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(anthologie permanente) Nelly Sachs et Paul Celan, correspondance (dossier de Jean-René Lassalle)

Par Florence Trocmé

Celan 30 Mai 1960Dossier proposé par Jean-René Lassalle qui a traduit de l’allemand les textes qu’il a choisis dans l’importante correspondance entre Nelly Sachs et Paul Celan.

Correspondance Nelly Sachs – Paul Celan

De Nelly Sachs à Paul Celan, Stockholm 9.1.1958 (lettre 5)

(…) Il y a et il y a eu et est en moi dans chaque souffle la croyance en une irrigation de la poussière par une douleur et par une âme, en tant qu’activité que nous avons entreprise. Je crois à un univers invisible dans lequel nous dessinons notre accomplissement obscur. Je ressens l’énergie de la lumière qui fait éclater la pierre en musique, et je souffre de la flèche pointue de la nostalgie qui nous frappe mortellement dès le début en nous poussant à chercher au dehors, là où l’insécurité commence à submerger. Un secours m’est venu de mon propre peuple par la mystique hassidique qui, en relation étroite avec toutes les mystiques, doit sans cesse se reconstruire une demeure dans les douleurs de l’enfantement, loin de tous dogmes et institutions.
Extrait de : Paul Celan / Nelly Sachs : Briefwechsel, Suhrkamp 1993. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.

Von Nelly Sachs an Paul Celan, Stockholm 9.1.1958 (Brief 5)

(…) Es gibt und gab und ist mit jedem Atemzug in mir der Glaube an die Durchschmerzung, an die Durchseelung des Staubes als an eine Tätigkeit wozu wir angetreten. Ich glaube an ein unsichtbares Universum darin wir unser dunkel Vollbrachtes einzeichnen. Ich spüre die Energie des Lichtes die den Stein in Musik aufbrechen läßt, und ich leide an der Pfeilspitze der Sehnsucht die uns von Anbeginn zu Tode trifft und die uns stößt, außerhalb zu suchen, dort wo die Unsicherheit zu spülen beginnt. Vom eignen Volk kam mir die chassidische Mystik zu Hilfe, die eng im Zusammenhang mit aller Mystik sich ihren Wohnort weit fort von allen Dogmen und Institutionen immer aufs Neue in Geburtswehen schaffen muß.
Extrait de : Paul Celan / Nelly Sachs : Briefwechsel, Suhrkamp 1993.
/
De Paul Celan à Nelly Sachs, Paris, 30.5.1960 (lettre 39)

Zurich, Auberge de la Cigogne
Pour Nelly Sachs

Du trop il fut question, du
trop peu. Du toi
et du pourtant-toi, de
l’obscurcissement par la clarté, de
ce qui est juif, de
ton Dieu.
De
ça.
Au jour d’une montée au ciel, la
cathédrale apparaissait de l’autre côté, elle vint
avec quelque or par-dessus l’eau.
De ton Dieu il fut question, je parlai
contre lui, je
permis au cœur que j’avais
d’espérer :
en
sa plus haute et toute-rauque, sa
querellante parole  –
Ton œil me fixa, fixa le lointain,
ta bouche
s’accorda à l’œil, j’entendis :
« Nous
ne savons pas en fait, tu sais,
nous
ne savons pas vraiment
ce qui
importe… »
Extrait de : Paul Celan / Nelly Sachs : Briefwechsel, Suhrkamp 1993. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
Von Paul Celan an Nelly Sachs, Paris, 30.5.1960 (Brief 39)

Zürich, Zum Storchen
Für Nelly Sachs

Vom Zuviel war die Rede, vom
Zuwenig. Vom Du
und Aber-Du, von
der Trübung durch Helles, von
Jüdischem, von
deinem Gott.
Da-
von.
Am Tag einer Himmelfahrt, das
Münster stand drüben, es kam
mit einigem Gold übers Wasser.
Von deinem Gott war die Rede, ich sprach
gegen ihn, ich
ließ das Herz, das ich hatte,
hoffen:
auf
sein höchstes, umröcheltes, sein
haderndes Wort –
Dein Aug sah mir zu, sah hinweg,
dein Mund
sprach sich dem Aug zu, ich hörte:
„Wir
wissen ja nicht, weißt du,
wir
wissen ja nicht,
was
gilt…“
Extrait de : Paul Celan / Nelly Sachs : Briefwechsel, Suhrkamp 1993.
Paul Celan an Nelly Sachs, 30 mai 1960
/
De Nelly Sachs à Paul Celan, Stockholm, 2.7.1960 (lettre 46)

Celui-ci se dresse –
Silence silence silence –
plus rien le soleil n’inscrit
et une couronne de sommeil grandit
autour de lui
qui s’étendit vers les hauteurs
plus haut
jusqu’à la fin.
Sommeil grandit bien en sabliance
silence silence silence –
Lui ô Lui
garde son sable
inéveillé -
le cosmos prend son souffle
de lui
qui répand ses vrilles
divinement faucillées –
Humainement dessiné
le sable dort
legs de l’amour –
Silence silence silence –
quand celui-ci s’étend plus loin
le bourgeon s’anime dans le sel.
   Pour Paul
   de Nelly

