les plus variés. C’est à Paris que j’ai fait ma carrière, c’est à Paris que je me suis marié, que j’ai eu une fille, que je me suis séparé, Paris est devenue ma ville d’adoption. Paulo : Et comment avez-vous intégré le Trio Fala Brasil ?Damilton : Un ami m’a présenté à Tatta et Sérgio qui cherchaient un percussionniste. Nous avons sympathisé et l’association s’est faite naturellement. Pour moi, la convivialité et la bonne entente sont aussi importantes que le fait de jouer avec des professionnels de talent.Paulo : Et qu’est-ce qui fait la substance de la musique du Trio ?Tatta : Notre musique est le reflet du Brésil qui lui-même est le reflet du monde. La musique brésilienne est d’une élasticité infinie, elle emporte dans son cours des fragments du Sénégal, de l’Angola, du Portugal… Il en résulte une fusion extraordinaire que personne n’arrive à expliquer. Et c’est cette diversité que nous mettons à l’honneur dans notre répertoire. Paulo : Les projets ?Tatta : Nous préparons l’enregistrement d’un nouvel album ici au Luxembourg. Par ailleurs, nous donnerons un concert le 15 octobre à la Philharmonie, dans le cadre du festival « Atlântico » consacré aux musiques lusophones. Cela dit, nous menons tous des projets parallèlement au Trio Fala Brasil. Sérgio Tordini est professeur de guitare classique au Conservatoire de Luxembourg et fait également partie du groupe La Boca dédié au tango argentin. Damilton est établi à Lyon et il participe à de nombreux autres projets. Isabel retourne au Brésil pour se consacrer à sa propre musique. Nous espérons qu’elle pourra revenir en octobre pour une nouvelle série de concerts.
Bel Spalla, Tatta Spalla, Damilton Viana da Costa, Johnny Pereira and me
Bye et à bientôt !
A travers ces chansons dans le café Staminet puis au Cercle Münster, le Brésil et le grand large ont soufflé une brise légère sur mon cœur, et bon sang qu’est-ce que ça m’a fait du bien ! Je suis un grand voyageur, voyez-vous, même si physiquement je suis presque toujours au Luxembourg. Mais dans ma tête, je prends le large tout le temps, grâce à des personnes comme Tatta, Bel, Damilton et Sérgio !Merci aussi à Johnny Pereira qui a établi le contact et m’a permis de rencontrer ces artistes super-sympathiques. D’ailleurs, soit dit en passant, Johnny s’occupe actuellement de la gestion des concerts du Trio Fala Brasil et d’Isabel – donc si en octobre vous souhaitez booker le groupe, vous savez à qui vous adresser.