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Montaigne et les animaux

Publié le 04 juillet 2016 par Savatier

Montaigne_AnimauxS’agissant du statut des animaux, la loi de modernisation et de simplification du droit a mis fin, le 28 janvier 2015, à l’ancienne qualification du Code civil qui les faisait entrer dans la catégorie des « meubles ». Promulgué en 1804, le Code Napoléon reflétait encore le contexte de l’Ancien régime, où la richesse se mesurait à l’aune du capital immobilier – terres, bâtiments – ce qui explique pourquoi tous les autres biens, que l’on pouvait déplacer, étaient appelés « meubles ». Si les animaux ne pouvaient se comparer à une table ou une chaise (« meubles meublants », dans le langage juridique), une réforme se justifiait, notamment afin d’aligner le Code civil sur les Codes pénal et rural qui leur reconnaissaient déjà la qualité « d’êtres vivants et sensibles ». Sans doute l’influence des monothéismes et celle de Descartes, qui assimilait les animaux à des machines – ce qui avait à bon droit indigné Mme de Sévigné – ne furent pas étrangères à cette approche qui servit trop longtemps de référence. Pour autant, depuis des siècles, d’autres courants intellectuels portaient sur les animaux un regard plus sensible.

Tel fut le cas de Montaigne qui, dans ses Essais, ne cessa de traiter ce sujet avec une belle sympathie. C’est le thème que développe Bénédicte Boudou avec son récent et très documenté ouvrage, Montaigne et les animaux (Léo Scheer, 190 pages, 17 €). Dans un souci pédagogique bienvenu, l’auteure s’attache d’abord à éclairer les différents points de vue relatifs à la gent animale qui se succédèrent ou cohabitèrent dans les systèmes de pensée. Il est intéressant de constater que la frontière qui divise « séparatistes » et défenseurs des animaux se confond le plus souvent avec celle qui oppose rigoristes moraux, adeptes de l’idéal ascétique, et esprits ouverts, voire hédonistes : Platon, Aristote, Origène, Augustin d’Hippone et Thomas d’Aquin, notamment, voyaient dans l’homme un être supérieur à tous les autres représentants du vivant, tandis que Pythagore, Plutarque, Pline l’ancien ou François d’Assise s’inscrivaient dans l’idée d’une continuité entre l’homme et les animaux, en leur reconnaissant de nombreuses vertus qui invitaient à traiter ceux-ci avec justice et respect.

IMG-20151203-WA0000Montaigne, naturellement, se situe parmi ces derniers. Il emploie, pour saper « l’anthropocentrisme de la tradition philosophique et théologique qui fondait la supériorité de l’homme sur la raison, la parole, le visage élevé vers le ciel, les mains et le libre arbitre », la même méthode que celle qu’il utilisa dans ses Essais pour défendre les « sauvages » du Nouveau Monde contre la « civilisation » européo-centrée. Il procède par observations, illustre son propos d’anecdotes et d’exemples, en appelle aux textes antiques. Communication, langage corporel, capacité à s’auto-soigner, sens de la fidélité, organisation sociale, aptitude au rêve mais aussi à la souffrance, sensibilité sont ainsi reconnus à l’animal. Montaigne ne déclare pas celui-ci identique à l’homme, mais note les ressemblances qui les rapprochent pour mieux mettre en lumière ce qui les éloigne, notamment la cruauté (témoin des guerres de religion, le philosophe savait ce que l’humain était capable d’infliger à son prochain pour des chimères idéologiques) et l’injustice (n’était-ce pas Augustin qui « niait que les animaux pussent souffrir »). Loin du rapport hiérarchique entre homme et animal établi dans la Genèse (I :24-28), Montaigne propose l’idée d’une continuité, que l’on retrouve chez Plutarque, mais aussi parmi les peuples adeptes du chamanisme. Il en résulte une approche faite de tendresse et de bienveillance sur laquelle il serait encore aujourd’hui utile de méditer.

L’essai de Bénédicte Boudou résonne comme l’écho de ce qu’écrivait le Dr Auguste Cancalon qu’aimait à citer Remy de Gourmont : « Déblayer le champ intellectuel encombré de survivances, désarmer le dogmatisme persécuteur en lui enlevant toute autorité morale, faire appel au bon sens et à la bonté, prendre l’attitude non du doute inactif, mais du doute expectant et enquêteur, telle fut en gros l’œuvre de Montaigne. »

Illustration : Mes chats, Ulysse et Sacha.


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