Extrait de : Paul Celan / Nelly Sachs : Briefwechsel, Suhrkamp 1993. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
Von Nelly Sachs an Paul Celan, Stockholm, 2.7.1960 (Brief 46)

Einer steht –
Schweigen Schweigen Schweigen –
nichts schreibt mehr die Sonne ein
und ein Kranz des Schlafes wächst
um ihn
der sich hoch gereckt
höher
bis ans Ende.
Schlaf wächst schon in Sandigkeit
Schweigen Schweigen Schweigen –
Er o Er
läßt seinen Sand
ungeweckt –
Weltall nimmt den Atem ab
ihm
der seine Gewinde
Gottgesichelt fallen läßt –
Menschgezeichnet
schläft der Sand
Hinterlassenschaft der Liebe –
Schweigen Schweigen Schweigen –
wenn der eine fort sich reckt
setzt die Knospe an im Salz.
   Für Paul!
   von Nelly

Extrait de : Paul Celan / Nelly Sachs : Briefwechsel, Suhrkamp 1993.
/
De Paul Celan à Nelly Sachs, 19.8.1960 (lettre 57)

Ma chère, ma bonne Nelly
grand merci, de tout cœur merci pour ta lettre !
C’est encore une fois pénible pour toi et tu trouves quand même, amour, des mots – non, des cadeaux de mots pour nous !
Nelly, amour ! Je vois que ton filet d’angoisse est toujours là, on ne peut l’enlever en un tour de main… Et pourtant : il est à enlever, il peut et doit être enlevé, pour le bien de tous ceux dont tu te sais proche, pour cette proximité, pour le bien de ta proximité vivante ! Tu as tes mains, tu as les mains de tes poèmes, as les mains de Gudrun – prends s’il te plaît aussi les nôtres ! Prends encore tout ce qui peut être main et secourable – et qui voudrait rester main et secourable grâce à toi, grâce à ta présence, à ton être-là, là-avec-toi, là-auprès-de-toi-en-liberté, prends-le, s’il te plaît, permets que ce soit là, par ce Possible-aujourd’hui-et-demain-et-longtemps-vers-toi ! (…)
Extrait de : Paul Celan / Nelly Sachs : Briefwechsel, Suhrkamp 1993. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
Von Paul Celan an Nelly Sachs, 19.8.1960 (Brief 57)

Meine liebe, meine gute Nelly,
hab Dank, hab von Herzen Dank für Deinen Brief!
Du hast es immer noch so schwer und Du findest, Du Liebe, dennoch Worte — nein Wortgeschenke für uns !
Nelly, Liebe! Ich sehe, das Netz ist noch da, es läßt sich nicht im Handumdrehn entfernen ... Und doch: es ist zu entfernen, es kann und soll entfernt werden, um aller jener willen, denen Du Dich nahe weißt, um dieser Nähe, um Deiner lebendigen Nähe willen! Du hast Deine Hände, Du hast die Hände Deiner Gedichte, hast Gudruns Hände - nimm, bitte, die unsern hinzu! Nimm hinzu, was sonst noch Hand ist und hilfreich - und Hand und hilfreich bleiben möchte durch Dich, durch Dein Dasein, Dein Da- und Bei-Dir- und Bei-Dir-im-Freien-Sein, nimm es, bitte, laß es da sein, durch dieses Heute-und-Morgen-und-lange-zu-Dir-Können! (…)
Extrait de : Paul Celan / Nelly Sachs : Briefwechsel, Suhrkamp 1993.
La correspondance entre Paul Celan et Nelly Sachs est parue en français dans une traduction complète par Mireille Gansel chez l’éditeur Belin en 1999.
Nelly Sachs dans Poezibao :  
bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2, extrait 3, extrait 4, rencontre autour de, extrait 5, un entretien épistolaire avec Lionel Richard (1968), extrait 6 (correspondance avec Paul Celan) extrait 7, extrait 8, extrait 9, extrait 10, livre Nelly Sachs, éthique et modernité, présentation, extrait 11 
Paul Celan dans Poezibao :
Bio-bibliographie, extrait 1, extrait 2,  extrait 3,  extrait 4 (correspondance avec Nelly Sachs), extrait 5, extrait 6 (avec présentation de Partie de Neige), extrait 7, Celan sur parole (R. Klapka), extrait 8, extrait 9, extrait 10, Grille de Parole (parution Points), extrait 11, Exposition Paul Celan, Gisèle de Lestrange, extrait 12 (avec E. Fried), ext. 13 (Éditions Unes), ext. 14, ext. 15, ext. 16, (musique et littérature) Antoine Bonnet et Frédéric Marteau (dir.), "Paul Celan, la poésie, la musique. Avec une clé changeante", par Thomas Le Colleter
[Jean-René Lassalle]  
en cliquant sur l’image, on peut l’agrandir. Il s’agit de la reproduction du poème de la lettre manuscrite de Paul Celan, daté du 30 mai 1960.


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